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Critique de berni_29


Le destin de Marie Stuart est aussi bref que saisissant. Il fallait un peintre, un orfèvre comme Stefan Zweig pour en saisir toutes les nuances, la complexité, les ténèbres d'un personnage solaire hors du commun au sens tragédien. Car la vie de Marie Stuart est digne d'une tragédie antique.
Pensez donc ! Reine d'Écosse à l'âge de six jours, en 1542, puis reine de France à dix-sept ans par son mariage avec François II, elle retournera à son royaume d'Écosse en 1560 à la mort de celui-ci. Après quelques péripéties conjugales et sentimentales, elle fuit son royaume d'Écosse et sera retenue captive par sa cousine et rivale durant vingt ans, Elisabeth Ire, reine d'Angleterre, avant que celle-ci ne finisse par signer la promulgation de sa condamnation à mort en 1587. Son existence aura été aussi fulgurante que la trajectoire d'une comète, la légende peut alors commencer, l'imaginaire collectif s'en empare et Stefan Zweig vient y mettre quelques touches de sa palette de couleurs.
J'ai retrouvé cette écriture propre à Stefan Zweig, ciselée à merveille, se posant sur les contours et l'âme des personnages de cette fresque historique.
Je me suis posé la question au moment où le texte se déroulait sous mes yeux : ai-je affaire ici à une biographie ou un bien un roman historique ?
L'écriture de Zweig se faufile entre les plis de l'Histoire. Souvent j'ai senti ici la ferveur de l'artiste prendre le pas sur la rigueur historique. Il comble le vide laissé par les traces de l'Histoire ou le mystère d'une existence, là où les historiens sont demeurés muets à jamais, il y jette le pouvoir de l'imagination et des mots d'un écrivain romanesque. Après tout, cela ne me dérange pas lorsque l'écriture de l'Histoire n'est pas dévoyée. Les silences de l'Histoire sont des interstices incroyables pour un écrivain comme Zweig, guettant de ces failles la lumière, les respirations, des soubresauts peut-être telluriques. Il les perçoit peut-être en lisant et relisant les sonnets qu'a écrit Marie Stuart comme un journal intime empreint de poésie. À certains endroits, il pose ainsi une dimension qu'on sent bien sûr fortement fictionnelle.
Il cherche à étonner, à nous surprendre. Il nous laisse entrevoir, il suggère pour que nous tirions nos propres conclusions. C'est le ressort de la mécanique romanesque de Stefan Zweig huilée ici à merveille.
Alors il y met une atmosphère, une épaisseur, une tragédie aiguisée par la dague de son écriture.
Stefan Zweig est un auteur qui aime les personnages romanesques, qu'ils soient fictifs ou réels.
Je ne vais pas vous refaire l'histoire, tout le monde la connaît. Ce qui m'intéresse ici, c'est de vous partager ce regard que porte l'auteur sur son personnage, la manière dont j'ai perçu ce regard, un regard empli d'empathie sur une reine à la destinée aussi exceptionnelle que brève, un regard pas toujours impartial pour cette reine d'Écosse qu'il dépeint souvent comme une muse chevaleresque, pas toujours non plus inspiré dans sa maîtrise de la psychologie féminine, un regard qui m'a à la fois émerveillé à certains endroits et franchement agacé à d'autres. Quant à la manière dont il s'est saisi des enjeux politiques qui sous-tendent l'affrontement de deux femmes puissantes de l'histoire européenne, il le fait avec le prisme d'un artiste, d'un séducteur exalté, d'un homme en exil aussi face à la plus grande tyrannie et barbarie qu'est connu le monde jusqu'à présent... Il ne réécrit pas L Histoire, il la comble de ses mots.
Sous l'aspect narratif, sa plume est parfaitement maîtrisée, tenant fermement le texte comme la bride d'un cheval lancé à folle allure à travers les pages de ce récit.
Marie Stuart, c'est une vie traversée de cavalcades, de fuites, d'intrigues, de manoeuvres, d'alcôves et de sang.
Stefan Zweig nous décrit une Marie Stuart ambitieuse. Quand elle revient de France, veuve, les contours de son royaume d'Écosse lui paraissent déjà trop étroits, les ténèbres de ce pays sombre et rude lui donnent simplement envie d'élargir son horizon. Il est possible que le whisky fumé à la tourbe, des hommes rustres et ivrognes attablés à boire ce breuvage local, il est possible que le port du kilt, il est possible que la brume humide posée longtemps sur un paysage qu'elle trouve froid et morne, oui il est fort possible que tout ceci ait peut-être façonné l'ambition d'un reine qui rêve d'élargir son royaume. Elle se sent alors pleinement possible héritière du royaume d'Angleterre, plus large pour porter ses rêves.
Marie Stuart est d'un tempérament exalté. Souvent sa démarche relève de la haute voltige.
Elle fut toute sa vie une femme audacieuse, insouciante, imprudente, capable de brûler d'un amour ardent qui la consume.
J'ai très vite compris que Zweig a pu être à son tour séduit par ce coeur impatient d'une reine si romanesque. Sous les aspects de douceur apparente se cache un volcan qui gronde et c'est ce qui fascine l'écrivain.
Et puis vient, selon moi le coeur de l'intrigue, cette confrontation à distance entre deux reines qui dura un quart de siècle. Pensez donc, elles sont cousines, certes rivales, ne se sont jamais vu, physiquement, en face à face.
Stefan Zweig dévoile autre chose des représentations que nous avons eu si souvent de cette reine Elisabeth, il nous la rend plus nuancée, plus humaine, plus tourmentée, en proie au doute, un désir caché en elle semble la déchirer, la torturer, entre vouloir le bien et le mal. Elle a incontestablement un sens politique plus fort que sa rivale écossaise et c'est cela qui fera basculer la balance... Pour autant, c'est une femme qui hésite, qui hésitera jusqu'au geste ultime scellant le destin de Marie Stuart.
Stefan Zweig n'est jamais aussi envoûtant que lorsqu'il approche les forces intérieures qui traversent et soulèvent ses personnages. Ici deux statures se dressent, elles ont comme points communs l'orgueil, l'intelligence, l'érudition, la soif du pouvoir...
C'est dans cette confrontation magistrale, cette lutte fratricide d'un quart de siècle entre deux cousines et rivales, que ce texte selon moi prend toute sa saveur.
Et puis brusquement, au détour d'une page, évoquant l'affrontement à distance entre les deux reines, je découvre cette phrase qui me sidère :
« Malgré leur envergure extraordinaire, ces deux femmes restent toujours des femmes, elles ne peuvent pas surmonter les faiblesses de leur sexe ; la haine qu'elles se portent, au lieu d'être franche, est petite et perfide. Placés dans la même situation, deux hommes, deux rois s'expliqueraient nettement, une fois pour toutes et, dans l'impossibilité de s'entendre, se prendraient aussitôt à la gorge ; au contraire la lutte entre Marie Stuart et Elizabeth, c'est une bataille de chattes où l'on rampe et s'épie en rentrant ses griffes, un jeu plein de traîtrise et d'astuce. »
Oh ! My God ! Mais que s'est-il passé là, notre ami Stefan Zweig aurait-il perdu la tête (oui, facile je reconnais, mais je voulais absolument marquer vos esprits) ? Je ne reconnais pas dans cette phrase l'auteur qui m'a emporté lorsqu'il effleurait les contours d'autres personnages féminins comme dans « Lettre d'une inconnue » ou mieux « Vingt-quatre heures de la vie d'une femme ».
Pourtant j'ai aimé l'hésitation d'Elisabeth, j'ai aimé qu'elle hésite même si je savais sa décision avant elle, elle hésitait peut-être car elle savait, nous révèle Zweig, que sa décision, ce serait montrer que les monarques sont vulnérables, que leurs têtes peuvent rouler du billot comme celles de simples sujets. C'est pour cela peut-être qu'elle a attendu vingt ans avant de signer cet arrêt de mort, la condamnation à mort d'une du même rang, du même titre qu'elle. Ça, c'est prodigieux dans le texte de Zweig.
La passion de Marie Stuart la conduit auprès d'un homme aux allures rudes, aux mains brutales dont elle s'amourache, ce conseiller et commandant suprême de l'armée, le comte Bothwell. Et c'est là que Stefan Zweig écrit quelque chose qui ne passerait sans doute plus aujourd'hui...
Lisez un peu : « « Il se fait de son corps possesseur », il la prend par surprise ou la viole (qui peut mesurer la différence dans de tels instants où la volonté et la résistance se fondent si voluptueusement ?). Mais l'acte de brutal de Bothwell - ses sens enivrés en sont encore tout étourdis - l'a mise brusquement en face d'un homme véritable, d'un homme qui a réduit à bien peu de chose ses forces féminines, sa pudeur, sa fierté, son assurance, qui as révélé avec volupté le monde volcanique qu'elle portait en elle ignorait jusqu'alors l'existence ».
Là, je me suis dit que le père Zweig n'y allait pas avec le dos de la hache.
Oui je sais... D'aucuns diront qu'il faut remettre ce texte dans le contexte de l'époque, mais quelle époque ? Celle de 1567 où Marie Stuart se fait violer ou bien en 1935 l'année où Zweig écrit ce récit, séducteur exalté, déjà en exil, déjà en partance pour d'autres rivages amoureux ?
Et puis... et puis... Voilà... Je continuerais d'aimer Stefan Zweig comme un ami qui peut parfois s'égarer, décevoir, continuer de m'envoûter.
J'ai trouvé la scène finale, effroyable, grandiose et poignante. Oui, cette scène que vous savez... Avec une pointe de surprise qui vient comme un rendez-vous insolite, inattendu, quelque chose de touchant. Et là je voudrais savoir si ce détail que je ne vous divulguerai pas ici est de l'ordre du fait historique ou de l'imaginaire de l'auteur. Qu'importe peut-être !
Alors cela me vient brusquement à l'esprit, je sais déjà que je chemine plus près encore vers le récit que Zweig fit d'une certaine Marie-Antoinette...
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