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Critique de chachourak


Karl Amadeus Frank était un poète de renom. Mort depuis des années, il a laissé derrière lui une vie légendaire, une femme et un fils désorienté. En effet, Friedrich est lui aussi poète mais ne peut se défaire de l'héritage que lui a imposé son père.

L'histoire commence alors qu'une lecture des oeuvres de Friedrich va être donnée en l'honneur de la mémoire de son père. Toute la maison se prépare à accueillir la meilleure société, mais Friedrich est troublé et hésitant, il est plus que jamais dans le doute.

Cet événement est l'élément perturbateur qui vient troubler l'équilibre de la famille. Alors que les doutes de Friedrich s'intensifient à l'approche de la lecture, une invitée surprise nommée Maria Folkenhof fait son entrée pour assister à la lecture, mais Leonore, la veuve de Karl et mère de Friedrich, lui refuse l'entrée de manière très virulente :

« LEONORE, comme enragée : Jamais !... Repousse-la immédiatement !... (En colère contre Johann :) Comment as-tu pu te permettre d'agir contre mes ordres ? C'est impertinent de ta part… je t'avais dit… » p.43

Contre les ordres de sa mère, Friedrich autorise toutefois l'entrée à Maria et l'accueille avec beaucoup d'intérêt, ravi qu'une personne ait fait le déplacement pour lui et son oeuvre, et non pas pour son père ; car le problème majeur de ce récit est que Friedrich n'arrive pas à trouver sa place au milieu de la prépondérance de la figure de son père décédé.

Le thème de la famille est donc un thème central du récit, et plus particulièrement la relation père-fils. Les sentiments de Friedrich envers son père sont très ambigus : s'il semble avoir de l'affection et de l'admiration pour le poète, il ne sait même pas s'il aime ou non son père et ce pour la simple raison qu'il n'a pas l'impression de le connaître vraiment ! En effet, il dit a de nombreuses reprises qu'il « voudrait l'aimer », mais qu'il a besoin pour cela de mieux le connaître, de savoir quels sont les défauts qu'il a pu avoir et les erreurs qu'il a commises.

En réalité, Friedrich souffre de ne connaître son père qu'à travers ce que les autres en disent, mais pas comme un fils devrait connaître son père. Friedrich ne connaît la vie de son père que comme celle d'une légende ; or il a besoin de le voir comme un être humain pour pouvoir l'aimer et le considérer comme un père. La légende ayant pris le dessus sur la vie de Karl Amadeus Frank, Friedrich n'a aucun repère paternel et ne parvient donc pas à savoir qui il est lui-même.

Le texte de théâtre met d'ailleurs très bien en évidence la situation de Friedrich ainsi que ses hésitations et sa nervosité. de nombreux points de suspensions et des didascalies indiquent ainsi le ton qu'il emploie, et il est assez peu présent sur scène dans le premier acte, comme si toutes les décisions le concernant étaient prises sans lui et que son avis ne comptait pas.

« Puis-je m'arracher ce visage qui est le sien ? … Puis-je me débarrasser de ce nom qui est le sien ? … Puis-je renverser cette maison qui est la sienne ? … Non, je suis sous son emprise, désespérément… pour les gens je ne serai jamais personne d'autre que le fils de Karl Amadeus Frank… le fils… le fils… le fils… toujours le fils, toujours comparé… toujours le rebut, la copie, l'avorton, le déchet… jamais moi-même… partout je suis cerné par lui… tout ce que je fais est un ombre, ce que je dis, un écho… je ne peux pas sortir de sa gloire… et ils me martèlent et me pilonnent de plus en plus pour que je lui ressemble… que moi je ressemble à mon père !... Oui, comme le singe ressemble à l'homme » p.33-34

Le second thème abordé est selon moi celui de la création artistique. le sujet de discorde de ce livre est la biographie du père écrite par Leonore après sa mort puisque beaucoup d'incohérences et de mensonges semblent y avoir été glissées. En effet, la biographie de Leonore n'est pas fidèle à la réalité, c'est pourquoi l'apparition de Maria Folkenhof trouble particulièrement Leonore… En fin de compte, on peut se demander si une personne aussi proche de Karl que Leonore a vraiment pu écrire une biographie partiale de son mari, et surtout à qui elle s'adressait lorsqu'elle a écrit cette biographie : au public, à elle-même, à son fils ? 

Enfin, j'ai beaucoup aimé découvrir Stefan Zweig dans le genre théâtral. J'étais assez curieuse de voir si on pouvait retrouver son style dynamique dans une pièce de théâtre et si son talent à raconter des histoires serait aussi visible qu'en nouvelle. Et la réponse est oui : comme ses nouvelles et romans, cette pièce de théâtre nous montre à quel point Zweig a un talent fou pour nous raconter des histoires et nous transporter dans une intrigue. J'ai été immédiatement prise dans le récit et dans cette histoire de famille, et ce malgré l'absence d'éléments narratifs qui permettent d'expliciter le contexte et qui aident le lecteur à rentrer dans l'histoire. Evidemment, le secret de l'histoire et la résolution du problème sont assez prévisibles, mais l'urgence que l'on sent dans l'écriture et le rythme que Zweig met dans son récit nous donnent à chaque fois plus envie de tourner les pages et d'aller jusqu'au bout, même si aucun retournement de situation ne nous attend au final.

Car Stefan Zweig n'est pas un auteur de thriller ; son sujet de prédilection est l'homme et toutes les passions auxquelles il peut être confronté. Ce qu'il fait, c'est de mettre en avant nos faiblesses en nous montrant à quel point elles font partie de nous et font de nous des êtres humains. Stefan Zweig n'est pas un maître du suspens mais des passions humaines.

J'ai beaucoup aimé cette histoire et le déroulement de l'intrigue. le trio Friedrich-Leonore-Maria est très fort puisqu'ils ont chacun des personnalités assez marquées et que leur histoire est très personnelle puisqu'elle touche à l'identité de Karl Amadeus Frank, et donc indirectement à celle de Friedrich. Tout au long de l'histoire, on sent beaucoup d'émotion du côté de Friedrich et de tension du côté de Leonore, de telle sorte que l'ambiance est assez particulière et que le lecteur est assez tiraillé entre les personnages. Si on s'attache à certains personnages au début de l'histoire, on referme le livre en ayant de l'affection pour des personnages auxquels on ne pensait pas au début.

Pour conclure, j'ai beaucoup aimé ce texte, mais c'était plutôt prévisible étant donné que j'adore Stefan Zweig. En fait, je pense que j'ai surtout pris du plaisir à lire cette oeuvre puisqu'elle était l'occasion pour moi de découvrir Zweig dans un autre style et d'en apprendre plus sur cet auteur, ma lecture était donc assez personnelle et je savais presque déjà avant de lire l'oeuvre que j'allais l'aimer. Comme toutes les oeuvres de Zweig, je ne peux que vous la conseiller, en particulier si vous connaissez déjà l'auteur : c'est un excellent moyen de voir à quel point il a un style qui lui est propre et qu'on retrouve d'un type de texte à un autre. Si vous ne connaissez pas l'auteur, je vous conseillerais plutôt de commencer par une de ses nouvelles les plus connues (Le Joueur d'échecs, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, La Confusion des sentiments,…). Et enfin si vous êtes juste curieux à propos de cette oeuvre, n'hésitez pas non plus : impossible d'être déçu !
Lien : http://ulostcontrol.blogspot..
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