L'auteur anglaise Aga Lesiewicz répond aux questions du blog "Mes p'tits lus" au sujet de son livre "Regarde-moi". Qui vous observe quand vous vous croyez seul ?
En savoir plus sur le livre "Regarde-moi" : https://bit.ly/2tXBIfV
Mes p'tits lus : https://mesptitslus.com
Après "À perdre haleine", Aga Lesiewicz livre avec "Regarde-moi" un thriller urbain claustrophobe, dérangeant, qui se joue de nos terreurs les plus intimes.
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Si je m'en sors, me dis-je, je serai une vraie bonne sœur jusqu'à la fin de ma vie .
Je pousse un soupir d'aise, décroche mon téléphone et demande à Claire de descendre me chercher un double latte allégé à la cafétéria. J'ai la migraine, et ma vessie est à deux doigt d'exploser après tout le café ingurgité chez moi. Je file aux toilettes, où j'aperçois mon reflet dans l'impitoyable miroir éclairé au néon. Mes yeux sont injectés de sang, mon visage bouffi, j'ai les mains qui tremblent. Le chemisier que j'ai enfilé ce matin est d'un vilain vert gueule de bois. La journée va être rude.
Tu es seule dans ton âme, déclare-t-elle.
Et évidemment qu'elle n'en parlera pas à son mari, à cause du secret médical et tout ça... mais je me demande s'il n'y a pas que dans les séries policières qu'on voit ça. Je parie que, dans la vraie vie, les médecins passent leur temps à colporter des ragots sur leurs patients.
C'est fou comme les journées passent vite , quand on ne travaille pas.
Je m'oblige à regarder la photo. Il n'y a pas de doute. La femme morte sur la photo, c'est moi. Et je sais qui est mon assassin.
L'un des endroits les plus paisibles de Londres vient d'être entaché par un nouvel acte de violence brutal et aberrant . J'ai le sentiment que quelqu'un m'a délibérément privée d'une des choses que je chéris le plus , un endroit que j'associe à l'idée de liberté, de bien-être, de spontanéité
La vidéo s'achève, et je continue à fixer mon ordinateur, digérant ce que je viens d'entendre. La commissaire établit un lien entre les viols, bien qu'elle ne le dise pas clairement. La moindre information pourrait lui permettre d'arrêter cet homme. Arrêter cet homme, me dis-je. Elle pense donc qu'il recommencera. Je repasse la vidéo, et cette fois-ci j'ai l'impression que c'est à moi qu'elle s'adresse. Vous détenez peut-être une information capitale. Est-ce le cas ? S'agit-il d'une information pertinente ? Est-ce à moi de le dire ? Ai-je l'obligation morale de rapporter ce qui s'est passé avec le mannequin Dior à la police . J'hésite, incapable de me décider.
Du point de vue des grandes entreprises, c'est un principe économique de base : il est bien plus rentable d'embaucher des gamins inexpérimentés mais peu chers que de se saigner aux quatre veines pour des producteurs d'âge mûr qui savent ce qu'ils font mais coûtent un bras. La qualité du travail est secondaire.
On croirait qu'il ne s'est rien passé. C'est ça, la vie, me dis-je : on efface toute trace de chaos, on fait disparaître ses blessures sous un tissu cicatriciel, on guérit.