Pour être honnête je ne sais pas faire grand chose de mes dix doigts. C'est le problème quand on est passé à côté de sa vie durant vingt ans. J'ai vécu dans une bulle, une bulle qu'on avait créée pour moi, et quand elle a éclaté, je me suis rendu compte à quel point j'étais creuse. C'est foutrement douloureux.
Le simple contact de ses lèvres contre les siennes avait suffi à réveiller la faim qui sommeillait en Lucrèce, et sans même s’en rendre compte, elle avait passé ses bras autour de son cou pour l’attirer davantage contre elle.
Elle connaissait ce sentiment. Elle avait déjà été au bord du précipice autrefois. L’obscurité s’était emparée de son être, prenant chaque jour de l’ampleur, et le pire était que Céleste avait refusé de le voir. Elle avait nié avec ferveur les changements subtils décelés par ses proches. Le maquillage sombre autour de ses yeux. Ce besoin irrépressible de s’en prendre à son corps. Ce corps, le seul coupable qu’elle pouvait atteindre puisqu’elle ne pouvait s’en prendre ni au véritable responsable, ni à son âme meurtrie.
Je suis double, une face pour la lumière, une face pour l’ombre, dans la seconde je me complais, car une fois installée, la noirceur est en nous pour toujours.
Il n’y avait eu aucune tendresse dans leurs étreintes, seulement une urgence, un besoin irrépressible de mêler leurs chairs jusqu’à l’épuisement.
Personne ne lui avait jamais fait l’amour de cette façon.
Lucrèce avait aimé ça. Non, pire, elle avait adoré ça. C’était un cliché digne d’un roman à l’eau de rose, mais elle se sentait différente en sa présence, libérée des convenances, prête à céder à la moindre de ses exigences sans pudeur aucune. Il la faisait tout simplement se sentir femme, comme aucun autre avant lui. Son sourire s’élargit, illuminant son visage.
Une vraie midinette.
Je traverse le jardin en titubant. Mes jambes sont douloureuses, et mes mains couvertes de sang. Le soleil se lève, mais pour moi il fait encore nuit.
Il faut que je lui parle. J'en ai besoin. [...]
- Jo ?
Je chuchote. Mes yeux s'habituent péniblement à la pénombre. Les draps sont défaits, mais le lit est vide. Je me dirige vers la salle de bain attenante à sa chambre. La porte est fermée. Je toque doucement contre le panneau en bois.
- Jo ?
Pas de réponse. Je tourne la poignée, et me fige.
Depuis, Lucrèce avait soigneusement évité de s’attacher à qui que ce soit. Elle avait déjà trop perdu, son cœur ne pourrait résister à une autre blessure. Et, pourtant, Édouard avait fait tomber toutes ses défenses. C’était incroyablement stupide, parce que ce dernier était un véritable nid à emmerdes et un coureur de jupons. Elle l’avait immédiatement compris. Ce qui ne l’avait pas empêchée de plonger tête la première dans ce bourbier, bafouant au passage toutes ses valeurs.
Une femme, entièrement nue, était allongée sur le ventre, à même le sable blanc, les jambes légèrement écartées. De profondes lacérations scarifiaient la peau de son dos. Du sang avait coulé le long de ses côtes, pour se répandre autour de son corps telle une auréole écarlate. On ne voyait pas son visage, camouflé par ses longs cheveux blonds étalés à la manière d'un soleil autour de son crâne.
Oui, il avait le sens du détail, c'était indéniable.
Nous héritons forcément quelque chose de notre famille. Il y a évidemment la transmission du patrimoine génétique, de la culture, de l’éducation, de certaines valeurs, mais pas uniquement. Il y a aussi la transmission de la vie psychique entre générations. Un phénomène en général inconscient, qui peut parfois être à l’origine d’une souffrance inexpliquée, d’un mal-être ou même déclencher des symptômes physiques.
Il se passa une main sur le front, complètement sonné. Alors c'était cela que sa dulcinée lui dissimulait depuis plusieurs semaines. Céleste avait beau être une excellente menteuse, Will la connaissait par cœur. Il avait senti que quelque chose clochait, rien qu'à sa façon de se comporter en sa présence. Elle était constamment sur qui-vive, aux aguets. Les représailles. Voilà ce que Céleste redoutait.
Elle avait déjà trop perdu, son cœur ne pourrait résister à une autre blessure. Et pourtant, Édouard avait fait tomber toutes ses défenses. C’était incroyablement stupide, parce que ce dernier était un véritable nid à emmerdes et un coureur de jupons. Elle l’avait immédiatement compris. Ce qui ne l’avait pas empêchée de plonger tête la première dans ce bourbier, bafouant au passage toutes ses valeurs.