Depuis dix minutes, j'observais le combat que menait Bob contre le sommeil. La lutte était inégale. Sa tête basculait d'avant en arrière, et il ne sursautait plus depuis cinq bonnes minutes. Je savais, pour l'avoir déjà secoué à la fin de deux ou trois réunions, qu'il dormirait bientôt... comme nous tous si Roger continuait à ce rythme. À croire que son séminaire en animation de réunion ne lui avait servi à rien ! Tipit m'avait même glissé, alors que Roger entamait le septième point :
— J'espère qu'on lui a aussi appris à réanimer, sinon on est foutu.
— Messieurs, je compte sur vous. Le navire sombre mais le capitaine n'abandonnera pas ses galériens, regard affectueux et personnalisé sur chacun de ses hommes. Allez, on retourne au travail.
Les grognards promus au rang de galériens se dispersèrent lentement. La journée était terminée. Il était dix-sept heures cinquante.
— Au fait, il n'y a pas eu d'accident aujourd'hui ?
— Non, tu n'iras pas au courrier demain.
— À ton avis, je les ai vexés en disant « galériens » ?
— Pas de problèmes, Roger, l'assurai-je.
Derrière lui, je voyais Tipit qui faisait des moulinets avec une barre à mine et Bob qui battait la mesure en tapant sur la benne à cartons.
— Pas de problèmes, Roger, répétai-je.
Mélissa me bombardait de questions, amicalement, de manière plutôt désordonnée mais obstinément. Sa curiosité était rafraîchissante ; elle n'avait qu'un seul défaut : elle dessinait impitoyablement les contours de ma valeur ajoutée. Je fis ce que je pus pour gagner du temps. J'eus recours au jargon prononcé d'une voix définitive, aux descriptions un peu vagues, à quelques mensonges pas trop graves, mais après quelques heures, je me retrouvai acculé. Elle n'allait pas tarder à cerner les limites de son entraîneur jockey. Ensuite, viendrait le temps de le remettre en question pour finir par le limoger après avoir reparlé de cette malheureuse affaire au Qatar. Ce que je voulais à tout prix éviter. Je décidai donc de passer à autre chose.