Pot-Pourri d'Alain Gerbault Ecrit par Sacha Guitry pour Yvonne Printemps. Compositeur Albert Willemetz :
Bonsoir, Madame la Lune, Bonsoir (bis) C'est votre ami Gerbault qui vient vous voir, Bonsoir, Madame la Lune. Sur mon bateau, au fil de l'eau, Je m'en vais là-bas vers le large, Je navigue en rêvant où me pousse le vent, Devant moi et toujours en avant, Pourquoi je fuis Paris, son bruit, Pourquoi je me suis mis en marge, M'éloignant sans regret Voyageant sans arrêt...
Il ricane, semble conscient d'une supériorité imaginaire et considère avec le plus grands mépris ces monuments de ses ancêtres païens. Et pourtant ceux-ci avaient une civilisation, une culture, étaient de grands navigateurs et des artistes, et lui, comme tous ses contemporains dominés par la civilisation blanche, a perdu la science du passé, ne fait qu'imiter les blancs et ne crée plus rien.
(Avec le voilier Firecrest, Alain Gerbault réussit la première traversée de l'Atlantique d'est en ouest en solitaire et sans escale. Toujours sur le Firecrest il fut le premier Français a accomplir le tour du monde en solitaire, avec escales.)
Une précaution contre l'exploitation publicitaire.
(...) je fus obligé de donner un nom à mon (nouveau) bateau, ce que j'avais toujours remis à plus tard, parce que je ne voyais toujours aucun nom pour lui. J'avais même songé, (...) à lui donner le nom de mon vieux bateau, mais il ne pouvait y avoir qu'un seul Firecrest et ce nom avait été terriblement exploité, à mon grand déplaisir, par des commerçants avides de profit.
J'avais toujours refusé tous contrats de publicité et n'avais jamais cherché que par mes livres à payer les dépenses de mes croisières. Plusieurs commerçants, sans mon assentiment, s'étaient emparé du nom du Firecrest, notamment une maison des Champs-Elysées, pour lancer un couteau de marine, et une maison de champagne pour lancer un champagne de qualité très inférieure. Sur mes observations, le fabricant de couteaux avait répondu qu'il avait déposé le nom de Firecrest dans la catégorie coutellerie et articles de voyage, qu'il vendrait ce couteau parce qu'il y trouvait profit et qu'il m'interdisait de fabriquer des produits similaires si l'envie m'en prenait.
De telles choses me déplaisaient fort, car de nombreuses personnes croyaient que je touchais des droits sur ces différents articles. Il me déplaisait de voir exploiter ce nom de Firecrest que j'avais tout de même seul contribué à rendre célèbre. Faire un procès très coûteux, (...) j'aurais au plus obtenu l'interdiction de la vente, aucune indemnité, et j'aurais joué le jeu de ces commerçants en leur faisant de la publicité. Je décidais donc de ne rien faire et je ne puis dire ici que mon déplaisir de cette utilisation du nom Firecrest. Mais je désirais éviter que le nom de mon nouveau bateau ne soit ainsi exploité.
Après de longues démarches (...) j'apprenais que pour protéger ce nom j'avais à le déposer dans deux cent spécialités différentes. (...)
Dans ces conditions ma décision fut vite prise de donner au successeur du Firecrest le seul nom qui m'appartint réellement, le mien.
( En donnant ses prénom et nom à son second bateau, il pouvait éviter les utilisations publicitaires non consenties car on ne peut utiliser le nom d’une personne sans son autorisation.)
J'ai pu constater qu'en Afrique, contrairement à ce qui se passe en Polynésie, la religion musulmane a su protéger la race indigène en lui conservant sa fierté. Et je préfère certes à l'attitude résignée des races qui se laissent mourir, celle de l'Arabe qui crache par terre quand passe le chrétien. Tant que subsiste la fierté, tout espoir n'est pas perdu.
Pendant les quinze jours que je passai à Gibraltar je travaillai dur, préparant ma longue traversée. (...)
Enfin, tout fut prêt, j'étais "paré". Avant d''appareiller, j'envoyai à quelques amis la carte postale suivante :
300 litres d'eau ;
40 kilos de biscuits de mer ;
15 kilos de beurre ;
24 pots de confiture ;
30 kilos de pommes de terre ;
avec une petite flèche pointée vers un but mystérieux et cette vague indication : 4500 milles.
Je désirais qu'en cas d'insuccès ma tentative demeurât ignorée, et si quelques amis savaient que j'étais parti pour une longue croisière, deux intimes seuls connaissaient mon projet de tenter la traversée de l'Atlantique sans escale.
(Alain Gerbault ne le sait pas encore mais il va entrer dans l'Histoire en étant le premier navigateur à traverser l'Atlantique en solitaire et sans escale.)
Je suis seul. Seul entre le ciel et la mer.
La personnalité des citoyens d'une république qui porte une devise de liberté et d'égalité devrait être respectée par les gouvernants. Ceux-ci, au contraire, se sont mis eux-mêmes à l'abri des lois qu'ils appliquent, alors qu'ils devraient être responsables de la gestion du pays, comme un capitaine est toujours responsable de la marche de son navire et va même jusqu'à passer en conseil de guerre en cas de naufrage. Hélas ! les régimes parlementaires sont basés sur l'irresponsabilité des dirigeants, alors qu'il serait souhaitable d'avoir des chefs, ayant des comptes à rendre, et non placés au-dessus des lois.
Dans cette petite île n'existent pas tous les parasites de la justice des grands pays, justice lente et fort coûteuse, devenue une machine trop compliquée, dont la seule raison d'être, est, semble-t-il, de faire vivre une armée de fonctionnaires.
Bien que je n’aie atterri que depuis quelques jours, j’aspire déjà à lever l’ancre et à reprendre le large et la vie de marin. Et, je me mets à rêver. Comment donc suis-je devenu marin ? Comment ce goût de la mer m’est-il venu ?
J’ai passé la plus grande partie de ma jeunesse à Dinard, près du port de pêche qu’est Saint-Malo, le pays des fameux corsaires, gloire de notre Marine, il y a deux cents ans. Lorsque mon père ne m’emmenait pas avec lui sur son yacht, je m’arrangeais toujours pour passer la journée sur la barque d’un pêcheur.
C’est à Saint-Malo que les rudes pêcheurs bretons équipent leurs bateaux pour les voyages périlleux aux bancs de Terre-Neuve, ou aux zones poissonneuses d’Islande.
Déjà mon ambition était de posséder une petite embarcation. Une fois, mon frère et moi avons économisé assez d’argent pour acheter un bateau dont un autre se rendit propriétaire avant nous.
J’enviais la vie des pêcheurs bretons et je frémissais au récit de leurs prouesses d’endurance et d’audace.
"Hors de l'eau est sortie la terre et là-dessus ont poussé les hommes."
Dans une maison amie près de New York, une soirée calme, si calme que je me demande si mon extraordinaire aventure des mois derniers est bien arrivée. Par la fenêtre, j’aperçois le détroit de Long Island et le mât de mon petit Firecrest, à quelques centaines de mètres de là, le long de la jetée de Fort Totten. Ce n’est pas un rêve. J’ai traversé seul l’Atlantique et je suis maintenant aux États-Unis. Il y a moins d’un mois, dans les tempêtes au milieu de vagues immenses, j’avais à lutter à chaque instant pour défendre ma vie contre les éléments. J’ai là, sous la main, mon livre de bord que j’ai fidèlement tenu, même par les plus gros temps. J’en tourne les pages, où l’eau de mer n’a pas encore tout à fait séché, et mes yeux tombent sur ce passage de ma croisière.