Mais non, rien n'entrera dans l'histoire allemande. Le général se trompait. Personne ne chantera la gloire de ces soldats de la bataille de Rjev, comme on chante Verdun en France ou les Flandres en Angleterre. [Aucune école n'enseignera cette victoire défensive aux futurs officiers. Aucun monument ne rappellera le sacrifice des hommes tombés.
En fait, l'héroïsme et le sacrifice des soldats seront engloutis dans la défaite et dans la condamnation du nazisme, tout sera retourné contre le peuple allemand.
Les chevaux étaient muets. Ils ne se plaignaient pas. Ils souffraient en silence jusqu'à l'épuisement et l'effondrement dans l'attelage où les attendait, donné avec infiniment de peine, le coup de grâce. Ainsi mouraient-ils par centaines, par milliers.
Cette marche s'était déroulée partiellement sur la route que la Grande Armée napoléonienne avait empruntée en 1812. Brusquement, les éternels chemins sablés s'arrêtaient et une véritable route, pavée cent vingt-neuf ans auparavant par les hommes du génie de l'Empereur, courait entre deux rangées de magnifiques bouleaux. [...]
Ah ! l'Empereur. Il occupait les soldats cultivés d'Adolf Hitler. Il ne quittait pas leur tête. Ils pensaient tout le temps à lui, à son triomphe du début et à sa triste, sa terrible fin. Et si la même chose allait nous arriver à nous aussi ? On n'était plus en 1812, on était en 1941 [...] Plus tard, bien plus tard, devant Moscou et dans la neige, ils seront devenus très nombreux à parler de Napoléon, à lire Caulincourt et à se poser de terribles questions.
Une guerre interminable, une guerre d'épuisement, de faim, de désespoir avec un sentiment de non-retour, une guerre sans pardon. Une guerre d'espoirs fous et de terribles déceptions. Une guerre dont on souhaite la fin, une fin qui ne viendra jamais.