"Mais d'une façon ou d'une autre, songea-t-il, on finit par payer."
C'était Beth, une lapine de sa classe. Elle avait de grands yeux gris ; sa fourrure était uniformément blanche. Elle portait un chapeau de paille à larges bords, qui plongeait son visage dans l'ombre, et une longue chemise rose qui la recouvrait presque entièrement. Quentin pensa qu'il n'avait jamais rien vu de plus joli.
-Qu'est devenue l'idée que nous pouvons vivre sans l'aide des dieux?
Quentin rit.
-Personne ne croit plus ça possible.
p.316.
- Tu es mal en point, observa Allison, impressionnée. Que s’est-il passé ?
- C’est une longue histoire, intervint Zack. On vous racontera un autre jour, si vous voulez bien.
- Je peux l’imaginer, de toute façon. Les mâles luttent pour le pouvoir, c’est toujours la même chose. Je ne comprendrai jamais cela.
p.306.
Il ferma les yeux et pensa à ce qui l’attendait.
Isaac s’installerait au-delà des Montagnes Noires et trouverait le moyen de s’enrichir grâce au traffic des esclaves, entreprise aussi écœurante et illégale que le commerce des lapins intelligents. Il s’insinuerait dans la structure du gouvernement et se servirait de son argent pour obtenir du pouvoir. Peut-être feindrait-il à nouveau d’être infirme ? la population l’admirerait à cause de sa fortune ; quelques personnes le plaindraient en raison de son infirmité, mais toutes, après avoir fait l’expérience de son cœur de pierre, finiraient par le craindre. Ou un Gérard... assez intelligent pour comprendre ce qu’il fait, mais capable de réduire sa conscience au silence pour obtenir de l’or. Mais, surtout, Harry ne pourrait jamais dévoiler la vraie nature de son frère.
p.267.
« Lapin stupide, songea Harry. Tu ne peux pas empêcher ça. Personne ne peut. On n’arrête pas une rivière en crue grâce à une digue de paille. La cupidité et l’égoïsme guident ces créatures. Le torrent t’emportera. »
p.256-8.
- Je ne croyais pas que le monde pouvait être aussi horrible, reprit Quentin d’une voix monocorde et accablée. Je ne suis pas tout à fait innocent. Je sais que la vie est parfois dure et qu’on ne peut pas toujours compter sur les dieux : chance pour ceux qui ne le méritent pas, malchance pour ceux qui ne la méritent pas davantage, rumeurs d’esclavages au-delà des montagnes. Je sais tout ça.
Il passa une patte brune sur son visage.
- Mais ça bouleverse tout ce en quoi je croyais. Des lapins tuent leurs congénères pour se procurer de l’or ! Moi qui pensais que tout le monde partageait mes convictions.
Il se tourna vers Harry, l’air égaré.
- Par les dieux ! Nous avons tous quelque chose en commun... Ils ne s’en rendent donc pas compte ? Cela ne compte-t-il pas ?
Il cacha une nouvelle fois son visage derrière ses pattes.
« Je comprends ce qu’il ressent », pensa Harry avec étonnement.
- Quand j’étais jeune, dit-il, je trouvais le monde merveilleux. Et puis... Il a changé.
- Comment ça ?
Harry dut chercher ses mots.
- J’ai vu les menteurs et les hypocrites réussir sans que personne s’en offusque. Les créatures égoïstes et cupides devenir riches et puissantes.
- Qu’est-ce que tu as fait ?
- Je n’ai rien fait. Pourquoi m’en serais-je mêlé ? Je ne suis pas chargé de changer les choses ! Le seul moyen de survivre, dans un tel monde, consiste à s’arranger pour en tirer profit.
- En quoi cela te rend-il meilleur que les menteurs et les hypocrites ?
« J’aurais mieux fait de me taire », se repentit Harry.
- J’en ai assez de me faire réprimander par un lapin, répliqua-t-il avec colère. Je n’ai pas l’impression que tu essaies d’arrêter Dan et Wally ? Tu te contentes de fuir, de te cacher, de pleurnicher parce que tu es perdu et que tes amis t’ont abandonné !
- Mais, au moins, je ne tire pas personnellement profit de la situation.
p.120.
- Reviens un peu en arrière, dit Zack, pensif. D’après toi, le gouvernement se débarrasse de ceux qui s’opposent aux mesures répressives... qu’il a prises pour nous protéger de disparitions inexpliquées... dont il est en fait responsable.
p.80.
- Je n’ai pas raconté la moitié de ce qui est arrivé, Frank. Il me tabassait tous les jours. Après l’école, il m’attendait, caché derrière les haies du terrain de sport, et m’attaquait par-derrière. Il disait des mensonges horribles à ses amis sur la façon dont mon père était mort. Il me traitait de tous les noms. Il m’a fait vivre un véritable enfer, et tu veux savoir pourquoi ?...
Quentin se pencha vers lui.
- Parce qu’il était plus fort que moi et pouvait se le permettre, voilà pourquoi.
p.11.
Harry : Un frère ne peut-il pas se conduire en frère ?