Michel-Ange à écrit "Dieu a donné une sœur au souvenir et il l'a appelée espérance".
Était-ce une manière de dire qu'il caressait l'espoir que l'on se souvienne de lui ?
Ou alors se souvenir était-il pour lui une forme d'espérance ?
Dans ses "Vite", voici comment Vasari entame son portrait de Michel-Ange :
"Tandis que les esprits industrieux et élevés, grâce à la lumière du très célèbre Giotto et de ses successeurs, s’efforçaient de donner au monde une preuve de la valeur dont la bienfaisance de leur étoile et leur complexion naturelle les avaient doués ; tandis que, désireux d’imiter la grandeur de la nature par l’excellence de l’art, pour parvenir, autant qu’il leur était permis, à cette suprême connaissance des choses qu’on nomme généralement l’intelligence, ils se livraient aux plus grands efforts, quoique bien souvent en vain ; le bienveillant Maître des cieux tourna les yeux vers la terre, et voyant la vaine infinité de tant de fatigues, l’insuccès de tant d’études opiniâtres et la présomptueuse opinion des hommes plus éloignés de la vérité que les ténèbres ne sont distantes de la lumière, le Maître des cieux, dis-je, se décida à envoyer sur la terre un génie qui fût universel dans tous les arts et dans tous les métiers, et qui montrât par lui seul quelle chose est la perfection de l’art du dessin, tant pour esquisser, faire les contours, les ombres et les lumières, donner du relief aux choses de la peinture, introduire un jugement droit dans les procédés de la sculpture, enfin, en architecture, rendre les habitations commodes et sûres, saines,agréables, bien proportionnées et riches dans les ornements variés. Il voulut en outre douer ce génie de la vraie philosophie morale, en l’agrémentant de la douce poésie, en sorte que le monde le considérât et l’admirât comme son unique miroir, dans la vie, dans les œuvres produites, dans la sainteté des mœurs, en un mot dans toutes les actions humaines de manière enfin que cet homme fût regardé par nous comme une créature divine plutôt que terrestre."
Il est des livres qui n’en « finissent pas de dire ce qu’ils ont à dire. »
Il est des livres qui, lorsqu’ils nous parviennent, portent en eux la trace des lectures antérieures à la nôtre.
Il est des livres dont on entend toujours proclamer : « Je suis en train de le relire... » et jamais : « Je suis en train de le lire... »
Offrir à la (re)lecture quelques-uns de ces ouvrages, proprement classiques selon la définition d’Italo Calvino, tel est le cadeau que les Éditions Les Belles Lettres offrent avec leur collection "La Bibliothèque italienne".
Qu’ils aient trait à la littérature, à la philosophie, à l’histoire ou à l’esthétique, les livres de cette collection un tous en commun : d'avoir marqué non seulement la culture italienne, mais diverses cultures de l’Europe ; d'avoir suscité des nuées de discours critiques, ou d’ouvrages de seconde main, dont il importe de les dégager ; et leur lecture « les rend d’autant plus neufs, inattendus, inouïs, qu’on a cru les connaître par ouï-dire. »
Systématiquement présentés dans une édition bilingue, les textes sont travaillés avec soin, aussi bien dans l’établissement du texte original que dans la traduction française. Celle-ci est l’œuvre de spécialistes reconnus de la littérature italienne, particulièrement soucieux de restituer la saveur étonnante de ces textes où se mêlent souvent les registres les plus variés de la langue.
Pour les plus fins connaisseurs, ou observateurs, des collections de cet éditeur, chacune des ses collections porte un signe distinctif la chouette pour la collection grecque, la louve pour la collection romaine et.... Un centaure pour la collection italienne
Mais le centaures ne sont pas des mythologie grecque certes nés d’un dieu, mais d’une sauvagerie inouïe, violeurs, égorgeurs, buveurs, mangeurs de viande crue, querelleurs jusqu’au crime, les centaures vivent en bandes dans les forêts de Thessalie où il vaut mieux ne jamais avoir affaire à eux.
Celui de la nouvelle couverture, cependant, est représenté seul, sans marque d’animosité, la tête un peu inclinée, le bras levé comme pour un signe de ralliement ou d’apaisement, la poitrine offerte. Et il n'est pas interdit de penser immédiatement à Chiron, cité même par Machiavel dans "Le Prince"
Chiron qui fut un sage, éleva entre autres Achille, Castor et Pollux, Thésée, Esculape, Melampode, Pelée, Actéon, Dionysos et Hercule.
Xénophon attribue au centaure l’intelligence de l’homme jointe à la force et la rapidité du cheval.
Et comme le dit la chouette elle-même, dans l'ouvrage "Chouette & Cie" : "Nos directeurs de collection ont mis, eux, Chiron sur nos couvertures pour le saluer comme « le maître des princes » et considéré que son enseignement est un remède « aux maux de la société civile » selon les mots de Nuncio Ordine et d’Yves Hersant. Nul doute qu’après avoir inspiré Machiavel, il n’accompagne chacun dans ses lectures, en parfait pédagogue, avec autant de fermeté que de bonté."
Alors suivons-le sur les traces de Michel-Ange, le poète
Certes Michel-Ange occupé une place centrale au sein de la fameuse trinité artistique de la Renaissance : il naît en 1475, vingt-trois ans après Léonard, et huit ans avant Raphaël.
Raphaël qui lui rendra hommage dans "l'école d'Athènes", car leur rivalité légendaire cachait aussi un profond respect, il l'a représenté sous les traits du ténébreux philosophe Héraclite , qui plus est, en train d'écrire....
Cet ajout à eu lieu suite à la création de la fresque, lorsque Raphaël a admiré la voûte Sixtine, un détail visible dans le dessin préparatoire de la Pinacothèque Ambrosienne de Milan, où Michel-Ange n'apparaît pas. Une sorte de reconnaissance picturale posthume.
Dans la famille des arts comme dans toute famille, la place du milieu est inconfortable, et elle demande à son récipiendaire force et originalité pour se distinguer.
Michel-Ange n’en a pas manqué, lui qui sut se distinguer par sa terribilità et son audacia. Il fut le seul des trois artistes à marquer de son génie les trois segments des beaux-arts : peinture, sculpture, architecte. Cette plénitude humaniste fut rendu possible par la maîtrise du dessin, seul vecteur commun aux trois disciplines. Mais il manque un pan entier et souvent méconnu de son Grand Œuvre : ses écrits.
Marcel Brion écrivit : "Il caressait de son ciseau la chair du Crucifié, et en même temps un poème chantait en lui, qui était la prière qui était la prière ardente de ce siècle nouveau qui retrouvera à sa manière et sur ses propres voies le chemin vers Dieu :
« Daigne, Seigneur, te manifester partout à mes yeux, pour que mon âme, pénétrée de ta lumière divine, étouffe toute ardeur qui te serait étrangère et brûle éternellement dans ton amour.
Je crie vers toi, ô mon Dieu ! C’est toi seul que j’invoque contre mon aveugle et vaine passion. Régénère en mon cœur, par un vif repentir, mes sentiments, mes désirs et ma vertu mourante.
Tu abandonnas au temps mon âme immortelle et, captive sous sa fragile enveloppe, tu la livras au destin.
Hélas, veille sur elle, et pour la fortifier et pour la soutenir. Sans toi, elle est privée de tout bien, et son salut dépend de ta seule puissance »
Durant toute sa vie, Michel-Ange avait l’habitude d’écrire ses poèmes, soit au dos des lettres qu’il recevait, soit sur des feuilles de dessins. Parfois, nous rencontrons ainsi des sonnets ou des madrigaux complets, parfois quelques lignes, seulement, quelques mots même qui prennent alors pour nous une valeur de choc comparable à celle que possèdent les fragments d’Héraclite, d’Anaxagore, ou d’Empédocle.
Car ce n’est pas l’élaboration poétique qui s’exprime ainsi, mais la vivacité subite de l’inspiration, l’illumination, l’éclair du génie. Car le Michel-Ange poète est mu par diverses inspirations.
Son travail comme dans ce sonnet 84 :
"Tout comme en la plume et l'encre réside
le style bas, élevé ou moyen ,
et dans le marbre image noble ou vile,
selon qu'en sait extraire notre esprit ,
ainsi, cher seigneur, votre sein peut-être
abrite orgueil autant qu'humilité ;
mais je n'en tire que ce qui m'est propre
comme au-dehors le montre mon visage.
Qui sème soupirs et larmes et plaintes,
(l'eau du ciel, simple et pure, sur la terre
se fait diverse en nos divers semis),
ne moissonne que larmes et souffrances ;
qui mire en si grand deuil haute beauté,
en tire âpres peines et tourments certains."
Ou encore le sonnet 46
" Si mon grossier marteau de durs rochers
tire telle ou telle forme d'image humaine,
de l'agent qui le tient, guide et manie,
tirant son élan, il suit les pas d'autrui.
Mais le marteau divin qui au ciel demeure
les autres et soi-même orne de sa course ;
et si nul marteau sans marteau ne peut être,
de ce vif outil tout autre procède.
Or comme le coup est d'autant plus puissant
qu'il s'élève plus haut dessus l'enclume,
bien plus haut, celui-ci au ciel s'est envolé.
Dès lors mon œuvre, imparfaite, échouera,
si le divin forgeron or ne l'aide lui,
qui était unique au monde, à l'accomplir."
L'âme timide et sombre de l'artiste se confie au lecteur, attentif à la sphère privée, des désaccords religieux aux désirs amoureux, avec une mélancolie subtile qui devient la trame des sonnets, trame également précieuse pour analyser sa magnifique production artistique.
Michel-Ange est devenu l'emblème de la solitude de l'artiste et en même temps de la grandeur créatrice, de ce qu'est un homme lui seul peut créer, trouvant au plus profond de lui-même la détermination et la courage de continuer, tout en étant conscient, comme il l'écrit à la fin, de ne pas être peintre et de se retrouver dans un lieu hostile, faisant référence au contexte romain et à la cour papale.
Il ajoute dans une lettre à son père à l'hiver 1509 : « Moi J'ai encore une grande imagination, [...] parce que mon travail n'avance pas d'une manière qui me semble le mériter. Et c'est là la difficulté du travail, et encore ce n'est pas ma profession. Et pourtant, je perds mon temps en vain. Dieu aide moi" »
Et on ne peut s'empêcher de s'émouvoir sur certains sonnets comme celui-ci, l'un des derniers de l'ouvrage, sur la mort qui le hantait particulièrement
SONNET 295
Certain de ma mort, mais non de son heure,
ma vie est brève, et il n'en reste guère ;
ce séjour charme nos sens, mais non l'âme,
qui me supplie sans cesse de mourir.
Le monde est aveugle et son triste exemple
détruit et submerge tout vertueux usage ;
éteinte est la lumière, enfuie toute assurance,
le faux triomphe et le vrai reste coi.
Ah, quand donc, Seigneur, viendra ce qu'attend
qui croit en toi ? Chaque nouveau retard,
brisant l'espoir, de mort menace l'âme.
À quoi bon promettre tant de lumière
si mort la devance et, sans nul remède,
fixe à jamais l'état où elle nous surprend ?
Di morte certo, ma non già dell'ora,
la vita è breve e poco me n'avanza ;
diletta al senso, è non però la stanza
a l'alma, che mi prega pur ch'i' mora.
Il mondo è cieco e 'l tristo esempro ancora
vince e sommerge ogni prefetta usanza ;
spent'è la luce e seco ogni baldanza,
trionfa il falso e 'l ver non surge fora.
Deh, quando fie, Signor, quel che s'aspetta
per chi ti crede ? c'ogni troppo indugio
tronca la speme e l'alma fa mortale.
Che val che tanto lume altrui prometta,
s'anzi vien morte, e senza alcun refugio
ferma per sempre in che stato altri assale ?
Une chose est certaine j'ai bien fait de suivre Chiron, et que après l'espoir de pouvoir lire l'intégralité de ses Rime, j'en garderais un souvenir magnifique...
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