Herbert Levin avait décidé de ne pas regarder. Il refusait d'accorder de l'importance à ce qui se passait dehors, n'acceptant pas la tournure que prenait l'histoire.
Prologue, page 15.
Après les incessants appels au calme de la veille, la TSF avait passé la matinée du 16 mars 1939 à diffuser de la musique classique, certainement des requiem pour le pays qui venait de s'éteindre. Mais apparemment, le défunt gesticulait encore car il y avait du nouveau. Ou alors, c'était l'oraison funèbre.
" quelle croix-rouge, mon gars ?
Cette ambulance fait partie de la mise en scène, qu'est-ce que tu crois?
Elle sert uniquement à donner l'impression que tout est normal, qu'on apporte une assistante aux malades qui étaient dans le train et que maintenant tout le monde sera bien traité.
Tu ne vas pas me crois, mais c'est l'ambulance qui transporte le gaz au crématorium."
Tu n'es pas un soldat ! Tu es un SS. La SS n'est pas un ordre militaire, c'est un ordre initiatique ! Tu n'es pas un soldat, tu es un moine guerrier. Nous tous, les SS, nous sommes au service de forces que nous ne comprenons pas, des forces qui viennent du cosmos et nous relient à la transcendance ! Nous sommes l'homme nouveau. Notre destin est de détruire l'homme-animal et de créer l'homme-Dieu ! Est-ce que ça coûte ? Bien sûr. Ca coûte énormément. C'est affreux. Mais nous devons le faire. Pour le bien final de l'humanité, nous devons faire temporairement le mal.
P 402
L'un après l'autre, les Juifs ramassèrent les pierres qu'ils avaient entassées et commencèrent à les rapporter à leur place initiale. Levin réalisa ce jour-là que son travail à Birkenau consisterait à transporter des pierres d'un côté à un autre, puis à les rapporter à leur point de départ, pour recommencer à nouveau. Telle serait désormais son inestimable contribution à la gloire et à la grandeur du Reich.
P 363
Ne vaut-il pas mieux parier sur la possibilité de survivre que sur la certitude de mourir ?
Il fallait trouver une Endlösung der Judenfrage, une « solution finale à la question juive ». Pourquoi les faire souffrir autant pendant si longtemps ? C’est terrible de mourir de faim. Puisqu’ils mouraient, une mort rapide était plus humaine. Et ainsi…
Il leva les yeux vers les nuages sombres que la fumée des cheminées alimentait en permanence et, terrifié, il réalisa qu’à Birkenau il pleuvait des morts.
Comment tant de génie pouvait-il cohabiter avec tant de folie, tant de nationalisme dégénérer en une telle irrationalité ?
Son métier consistant à manipuler les perceptions, il était conscient qu’une part importante du réel n’était qu’une construction de l’esprit. Si ce principe lui était important dans l’art de la magie, il lui servirait en tant que prisonnier à Birkenau.