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Critique de oblo


De la peur à la colère : la peur de la vie, la colère de n'avoir pas vécu. Tel est le cheminement personnel et, donc, littéraire de ce jeune Zurichois, issu de la bourgeoisie, qui écrit cet essai autobiographique alors qu'il est atteint, à 32 ans seulement, d'un cancer généralisé. le cancer, ou plutôt le lymphome malin, n'est que la suite logique d'une vie faite de solitude extrême et de névrose ou, si l'on veut mieux dire : la forme visible d'un mal-être programmé par l'éducation.

Cette éducation, justement, semble être à la base de ce terrible gâchis humain qu'est Fritz Zorn. Ayant grandi sur la rive dorée de Zurich, Fritz Zorn n'a jamais manqué de rien, matériellement parlant, ni dans sa jeunesse ni dans sa vie. Auprès de ses parents, il passe une enfance sinon heureuse, du moins sans problème, mais aussi sans vitalité. Dans le foyer parental, l'harmonie devait être absolument conservée. Pour ce faire, point de débat (il y a les choses simples et les choses compliquées, et de ces dernières on ne parle pas, c'est-à-dire de politique, de religion ou encore d'amour), point d'action (on regarde les autres agir car agir, c'est ridicule; mais ça ne l'est pas de faire croire qu'on agit), point de folie (partant : point d'amour, en tout cas point de conditionnement à aimer et à se faire aimer). Dans cette jeunesse, cette harmonie est affreusement préjudiciable. Fritz Zorn est bon élève à l'école mais il n'est curieux de rien : conforme à la façon d'être de ses parents, il est le spectateur désintéressé de sa propre vie. Peu à peu, l'enfant se fait monstre asocial. Fritz Zorn se disait « éduqué à mort » car c'est bien à cela qu'il a été préparé : à l'absence de vie, à l'absence d'amour, à être, finalement, un mort-vivant.

Jeune adulte à l'université, Fritz Zorn fait face à l'adversité avec une certaine nonchalance. Dans son esprit, il trouve toutes les parades à son anormalité. Les journées passées devant la machine à café, le grand vide des soirées et des week-ends, l'incapacité à s'intéresser aux cours : tout cela ne compte pas vraiment. Quant à la petite amie, celle qui lui faudrait avoir connue depuis l'adolescence, elle aussi est absente. Pas d'amour, pas de sexualité (les deux mots sont synonymes selon Zorn, qui reprend là l'analyse freudienne des relations sociales) puisque le corps est un ennemi, une chose dont on a honte. Naturellement, la dépression arrive. On dit naturellement puisque Fritz Zorn vient d'une famille névrosée et est issu d'un milieu social où l'on cultive la névrose, en niant le caractère vivant (c'est-à-dire : dérangeant, remuant, bouillonnant, interrogeant ...) de l'individu.

Les notions de Bien et de Mal s'entrechoquent. Est bien ce qui fonctionne ; est mal ce qui ne fonctionne pas. Privé d'amour, privé de relations sociales, privé de lui-même, Zorn va mal. La dépression puis les tumeurs qui lui poussent sur le cou sont les formes de ce Mal. Si Zorn s'accommode de la dépression, en l'ignorant, en se trouvant toujours des excuses, il ne peut refuser de voir les tumeurs ni de ne pas en sentir les effets. La mort tant réclamée : par les appels au calme, par le culte de la tranquillité, par ce goût du comme il faut, par ce souci que rien ne dépasse, la mort arrive. Pour Zorn, le cancer est une chance : celle de s'émanciper. Paradoxalement, cette mort latente lui permet de poser un diagnostic sur ce que fut sa vie : un immense gâchis. Fritz Zorn n'a pas vécu : il a contemplé sa vie qui passait. Pire, quand la dépression arriva, il la considéra comme sa vie même. Son cancer, c'est la révolte de son corps : une partie de ses cellules refuse cette vie là. Ainsi explique-t-on le titre, Mars : dieu de la guerre, il se retourne contre lui-même lorsqu'aucun ennemi ne lui est opposé. Zorn est donc ennemi de lui-même et il mène un combat à mort contre son propre corps.

Mars est un livre cruel qui narre comment un homme voit sa vie lui échapper. Trop tard pour vivre mais pas trop tard pour témoigner : voilà le produit d'une société aseptisée. On objectera : son individualité, dont il fait l'un des trois piliers de sa personnalité, que ne s'est-elle pas révoltée ? Mais l'on sait bien que les machines programmées ne peuvent faillir, et que ce qui leur est tracé, il leur faut le suivre. On referme le livre sur une déclaration de guerre. Peu importe que celle-ci soit déjà perdue : du moins a-t-elle lieu.
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