À l'occasion de la 26ème édition des "Rendez-vous de l'Histoire" à Blois, Emmanuel de Waresquiel vous présente son ouvrage "Jeanne du Barry : une ambition au féminin" aux éditions Tallandier.
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Presque tous ceux que j'évoque dans ce récit, à commencer par mes parents, sont morts. Les traces qu'ils ont laissées se perdent dans le sable. Ce qui subsiste de leurs papiers ressemble à une épave. Ils vivent en moi, cependant. leur survie est à la mesure des années dont je dispose.
Ma mère avait hérité son goût de la campagne de sa propre mère pour qui la création, la nature et la vie tenaient tout à la fois du miracle et du mystère divin sans cesse renouvelés. "He is going back home", disait-elle d'un arbre sur le point de mourir. J'avais eu un jour le malheur d'arracher dans un pré une fleur de pissenlit et elle m'avait fait remarquer, en me montrant la goutte de sève blanche sortie de sa tige, que la plante pleurait. Elle enseignait et ne punissait pas. Aujourd'hui, on me collerait une amende, on ferait des statistiques sur la quantité de pissenlits à conserver. Ce qui autrefois allait de soi s'est mué en normes inventées dans un bureau. La vie était végétative et buissonnière, elle est devenue procédurière.
page 46
- Portrait de Marie-Antoinette au Temple par Kucharski
On est loin de ce que dit Elisabeth Vigée-Lebrun de "l'éclat de son teint" qui l'avait tant frappée lorsqu'elle l'avait peinte pour la première fois en 1778. "Je n'en ai jamais vu d'aussi brillant, se souvient-elle dans ses Mémoire et brillant est le mot ; car sa peau était si transparente qu'elle ne prenait point d'ombre." Cette fois, les ombres se sont emparées de son visage. Ce sont les ombres de sa prison, ce sont aussi celles du mal qui la ronge, de ces hémorragies fréquentes que de rares témoins évoquent et dont on sait aujourd'hui qu'elles étaient peut-être le symptôme d'un fibrome cancéreux. On prétendra même peu après sa mort que le fiacre qui l'avait conduite de la prison du Temple à celle de la Conciergerie était plein de son sang. Il sera beaucoup question de sang dans cette histoire, le pur, l'impur, le coupable, celui qui corrompt et celui qui sanctifie, le sang du peuple assassiné, le sang de la vengeance et celui du sacrifice, comme une longue traînée métaphorique.
Ndl : Voir aussi les 76 jours de Marie-Antoinette à la Conciergerie du Docteur Paul Belaïche-Daninos où il évoque ce cancer.
Mes parents avaient la grâce fragile et secrète de leurs silences.
Ma mère a eu deux passions dans sa vie, mon père et moi: la première pleine de confiance et de certitude, la seconde tendre et inquiète.
Il m'a fallu des années pour me rendre compte que je faisais là, avec ma grand-mère, courant d'une pièce à l'autre, l'expérience de la fragilité des êtres et des choses, celle des souvenirs et de l'oubli. L'apprentissage du temps.
Les "premiers souvenirs" n'existent pas. Du chaos de l'enfance, il ne reste qu'une confusion de sons, de couleurs et d'odeurs raccrochés à des situations, à de petits événements que l'on croit innocents et purs de toutes interférences comme s'ils étaient sortis intacts de la matrice originelle.
Dans le désordre du temps et l'amnésie générale, Jeanne Bénédicte Bécu, comtesse du Barry par la grâce d'un mariage qui n'a existé que sur le papier, est au mieux une égérie, au pire un symbole sexuel, un fétiche sans miroirs et sans clous, bref une sorte de poupée Barbie. Non pas celle que l'on fait parler dans les années 1980, mais le tout premier modèle, celui de 1959, figé dans son sourire et ses cheveux blonds. On a longtemps fait d'elle une "fille de rien" devenue, comme par miracle, et pour des raisons de volupté, la dernière favorite de Louis XVI. ...
... Comment peut-on venir de nulle part et "régner" comme par enchantement sur le plus beau royaume d'Europe ? Et cela pendant sept ans, jusqu'à la mort du roi en 1774. Il est des ascensions sociales qui par leur fulgurance donnent le vertige et nous aveuglent.
p. 11 et 13
Le récit biographique est comme une conversation d'outre-tombe. Il faut savoir dialoguer avec les ombres. Ce sont des entretiens utiles. On y apprend des choses sur le temps qu'il fait, sur le temps qui passe et sur celui qui ne passe pas, sur les rois, sur la mort et sur soi. Comment écrire sur le XVIIIème siècle en 2023 ? Comment écrire sur une femme quand on est un homme ? Comment raconter la monarchie et la Cour quand on vit sous une république ? Et comment écrire sur un personnage "sans bruit ni trace", dont les lettres ont en partie disparu ? Il est là, le pari biographique.
Ce livre sur Jeanne du Barry ressemble à un voyage qui aurait la forme d'un rébus et ne dirait son secret qu'à demi.
p. 22
On voudra que Jeanne n'ait même pas été capable d'écrire son nom (et d'ailleurs lequel ?) sans faute d'orthographe. Derrière la légende noire, on trouve une femme cultivée, très impliquée dans les milieux littéraires de son époque. ...
... Jeanne a été la grande maîtresse des arts décoratifs de son temps, en pleine mutation esthétique et des goûts ... On quitte le goût rocaille pour un autre, plus sobre. Ce n'est pas de "style Louis XVI" qu'on devrait parler, mais de "style du Barry". ...
... Jeanne du Barry jouait de plusieurs instruments en particulier de la harpe.
Ill 10-13-19