Mes espoirs sont instantanément tués dans l'œuf. Je tente de masquer ma déception et les larmes qui manquent de poindre en levant la tête vers les étoiles pour y chercher un vain réconfort.
Les minutes me paraissent des heures.
Chaque muscle de mon corps me fait souffrir. Les jambes recroquevillées sous le menton et le dos meurtri au contact d’un tuyau froid et rouillé, je suis forcé de patienter, espérant qu’ils n’auront pas la mauvaise idée d’ouvrir ce maudit placard.
Les bruits en provenance du salon me parviennent
étouffés, m’empêchant de saisir les propos que mes parents échangent avec nos visiteurs.
Ils sont deux, comme toujours.
Un homme et une femme.
Sans les avoir jamais vus, ils me sont pourtant familiers.
Leurs bottes laissent invariablement des flaques que maman s’empresse de faire disparaître dès qu’ils franchissent le seuil de notre appartement.
Comme pour effacer leur passage.
Mais rien ne peut effacer le spectre de la peur.
Hébété, je fixe le cercle de métal qui ceint mon poignet. La tension et le rejet - dont me parlait Lénaïa dans son édifiant récit - me heurtent de plein fouet. J'avais en effet ressenti, à quelques reprises, la défiance de certains badauds à notre égard, mais c'est la première fois que je l'expérimente, si franchement assumée.
Je suis abasourdi. Ma poitrine se serre devant tant de haine, de violence même.
J’étais d’un naturel plutôt calme. Facile à vivre et d’humeur égale selon les dires de mes proches. Mais, mon défaut — parmi tant d’autres — était de garder trop longtemps mes émotions enfouies, d’encaisser jusqu’à arriver à saturation. Dès lors, quand la cocotte minute était pleine et que le bouchon sautait, je pouvais sortir de mes gonds et entrer dans une fureur incontrôlable.
Hulk, vous connaissez ?
Norah et moi, ça a été un véritable coup de foudre. De ceux dont on rêve secrètement, mais auxquels on n’ose croire. De ceux qui vous font oublier toutes les autres femmes. De ceux qui vous font vous agenouiller au bout de six semaines et vous mènent devant l’autel deux mois plus tard. De ceux qui sont les prémisses d’un amour inconditionnel, couronné par une ribambelle de bambins joufflus.
Les différentes essences d’arbres avaient revêtu leurs parures aux couleurs chatoyantes de l’automne. Les érables, les alisiers et les frênes rivalisaient d’atouts pour remporter la palme du plus beau dégradé d’orangé. Les séquoias, les pins des landes et autres cèdres bleus, trônaient fièrement en apportant leur indéfectible touche de vert à la palette.
Norah ne semblait pas une habituée des anxiolytiques. Du moins, n’en avais-je trouvé aucune trace. On pouvait aisément imaginer qu’elle en avait pris, exceptionnellement, pour se calmer et se donner du courage avant d’aller au rendez-vous, et que sa prise de médicament n’avait rien à voir avec moi ou avec notre couple. En tout cas, je voulais le croire.
Il faut essayer de stimuler ta mémoire un maximum. Rester dans ta coquille ne te sera d’aucune aide.
Elle a semblé ne pas vraiment apprécier ma remarque. J’y étais peut-être allé un peu fort. Mais je voulais tout tenter pour l’aider. Et cela me semblait une très bonne idée. Braquée, elle a tout de même consenti à recevoir l’invitée.
Il faut vivre sa vie à fond. Sans rien regretter.
Car, quelle que soit sa durée, la vie est courte.
Toujours trop courte.
Elle avait l’air sereine et fragile à la fois. Le soleil et la lune. C’était tout le paradoxe de sa personnalité. Elle pouvait se montrer très forte, mais je savais qu’au fond d’elle-même, elle gardait des blessures qui la rendaient vulnérable. Et c’était mon devoir de la protéger, même si j’ignorais la nature de ses démons.