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3.25/5 (sur 2 notes)

Nationalité : France
Né(e) : 1960
Biographie :

Tel Quel était une revue de littérature d'avant-garde, fondée en 1960 à Paris aux Éditions du Seuil par plusieurs jeunes auteurs réunis autour de Jean-Edern Hallier et Philippe Sollers. La revue avait pour objectif de refléter la réévaluation par l'avant-garde des classiques de l'histoire de la littérature.

Source : Wikipédia
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26 février 2013 Art press est né quand Beaubourg n'était encore qu'un grand trou, attendant qu'on y dresse le Centre Georges-Pompidou. L'art minimal s'imposait à New York, là où venait d'ouvrir The Kitchen, foyer de toute une génération nouvelle de danseurs et de performers. Aujourd'hui, le magazine montre le palais de Tokyo rénové et disposant désormais de 22 000 m2 pour exposer l'art contemporain et interviewe l'artiste chinois Ai Weiwei, assigné à résidence par les autorités de son pays. Pour une liberté d'expression inconditionnelle, contre tous les sectarismes et les archaïsmes, d'Andy Warhol à Jeff Wall, de Jacques Lacan à Jean-Paul II, de Tel Quel à Michel Houellebecq, de Pierre Boulez à Christian Marclay, ce sont 40 ans de vie artistique et littéraire que retrace cet album. Une large sélection de couvertures et d'articles met en lumière quatre décennies d'existence d'un magazine indépendant, considéré comme le meilleur en France dans son domaine, et qui ne manque jamais d'être partie prenante des débats esthétiques et des combats idéologiques de son époque. Sous la direction de Catherine Millet. Préfaces de Nicolas Bourriaud, Olivier Kaeppelin, Maurice Olender, Alfred Pacquement.

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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
 Tel quel
Rien de plus original,rien de plus "soi" que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait de mouton assimilé.
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 Tel quel
DENIS ROCHE
POUR EZRA POUND

, Tel Quel n°11

« Et Kung dit : sans caractère vous ne seriez pas capables de jouer de cet instrument
Ou d’exécuter la musique qui convient aux Odes.
Les fleurs de l’abricot flottent de l’est à l’ouest,
Et j’ai essayé de les empêcher de tomber. »
Canto XIII, trad. René Laubiès.


« Je partirai d’un fait élémentaire : l’organisme vivant, dans la situation que déterminent les jeux de l’énergie à la surface du globe, reçoit en principe plus d’énergie qu’il n’est nécessaire au maintien de la vie : l’énergie (la richesse) excédante peut être utilisée à la croissance d’un système (par exemple d’un organisme) ; si le système ne peut plus croître, ou si l’excédent ne peut en entier être absorbé dans sa croissance, il faut nécessairement le perdre sans profit, le dépenser volontiers ou non, glorieu­sement ou sinon de façon catastrophique [7]. »
La catastrophe côtoie la gloire. Et il en est des catastrophes comme des séries botaniques : certaines, qui à leur lancée ont le net contour de l’évidence, s’élèvent en flèche, lancent leurs vrilles quêteuses, et dans le heurt brutal qui accomplit l’inno­cence de leur fête, jettent leurs flammes comme graines au vent. La course se prolonge aussi bien par d’autres feux, feux de rampes ou feux de champs, les braises en resteront longtemps chaudes. Nous ne savons pas de quelles lueurs Ezra Pound déroule les tresses, dans les roseraies italiennes qui le verront mort. Depuis sa sortie de l’hôpital psychiatrique Sainte-Elizabeth et sa mise en liberté en avril 1958, Pound est retourné vivre dans sa chère Italie, aux bons soins de sa fille Marie, princesse de Rachewiltz. Il a trouvé la vieillesse là où il ne l’attendait pas : entre les siestes au balcon de la tour et les promenades avec ses petits-enfants Patricia et Walter. Il arrive aussi que des visiteurs venus d’autre-Atlantique y viennent chercher l’écho de sa prodigieuse vitalité créatrice.

.
Voici le « paysage avec tour » de Kandinsky, daté de 1909 : un paysage de nuit avec ciel de goudron bleu où flottent quatre taches blanches, une grosse dans la partie gauche vrillée d’une silhouette noire de haut d’arbre, et trois petites à l’extrémité droite là où le goudron plus clair tend à s’escamoter. En dessous une nature rebondie où dominent l’olivâtre et les jaunes noircissants avec des débuts de surfaces plates jaunes et roses genre champs. Enfin vers la gauche de la toile, « en marge » du bouillon natu­rel, cette tour au-dessus des murs qui serait aussi bien cheminée de fabrique que longue bande d’affiche phosphorescente sortie de la nuit au hasard d’un tournant sur quelque route d’Ardèche. Et c’est aussi surprenant. Les plages colorées de Kan­dinsky qui s’amenuisent vers l’excitation en supprimant ce qui, en deçà de cette continuelle joute rétinienne, marquait alors toute peinture. Le passage des compositions numérotées de 1909 aux premières aquarelles abstraites de 1910 est une taille à vif dans la chair des chevaux bondissants montés par ces sortes de bédouins dont la seule existence est resserrée dans l’arrondi du dos arqué par l’effort. Bédouins couchés, burnous gonflés et allongés endormis, femmes violettes précipitées dans quelque creux où les couleurs brutales de fournaise des parties supérieures de la toile font place à la terre claire. Fourmillement de plages (un degré plus éloigné du « cloi­sonnisme » de Pont-Aven). Et voici l’aquarelle abstraite : fourmillement alors non plus de la plage mais des grains qui en faisaient la continuité [8]. Le trait, non pas la ligne, mais tout ce qui arbitrairement définit une continuité musicale, lyrique. Car c’est bien de lyrisme qu’il s’agit et non plus de « motif ». « Tout d’abord mon âme est remplie par une sorte de disposition musicale ; « l’idée » poétique ne vient qu’en­suite », disait Schiller. Mais si c’était justement cette « disposition » que le poète se contentait de transcrire en en rejetant l’« idée » à l’infini ?
L’éloignement de l’idée, par son escamotage systématique, ou par sa multipli­cation. Par son rejet à l’infini chez Kandinsky, par sa multiplication, son fourmille­ ment chez Pound qui, par le heurt successif du vers, met les correspondances poétiques au rythme des accidents. Il serait intéressant d’étudier en détail la notion de « démultiplication » qu’implique pour Kandinsky le passage du figuratif à l’informel, et pour Pound le passage de la période « imagiste » à celle des Cantos. L’échelle des vitesses, non pas de composition, mais de perception, n’est plus la même. Et cela est sensible non seulement pour le peintre et le poète, mais aussi pour celui qui regarde ou lit.

C’est sans doute aussi de là qu’est née l’idée chez Kandinsky de la « théorie du contact efficace » qui prendra chez Pound durant les années de guerre et pendant les fructueuses années 20 toute sa signification. C’est un véritable « dévoilement » qui va s’opérer au long de plusieurs années, au détriment des images brutes, à la Amy Lowell, du début, et au profit « des Interactions et des tensions mêlées » qui composent la valeur énergétique des Cantos.
Alors que l’Imagisme américain sentait déjà le plâtre qui est l’apanage des mou­vements littéraires révolus, c’est-à-dire revenus à leur point de départ et désireux d’entreprendre une nouvelle tournée, Ezra Pound songe à la quête future. Dans une récente interview accordée à la Paris Review, à Rome, Pound fait remonter ses premières tentatives de Cantos à 1904-1905 : « Le problème était de trouver une forme — quelque chose de suffisamment élastique pour supporter le matériau nécessaire... Évidemment tout le monde n’a pas une bonne petite carte routière comme on en avait pour le ciel au Moyen Age. Seule une forme musicale pouvait servir de support, et l’univers confucéen tel que je le vois est un univers de tensions et d’efforts mêlés. » Tel sera dès lors le mobile des activités poundiennes :en acteur consommé d’une fuite à l’échelon des année se vouloir aussi de tous les rôles, de toutes les ambiguïtés, acteur énervant et caustique en continuelle exhibition (ne supportant pas qu’un ami marche à sa hauteur et de son pas, ou écrivant à Roosevelt pour lui signaler des erreurs typographiques dans un de ses livres, avec des manières d’archange...), mais aussi bien souffleur dont ce n’est f>as le moindre mérite de faire vaciller toute flamme de chandelle sur la scène. Et qui du groupe théâtral sait mieux où se cache l’impunité ? Pound s’est délibérément voulu celui ·qui assiste au déplacement du centre d’intérêt qui avait prévalu depuis le Moyen Age. L’odeur des fleurs de l’abricotier vient désor­mais de l’Est.
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4/

Sur le rôle des élites intellectuelles ... En France on s’agite beaucoup autour des questions idéologiques et de telles discussions paraissent bien souvent aux yeux des Américain comme un signe d’impuissance. Seriez-vous d’accord avec un jugement de ce genre ?

Oui, dans l’ensemble vous avez raison. Ce qui me frappe surtout, c’est que malgré la conviction profonde de la supériorité du pragmatisme, de l’empirisme sur l’idéologie, il y a pas mal de débats qui sont au fond des débats idéologiques au sein de l’intelligentsia américaine. Si vous prenez, par exemple - on ne peut pas dire un mouvementent -, mais une tendance, comme celle qui est représentée par Commentary il s’agit d’une tendance idéologique, c’est-à-dire, un certain libéralisme qui vire au conservatisme, qui prend position contre une partie du Tiers Monde, contre ce qu’ils considèrent comme le déclin d’un système de valeurs dans la société américaine, etc. C’est une idéologie qui ne veut pas se reconnaître comme telle. Mais, au fond, il y a cette certitude que l’absence d’idéologie est une force. Moi, je ne suis pas d’accord. Mais, enfin, il est vrai que les Américains, en général, ont beaucoup de mal à comprendre les débats idéologiques.

Il y a aussi une tradition américaine de méfiance à l’égard des intellectuels.

Oui, méfiance, ou alors, tendance à les cantonner dans un rôle de spécialiste, ou expert. Avec d’ailleurs, quelques exceptions. Je crois que, de ce point de vue, l’intelligentsia de New York est une exception. New York est une ville européenne et vous avez des tas de clans ou de chapelles à New York qui rappellent beaucoup Paris. La différence, si vous voulez, c’est que Paris, c’est la France, et que New York n’est pas les Etats-Unis. Mais le Français qui passe quelque temps à New York se trouve chez lui vite, parce qu’il y a des clans très tranchés, il y a des querelles qui sont à la fois des querelles de personnes et des querelles d’idées. Mais cela ne se retrouve pas ailleurs et les Américains, en général, ont du mal à prendre les idéologies au sérieux. Ils ont du mal à croire qu’un ensemble de valeurs constitue une idéologie. Beaucoup de mal.

C’est peut-être aussi une question de compétence ...

Je ne suis pas sûr. Je crois que ça tient au fait que dans cette société qui s’est formée à partir d’éléments très disparates, il y avait une peur terrible de la cassure. Et il y a eu l’horrible cassure de la guerre de Sécession. D’où une espèce de volonté générale de ne pas reconnaître les différences idéologiques, de les minimiser, de créer un maximum d’homogénéité, par peur de ce qui se passerait s’il y avait des différences idéologiques. Alors qu’en Europe il n’y avait pas ce choix. Les idéologies étaient là au départ et il a fallu vivre avec. Mais ici il n’y avait pas vraiment de différences fondamentales entre les pères fondateurs - il y avait des nuances, mais pas de vraies différences. Ensuite, on a tout fait pour empêcher que les arrivages successifs d’immigrés européens ne reproduisent en Amérique les idéologies qu’ils avaient laissées derrière eux Mais il y a des différences idéologiques aux États-Unis. Ce qui est intéressant, ce n’est pas de constater qu’elles existent - elles existent partout -, c’est de voir qu’on évite de les pousser jusqu’au point où elles deviennent des systèmes idéologiques clos.

On a certainement plus tendance à considérer les différences ethniques comme plus importantes aujourd’hui qu’il y a dix ans.

Oui, c’est vrai. Remarquez, les différences ethniques ont été recréées, presque ressuscitées par le problème noir. Là, vous avez un phénomène très visible à Boston et dans d’autres villes, c’est-à-dire, les vieilles ethnies irlandaise, polonaise, etc., qui, en quelque sorte, réaffirment leur identité, devant la montée des Noirs qui sont arrivés dans les grandes villes du nord depuis vingt ans. C’est une réaction spécifique. Mais toute la tendance, depuis le début, et c’est visible dans les Federalist Papers, toute la tendance a été de multiplier les lignes de clivages, pour qu’il n’y ait pas seulement des clivages idéologiques. Si bien que l’Amérique est horriblement difficile à comprendre. Elle est beaucoup plus facile quand on peut tout réduire à deux classes ou à deux idéologies. Je crois que les Français connaissent assez peu l’Amérique et ont toujours tendance à simplifier.

Pour en revenir aux élites intellectuelles... Je suis frappée par le fait que le Français moyen semble beaucoup respecter les experts.

Ici aussi.

Mais je vois mal ici ce genre de débat télévisé entre) par exemple) un Attali et un représentant du patronat français qui touche aux aspects très techniques de l’économie. Les débats entre Ford et Carter sont tout autre chose.

Mais là il faudrait faire un certain nombre de distinctions. Je crois que dans les deux il y a un respect assez poussé des experts. Les économistes sont pris terriblement au sérieux. Mais la différence, c’est qu’en France, vous avez des castes et, au fond, la plupart des Français admet qu’elles gouvernent. Et le Français moyen ne peut que souhaiter que son fils entre dans cette élite, devienne polytechnicien, énarque ou normalien. Aux États-Unis, il n’y a pas acceptation d’un système de castes. Certainement pas d’acceptation publique. Et il n’y a pas le monopole des grandes écoles. C’est une grosse différence.

Une autre différence essentielle, c’est que la France reste un pays extraordinairement centralisé. Et, par conséquent, un débat entre deux économistes, un de gauche et un de droite, prend immédiatement une allure nationale. Alors que l’Amérique est un pays sans centre. Vous pouvez avoir un débat entre deux économistes de renommée mondiale et on le saura dans la ville où ils sont et pas dans la ville à côté. C’est une différence énorme.

Il y a aussi une différence qui est plutôt pittoresque, mais qui me frappe beaucoup. C’est qu’aux Etats-Unis, il a une séparation énorme entre l’intelligentsia et les média. Alors qu’en France, de ce point de vue-là, on est beaucoup plus élitiste. L’idéal de tout intellectuel français est de paraître à la télévision et l’idéal des média, j’ai l’impression, est d’avoir leur écurie d’intellectuels. [...]
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Tel Quel n°11

N’exagérons rien. Jamais Pound n’a été ce « dernier Américain vivant la tragédie de l’Europe », rôle qu’il a quelquefois paru affectionner. Que l’on se réfère à l’opinion de ses amis de Paris, Sylvia Beach, Joyce, Hemingway, ou aux innombrables écrivains débutants ou célèbres qu’il fréquenta à Londres, New-York, Paris ou Rome ; Pound s’est d’abord voulu l’arbitre des mouvements, celui qui dirige, celui qui force les maisons d’édition et obtient que soient reçus ceux qui n’avaient pas son audace.
En 1907 Pound voyage en Espagne, en Italie, en Provence, à Londres.
En 1914 il passera son voyage de noces en Provence où ilinitiera sa jeune épouse aux beautés de la langue d’oc (Dorothy Shakespeare, fille d’un professeur d’astro­ nomie) [9].

De 1917 à 1919 il est le représentant à Londres de la Little Review de Chicago. En 1920, il est le correspondant du Dial à Paris.
Enfin, en 1924, il s’installe en Italie d’où il ne cessera de faire rayonner son activité littéraire, d’organisateur et de créateur.
La coupure, ou plutôt le tournant, car à aucun moment Pound ne cherchera à se libérer totalement de la pensée occidentale, se situe en 1907, à Londres, où Pound
reçoit de la veuve d’un expert d’art japonais Ernest Fenollosa, les notes de ce dernier concernant la transcription de poèmes chinois en japonais et enfin en prose anglaise. J’ai emprunté à G. S. Fraser l’explication suivante [10] : dans leur structure aussi bien que dans leur vocabulaire, le chinois et le japonais n’ont pratiquement aucun lien. Cependant le japonais s’écrit à l’aide de caractères chinois ou « idéogrammes », avec l’aide d’un syllabaire. Un idéogramme aurait une expression sémantique plutôt que phonétique, ce qui permet aux Chinois de communiquer par l’écriture alors qu’ils parlent des dialectes souvent très éloignés les uns des autres ; comme si les Occidentaux avaient un idéogramme qui puisse se prononcer aussi bien « chien » que « dog ». Ainsi le nom « Li-po » devient en japonais « Rihaku ». Grâce aux idéogrammes, il est possible à un Japonais lettré de transposer un poème classique chinois en japo­nais, alors qu’il serait incapable de parler chinois (ce que G. S. Fraser appelle sight­ translation). C’est ce que fit Ernest Fenollosa à partir d’un grand nombre de poèmes chinois classiques. Pound édita les travaux de Fenollosa et écrivit une introduction à son essai sur Le caractère écrit chinois. En même temps, Pound se liait d’amitié avec le philosophe-poète T. E. Hulme (il fut tué pendant la première guerre mondiale) et avec le poète F. S. Flint tous deux grands amateurs de « haïku » et de « tanka ». Écoutons Fraser : « Les haïku et les tanka sont extrêmement concis, allusifs, et ellip­tiques ; ils présentent sans commenter ; ils impliquent une certaine disposition d’esprit, un certain état de sensation ; ils sont images et non concepts... » Malgré Robert Frost, dont l’influence alors était déjà grande, et qui voulait assujettir la nouvelle poésie américaine à la rigoureuse métrique anglo-saxonne [11], Pound va opérer une véritable révolution poétique. Non seulement il fit sien cet axiome de Cummings « un poème est ce qui ne peut pas être traduit [12] », mais il en tirera parti d’une manière particuliè­rement ambiguë : tout au long de l’élaboration de ses cantos, il est manifeste que Pound écrit des poèmes dans le même état d’esprit que celui dans lequel le peintre Tobey exécutera ses tempéras quelques années plus tard. Le poème n’est plus « cette porte qui s’ouvre à un doigt mystérieux », ou encore cette « masse puissante de sono­rités » chères à Maurras. De même que, selon Manessier, « la non-figuration semblait la chance actuelle où le peintre pouvait le mieux remonter vers sa réalisation intérieure », le poème pour Pound devient l’occasion d’un renouveau constant de la yision poétique, non pas par les thèmes, encore que ceux des cantos soient de continuels dépassements, mais par le fait qu’échappant aux impératifs de la prosodie et de la métrique, le poème garde cette « instantanéité » dans le déroulement qui fait que les lecteurs de Pound, comme les amateurs de Tobey ou des premières aquarelles abstraites de Kandinsky, ne sont plus analystes mais observateurs. L’Art Museum de Seattle conserve de Tobey un tableau peint en 1942, intitulé « Formes poursuivant l’homme », dont le titre seul, et la facture remarquable, sont déjà une incitation à cette échappée. Je crois, malgré sa vie même qui fut toute d’action et de recherche de la gloire, de la gloriole devrais-je dire, que Pound s’est apparenté par certains côtés, orientalisme surtout, mais aussi constante recherche du dépassement lyrique, à ces romanciers, peintres, ou poètes américains que caractérise un incessant va-et-vient mystique. Pound a semé ses Cantos d’aphorismes confucéens qui prônent un certain mode de vie et de pensée, une attitude de recueillement propre au renouveau passif. Il parle sans cesse, lorsqu’on l’interroge, de « tensions » et d’ « interactions ». C’est exactement, et c’est extrêmement frappant, l’ « espace vibrant » de Tobey. On sait que, pour échapper au « cauchemar climatisé » d’une Amérique vouée à l’industrialisation et à l’avance à marches forcées vers un Taylorisme du travail et du loisir, Tobey cherchera le réconfort spirituel dans la foi persane Baha’i, interprétée par divers groupes à travers les États-Unis. Pound, comme Tobey, est le sage pour qui tout est .« accident » : « L’important c’est de rester neuf devant l’expérience, prêt à en saisir le nouvel apport. La conception qu’a l’Orient de la valeur de l’accidentel peut être un de ces apports. L’accident peut nous ramener à une prise de conscience de l’essentiel si nous savons l’accepter. Si nous savons l’employer, il peut permettre la création artistique [13] »
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L’anthologie de la nouvelle poésie américaine publiée en France en 1928 par Eugène Jolas, aux éditions Kra, présentait aux lecteurs français deux poèmes d’Ezra Pound, dont la seule gloire était alors d’avoir fondé l’Imagisme aux côtés de Hilda Doolittle (qui ne signait jamais que H. D.). Je me permettrai ici de citer l’un de ces deux poèmes qui préfigure de façon remarquable le dessin des Cantos à venir :

APPROCHE DE LA GUERRE ACTÉON
Une image de Léthé et des champs
Pleins de lumière frêle mais d’or,
Des falaises grises
et au pied desquelles Une mer
Plus âpre que le granit,
pas calme, n’arrêtant jamais ;
Des formes hautes
au mouvement de dieux,
Aspect périlleux ;
Et l’un d’eux dit :
« Voici Actéon. »
Actéon aux grèves d’or Sur de belles prairies,
Sur la figure fraîche de ce champ-là,
Pas calme, toujours en mouvement,
L’armée d’un ancien peuple,
Le cortège muet.

Alors que paraît la traduction française du poème, Pound, en Italie, se laisse de plus en plus gagner aux idées qui germent, à cet espoir d’Age d’Or qui court les rues populeuses et amène chaque jour de nouvelles adhésions au mouvement fasciste. Dès lors commence cette épopée un peu trouble qu’on ne pardonnera jamais au rénégat Pound qui n’avait jamais été particulièrement tendre pour son pays. Il ne publie rien, mais en échange il parle beaucoup à la radio fasciste, il vitupère contre les Alliés, contre les Juifs, contre ses anciens amis. Et pourtant en 1942, Pound essaie de prendre le train diplomatique qui rapatrie un grand nombre d’Américains qui habitaient l’Italie ; mais le gouvernement américain fait opposition. « Il est temps de mettre un terme à l’appui que nous avons toujours donné à Ezra Pound » ; ainsi commençait un éditorial de la revue Poetry en avril 1942 : « Aussi loin que nous soyons concernés, aussi loin que soit concerné le monde littéraire anglo-saxon, il a effectivement écrit le mot « Fin » au bas de sa longue carrière d’enfant terrible du génie. »

c. Mai 1945, dernier des Cantos Pisan
En 1945, Ezra Pound est interné par les Américains à Pise où il passera six semaines dans une sorte d’enclos grillagé sans toit, mais où, dit Fraser, « il avait droit à trois couvertures ». Il compose alors un premier jet des Pisan Cantos et traduit des textes de Confucius. En novembre de la même année, Pound est rapatrié aux États-Unis et envoyé à l’hôpital psychiatrique Sainte-Elizabeth, dans les faubourgs de Washing­ton. Il y traduit une pièce de Sophocle et le Livre des Odes chinois, tout en continuant de travailler à ses Cantos. Il est examiné par une commission médicale chargée de statuer sur sa responsabilité en vue de son jugement pour haute trahison. Voici le rapport final de la commission :
« Le défendeur, aujourd’hui âgé de soixante ans et en assez bonne forme physique, fut un étudiant précoce, spécialisé dans la littérature. Il s’est expatrié volontairement pendant près de quarante années, vivant en Angleterre et en France, et passant les vingt dernières années en Italie, en vivant tant bien que mal de sa poésie et de ses articles critiques. Sa poésie et ses articles critiques ont trouvé partout une large audience, mais durant les dernières années sa production littéraire s’est trouvée contrecarrée par ses préoccupations d’ordre économique et par ses théories monétaires. Depuis longtemps on le considère comme excentrique, querelleur, égoïste. Actuellement, il paraît se rendre très mal compte de sa situation. Il prétend que ses émissions à la radio n’avaient rien d’une trahison, mais que toutes ses activités radiophoniques décou­laient de la mission qu’il s’était donnée de « sauver la Constitution ». Il est anormale­ ment grandiloquent, expansif, exubérant dans ses manières et dans sa façon de parler, qui est décousue du fait qu’il est très distrait. A notre avis, sa personnalité, depuis longtemps anormale, souffre d’une déformation prolongée due à un état de paranoïa qui le rend impropre à aider en quoi que ce soit son avocat, ou à participer raison­nablement et intelligemment à sa propre défense. En d’autres termes, il n’est pas sain d’esprit, et, mentalement, il est incapable de passer en jugement. Il doit être transféré dans un hôpital psychiatrique [14]. »
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3/

Une autre question à propos de la contestation. Plusieurs auteurs ont trouvé les racines de la contestation en France dans un système scolaire qui tend à aiguiser le sens critique, à valoriser l’individualisme, mais qui rend incapable de travailler en groupe. Ne pensez-vous pas que les besoins de la société technologique actuelle vont renverser ce système scolaire ?

Mais oui. Je crois que cela a dû commencer. Certainement. [...] On mûrit plus vite, etc. Je crois qu’une des raisons du ’malaise du système scolaire en France vient du décalage entre les élèves qui voudraient davantage d’initiative, de liberté, de diversité, aussi, dans les options, dans le choix des études, et un corps enseignant qui était en grande partie formé a 1’ancienne manière. Il est amusant d’ailleurs de voir que dans tous les projets de réforme de l’enseignement, on s’attaque aux organigrammes. On ajoute ceci, on enlève cela aux matières enseignées, mais on ne s’attaque au fond jamais beaucoup à la pédagogie. Et les enseignants, quand on leur demande s’il ne faudrait pas changer les méthodes d’enseignement, répondent qu’ils ne sont pas là pour faire de la psychothérapie. Ils ont des connaissances, ils sont là pour distribuer les connaissances et c’est tout. Là, je crois qu’il y a une cause de contestation évidente. Et de ce point de vue-là, même si les formes de la contestation ont été quelquefois les mêmes en Amérique et en France, les racines en sont beaucoup plus profondes en France. Il y a, dans le système scolaire, comme dans le rapport avec la société en général, des causes de mécontentement qui sont plus profondes que celles d’ici qui étaient assez liées, pas exclusivement, mais assez liées à la guerre du Vietnam et cela a passé très vite. C’est extraordinaire de voir que les jeunes gens qui arrivent, qui ont dix-sept, dix-huit ans, pour eux les histoires de contestation sont à peu près au même plan que le Moyen Age. Ils en ont vaguement entendu parler s’ils ont de grands frères qui sont passés par là. Mais sinon...

Il y a une autre différence, car en France la gauche est largement soutenue par le corps enseignant.

Oui, mais alors là il y a un porte-à-faux terrible en ce sens que les enseignants sont idéologiquement contestataires du système politique et social, mais ils sont, du point de vue du comportement personnel, extraordinairement conservateurs. Si la gauche, en fait, n’a pas de programme de réforme de l’enseignement, c’est à cause de ça. Et quand on parle de temps en temps à des socialistes bon teint, et on leur demande ce qu’ils font pour l’enseignement, ils sont assez francs pour dire que ce n’est pas exactement la priorité des priorités. C’est très facile d’être idéologiquement à gauche, de vouloir changer le statut de l’entreprise, de vouloir nationaliser les trusts, ça se passe chez les autres et ça n’empêche pas qu’on soit extrêmement conservateur quand il s’agit de toucher au système de l’enseignement. Je crois d’ailleurs que c’est un trait très répandu en France et qui trompe beaucoup les gens qui étudient les pays à travers les sondages d’opinion. C’est le divorce très fréquent entre l’opinion et le comportement. On est extrêmement audacieux en opinion, mais on ne veut rien changer à son mode de vie, à ses rapports avec son groupe de référence. Tout doit changer, et si tout le reste change, on changera aussi, mais pas avant. C’est une forme admirable de conservatisme avec bonne conscience et c’est quand même très frappant dans les syndicats d’enseignants, mais pas seulement dans les syndicats d’enseignants.

Il y a aussi la sécurité de l’emploi qu’il ne faut pas mettre en cause.

Oui, bien sûr. Là, je crois que la gauche, si elle arrive au pouvoir, aura de petits problèmes.
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Les Américains et les Français épinglés par Stanley Hoffmann

Cet entretien a plus de 30 ans, il a été publié dans Tel Quel 71-73, « Spécial Etats-Unis », automne 1977. Les propos de Stanley Hoffmann(*) ont été recueillis à Harvard, par Nancy Blake.

(*) Professeur de sciences politiques à Harvard, né en 1928 en Autriche,
Stanley Hoffmann a toujours été au carrefour de deux cultures. D’une part, il a poursuivi ses études de droit et de science politique en France, où il était arrivé à l’âge de deux ans. D’autre part, il s’est très vite installé aux États-Unis (1955), au c ?ur de la guerre froide, pour enseigner dans la prestigieuse université de Cambridge, Harvard (Massachusetts). Particulièrement attentif à l’évolution des relations transatlantiques, il peut, ainsi, nous faire profiter d’un double regard : à la fois européen et américain.


Contenu daté ? Dépassé ? Jugez vous-même ! Extraits :

N. BLAKE : ...De toute manière les Français discutent plus que les Américains.

S. HOFFMANN : C’est très drôle, vous savez, le style des discussions est tellement différent. Ici, on minimise les oppositions. Ce qui donne des choses ahurissantes. Par exemple, on engage des projets où on laisse très soigneusement tous les problèmes importants pour la fin parce qu’on sait qu’on n’est pas d’accord. Alors on commence par les questions secondaires, qu’on règle. Ensuite, une fois le climat créé, on en vient aux problèmes importants, qui, en principe, commandent tout le reste. On procède comme une écrevisse, on fait tout à l’envers. En France, c’est le contraire. Le résultat, c’est que, comme on commence par ce qui divise les gens, on arrive très souvent à rien. Du point de vue de la satisfaction de l’esprit, c’est plus logique, mais pas très efficace. Ici, c’est parfaitement exaspérant du point de vue intellectuel, mais ça marche.

Prenez le style des discussions en France, ce sont toujours des monologues juxtaposés. On maximalise les différences entre les gens. Ici ce sont des méandres interminables ; personne n’y trouve son compte. Je suppose que les gens apprennent cela à l’école. Je ne sais pas, je ne suis pas allé à l’école en Amérique. Mais je suppose que cela doit tenir de la façon dont on apprend aux enfants de travailler ensemble, de minimiser les questions de personnes. La facilité, à l’Université, qu’ont les gens qui se détestent de travailler ensemble n’a pas, après vingt ans fini de m’étonner. On met ça entre parenthèses. Cela explique, par exemple, que vous pouvez avoir des phénomènes de contestation, comme ceux de 68-70, et que cela ne laisse pas beaucoup de traces. Or, quand on revient de l’Université française, on a l’impression que tout reste encore empoisonné par les prises de position d’il y a huit ans.
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2/

Les Américains et les Français ont tendance à revendiquer le concept d’individualisme comme trait de caractère national. Peut-on comparer l’individualisme dans les deux pays ?

[...] Bien sûr on peut le comparer. Il y a des points communs et puis des différences. Je crois que le point commun c’est, dans les deux cas, une méfiance assez grande à l’égard de l’État. Une méfiance qui va très loin dans les deux pays contre toute espèce de totalitarisme. Je crois qu’au fond c’est une des raisons pour lesquelles, finalement, le fascisme n’a jamais très bien marché France. C’est-à-dire que l’individu est là pour se décider tout seul sans que les autorités extérieures lui disent quoi faire. Mais je crois qu’il y a des différences assez profondes. [...]

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, je crois que c’est en train de changer, il y avait [...] en France [...] une certaine tendance à opposer l’individu, non seulement à l’État, mais à la société, alors qu’aux États-Unis, ça n’a jamais été le cas. Ça a toujours été - de Tocqueville en parlait déjà - une société où des gens se groupaient entre eux. Alors qu’il y avait une méfiance à l’égard de ’État, vous avez, en échange, un très fort conformisme social, ce qu’il appelait la tyrannie de la majorité, c’est-à-dire, une très forte tyrannie des petits groupes. [...] Si bien qu’une des choses qui a toujours frappé le visiteur français aux États-Unis était justement tendance des Américains à se grouper, à former toutes sortes d’associations.

Une autre différence c’est que les Américains, lorsqu’ils parlent d’individualisme pensent surtout à l’économie, c’est-à-dire à toute la mythologie, et aussi la réalité de la concurrence, l’esprit d’entreprise, la loi du marché. Alors qu’en France, la concurrence, loi du marché, vous avez un petit secteur de la population, les hommes d’affaires, qui croient, et le reste, ceux qui n’y croient pas du tout, qui ne le pratiquent pas. Alors vous avez des nuances assez fortes.

Il y a une autre différence assez forte, les Américains, tout en se méfiant de l’État, les Américains ont quand même un sens civique assez développé. En France ce n’est pas toujours le cas. Alors vous avez ici un individualisme qui est assez compatible avec l’État, dans la mesure où l’État est considéré comme démocratique, ou du moins comme représentatif. Tandis qu’en France, l’individualisme a pris sa forme la plus typique dans les livres d’Alain, c’est-à-dire, le citoyen contre les pouvoirs. Les pouvoirs sont mauvais, élitistes et arbitraires par essence, donc, non seulement il faut s’en méfier, mais le mieux est de se tenir à distance, et puis, si on peut tricher, on triche.
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Il y a dans la magie…


Extrait 1

Il y a dans la magie
l’immixtion perpétuelle
de dieu
non comme un esprit
ou comme un être
mais comme un état
plus carié
        du cœur
Car qu’est-ce que c’est que le cœur ?
        Une carie
une carie perforante de chair
dont l’attendrissement
a fait cet organisme
de sang mou
et battant
ce séisme perpétuel
cette syncope de la vie.
Qu’est-ce qu’un battement de cœur ?
Une vie qui s’arrête brutalement de fluer,
d’abonder là,
et qui repart.
Poussée par quoi ?
On ne sait pas.
Une nécessité déjà noire,
une avarie menaçante du cerveau,
qui relève l’étron de chair rouge
et le pousse à donner
ce qu’il a
à dire
ce qu’il veut et
ce qu’il a. –


//Antonin Artaud (1896 – 1948)
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 Tel quel
5/
...vous ne seriez pas d’accord avec certains Français qui voient la révolution venir de l’Amérique ?

Non. Ce que vous avez, c’est beaucoup d’expérimentation. La possibilité d’introduire pas mal d’innovations dans toutes sortes de domaines : dans la façon dont marche l’Université, par exemple. Mais à condition de ne pas mettre en cause les fondements du système. Il faut donc faire la différence entre liberté d’innovation et faculté de transformation révolutionnaire. La première oui, la seconde, pas du tout. Une fois qu’on accepte le système de base, alors là on peut expérimenter beaucoup plus facilement qu’en France, où tout doit venir d’en haut. La France me paraît toujours condamnée à l’alternance, immobilisme-révolution. Alors qu’aux États-Unis, vous avez affaire à un réformisme conservateur. Mais les deux sociétés sont au fond conservatrices, comme la plupart des sociétés relativement prospères sont conservatrices.

Aux États-Unis les pauvres ne sont pas organisés, ils sont même relativement dispersés et paumés. Ce n’est pas de là que viendra la Révolution. Même dans une année où on célèbre le bicentenaire de la Révolution(*).

(*) Précisons que l’entretien a été réalisé, quelques mois avant sa publication, le 15 octobre 1976. C’était encore l’année du Bicentenaire de l’Indépendance des Etats-Unis, évènement pour lequel la Poste française a émis le présent timbre commémoratif.
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