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Critiques de Amélie Lucas-Gary (19)
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Grotte

"Je suis le gardien d’une grotte, je vis juste au-dessus. Dessous, c’est creux, étroit, frais, humide et silencieux. Je me répète souvent ces mots ; ils résonnent et réconfortent ma solitude."



Les présentations maintenant faites, sachez que la-dite grotte en question est fermée depuis des années au public. Trop de monde, trop de vibrations, elle était prête à s'écrouler, les dessins préhistoriques - les premiers bisons dessinés sur ces parois rocheuses, d'un ocre orangé, c'est magnifique - menaçaient de s'effacer, par toutes ces caresses, cet oxygène aspiré, ce monoxyde recraché. Le gouvernement a décidé de faire une réplique, plus vraie que nature, pour les visites. Depuis, je suis le gardien d'une grotte qui ne se visite plus. J'ai les clés pour descendre, m'y engouffrer et par plaisir j'y descend comme on descendrait à la cave chercher une bouteille de Monbazillac ou de Pacherenc du Vic-Bihl.



Je suis un oublié de ce monde, ou presque, de temps en temps, de plus rarement, on me fait encore un petit signe, signe que je ne suis pas encore entièrement sous terre. Et là, j'ouvre l'antre. A qui le voudrait bien. Du coup, c'est une galerie de portraits qui défilent devant moi. Une femme que l'humidité des lieux émoustille, un abbé plus philosophe que religieux, le petit-fils d'un führer ou un barbu qui voyage de grottes en grottes, il dit s'appeler Oussama... Bref énormément de monde dans une vie qui passe dans ce coin-ci, même Philippe Bouvard, c'est dire la notoriété (datée) d'une telle grotte, ou d'un tel premier roman. Finalement trop de monde pour moi, pourtant quoi de plus beau métier que gardien d'une grotte oublié, je délaisse la grotte pour la cave, y chercher un single malt et passer à d'autres lectures... Je sais c'est court, mais à la cave ou dans la grotte, le clair de lune ne passe plus, alors je ferme les yeux et m'endors vers d'autres cieux littéraires. Mes excuses, Amélie, à une prochaine rencontre. Je retourne à mon Cave ( & the Bad Seeds)...
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Graciano & Co

Graciano & Co est un ouvrage pluriel paru entre le Soufi et Johanne, en 2022. Il s'ouvre d'ailleurs par un extrait inédit qui retrace un évènement imaginaire de la vie de Jeanne d'Arc. Vient ensuite un entretien puis diverses critiques générales de l’œuvre de l'auteur.

C'est donc au choix soit un très bonne introduction aux textes si spéciaux de Marc Graciano, soit un complément pour ceux qui l'aiment déjà et connaissent son style inimitable et si inhabituel dans la littérature contemporaine.



L'extrait qui occupe la moitié de l'ouvrage est à l'image des autres textes de Graciano ; rythmé par une langue riche, vivante, martelée, précise, ancrée dans le réel par des mots techniques et anciens, mystique aussi, ouverte aux interprétations, ancrée dans la nature et un opaysage, les arbres, l'humus.



L'entretien éclaire un peu les influences de l'auteur, sa volonté, ses peurs, ses passions, sa volonté en tant qu'artiste, ce qu'il aime et aime moins... On retrouve un homme très cohérent avec son œuvre, je trouve !



Et enfin les quelques critiques qui clôturent le livre offre d'autres regards, d'autres expériences autour des livres de Graciano que je ne peux qu'encourager tout le monde à lire...
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Grotte

Voici un roman étonnant auquel on s’attache immédiatement, les mémoires du gardien d’une grotte, qui présente de fortes similitudes avec celle de Lascaux, également ornée de peintures pariétales, découverte durant la seconde guerre mondiale, et fermée au public pour éviter sa dégradation avec la réalisation d’un fac-similé à proximité.



«Je suis le gardien d’une grotte, je vis juste au-dessus. Dessous, c’est creux, étroit, frais, humide et silencieux. Je me répète souvent ces mots ; ils résonnent et réconfortent ma solitude.»



Ce gardien reclus au sommet de sa colline, et qui va jouir d’une longévité inespérée dans cette fonction, raconte ses aventures vues du ventre de la grotte, miroir des obsessions et peurs de l’époque actuelle, et de toutes les fantasmagories de la grotte-matrice.



«Je veux transmettre le souvenir de cette vie en retraçant ici certaines de mes aventures les plus folles. Vue d’une petite grotte, repli isolé dans le creux d’une colline, cette histoire donnera pourtant une idée de l’époque agitée que nous avons traversée, et dont vous avez peut-être entendu parler. Qui connaît le temps qui me lira ?»



Obsessions de la ressemblance et de la copie, volonté de se nourrir de la célébrité de la grotte, protection contre les menaces diverses d’une société mondialisée…, chaque nouveau chapitre nous transporte en terrain inconnu, réaliste, onirique, fantastique, ou simplement décalé et drôle, tandis que la modeste ambition solitaire du gardien se modifie, et que son désir protéiforme de protéger la grotte ou de façonner sa légende grandit.



«Au fil des ans, sans qu’il y eût de passage souterrain, la grotte devint ma cave. Dans les caves, on séquestre les petites filles, on enterre des cadavres, on perd ses illusions, on réalise ses fantasmes, on cache ce qu’on refuse de voir, on range ce qu’on veut garder oublie, on imagine le pire. C’est souvent dans les vieilles maisons qu’il y a des caves. C’est souvent elles qui y sont les plus anciennes. C’est largement le cas ici.»



Avec une écriture limpide, Amélie Lucas Gary réussit un premier roman très réjouissant, avec ce gardien surprenant qui semble être une métaphore de l’artiste en devenir.

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Grotte

Un premier roman décalé, mi-sérieux-mi-ironique. Enfin, plutôt une suite de petits chapitres mettant en scène la grotte et le gardien, comme de petites nouvelles avec unité de lieu et de narrateur. Celui-ci traverse les époques, tel un immortel, abreuvé à une source de jouvence, il accueille donc énormément de gens différents. Amélie Lucas-Gary s'inspire de faits réels, on ne peut évidemment que penser à Lascaux et ses fac-similés, mais pas seulement. Il y a la visite de la Première dame, avec son Président de mari (souvenez-vous de la visite de l'ancien président à Lascaux en 2010), le mouvement des Irrités, Philippe Bouvard, ... Ces faits ou personnages réels sont une base à partir de laquelle l'auteure construit une histoire irréelle parfois saugrenue. Bref, une galerie folle et éclectique.

Au fur et à mesure que j'avançais dans ma lecture, je me disais que c'était bien sympathique mais finalement assez vain, et puis, petit à petit, le manque de profondeur ressenti (le comble pour une grotte !) s'estompe et laisse place à des réflexions plus intéressantes sur sa place dans la société, la manière de vivre, la liberté. La grotte est omniprésente, tour à tour lieu de vie, de mort, d'éternelle jeunesse et d'amour (qui m'a immédiatement fait penser à Monde profond d'Eric Pessan)

Un roman loufoque, drôle, absurde qui se lit très agréablement servi par une langue travaillée et fluide : "Elle [la maison du gardien] était grosse, bien trop énorme pour une seule personne, elle ressemblait cependant à une cabane, conçue dans l'urgence puis rafistolée, boursouflée comme un blockhaus en doudoune, trop habillé en été. Ni l'harmonie ni l'équilibre n'avaient présidé à sa conception ; c'était sûrement ce qui lui donnait ce cachet exotique. Elle impressionnait comme une excroissance, sans que l'on sût de quel corps elle aurait été la triste protubérance." (p.125/126) Une langue qui fait aisément naître des images, la preuve cette maison, sans description technique, on la visualise assez bien.



Bref, un bon roman dans la lignée de ce que présente Christophe Lucquin, bien écrit avec un gros zeste de folie douce, la légèreté en plus. Un premier roman à découvrir livré dans sa robe blanche au point bleu, qui ici, vous l'avez sûrement remarqué, se creuse comme une grotte.
Lien : http://lyvres.over-blog.com
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Féticheuses

Une photographie prise au Dahomey en 1930. Et ce qu’elle peut déclencher de manière volontaire et involontaire. Beaucoup plus qu’un magnifique exercice de style sous contrainte.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/26/note-de-lecture-feticheuses-amelie-lucas-gary/



Fléchette est une collection conçue par Céline Pévrier et Adrien Genoudet aux éditions sun/sun, éditions à qui l’on devait déjà bien des textes étonnants (que l’on songe par exemple aux brefs, denses et flamboyants « Il paraît que nous sommes en guerre » de Pierre Terzian, « Et seuls les chiens répondent à ta voix » de Tarik Noui, et « Le noir dedans » de Thomas Vinau, ou bien au plus ample mais tout aussi décapant « Le dernier cri », de Pierre Terzian à nouveau).



Fléchette, en étroite association avec les Archives de la Planète, entreprise de documentation visuelle conduite par le mécène passionné Albert Kahn entre 1909 et 1931, propose à une sélection d’autrices et d’auteurs de s’emparer d’une seule parmi les quelque 72 000 images autochromes du fonds conservé à Boulogne-Billancourt, dans la maison même du banquier, devenue musée départemental, et d’imaginer à partir de cette image un texte d’une petite cinquantaine de pages, à leur entière discrétion quant au registre à choisir, essai, document, poème ou nouvelle. Après Philippe Artières, Hélène Gaudy, Marie-Hélène Lafon et Fanny Taillandier en 2022, Amélie Lucas-Gary est l’une des quatre autrices et auteurs à qui s’est vu proposer l’exercice en 2023, pour publication en novembre de la même année.



Que ce soit dans ses saisissants romans, « Grotte » (2014), « Vierge » (2017) et « Hic » (2020), ou dans des travaux plus courts à l’étrange et rusé détour poétique, « Trois crimes » (2021) et « qu’avez-vous vu » (2023), Amélie Lucas-Gary nous a amplement démontré par le passé comment elle pouvait extraire du sens à un degré quasiment mythique d’un matériau donné, qu’il soit (pré-)historique, subtilement géographique ou (faussement, bien entendu) infra-ordinaire.



« Féticheuses » ne déparera certainement pas dans ce qui pourrait bien déjà être une forme de palmarès. Avant de se « lancer » dans cette photographie, en succombant finalement au regard si direct et si intrigant d’une féticheuse dahoméenne des années 1930 (Derek Munn, lui aussi, dans son si impressionnant « L’ellipse du bois » de 2019, avait su recréer la magie intime et politique de l’analyse des Ménines de Velazquez par Daniel Arasse, en appliquant ses stratagèmes personnels et machines Enigma sous licence à un cliché de Bill Brandt, faisant émerger un garçon d’un bois en 1936), l’autrice convoque en un sérieux sourire innocent les tours et détours, les affres même, les mystères à élucider en tout cas, du choix : pourquoi cette photographie plutôt que telle autre ? « Leurs visages ne me disent rien » : cette simple remarque résonnera, lourde de sens multiples, tout au long de cette incursion dans l’archive autochrome.



Explicitant ce qui intervient dans le creux de sa prise de décision, fût-ce avec le secours pseudo-aléatoire d’un globe terrestre décidément trop riche en océans, Amélie Lucas-Gary déchiffre pour nous, patiemment, certains des secrets grisants de l’écriture sous contrainte, même lorsque celle-ci semble d’abord se limiter à l’unicité forcée d’un choix et à la chance du regard incisif d’une Africaine depuis longtemps disparue.



Le choix de ce cliché béninois avant la lettre (et donc absolument pas bénin, en effet) conduit presque naturellement Amélie Lucas-Gary, sans qu’elle ait aucunement besoin de forcer le trait, vers le contexte plus ou moins implicite de la présence de ces féticheuses : bien avant l’ouverture ethnologique, les missions aussi froidement militaires et impériales que religieuses et civilisatrices (on pensera aussi bien au Gauz de « Camarade papa » qu’au Frédéric Sounac de « L’histoire navrante de la mission Mouc-Marc ») qui ont envahi le continent africain avant et après le congrès de Berlin de triste mémoire (tel qu’il trône par exemple au cœur de « La bataille d’Occident » d’Éric Vuillard). C’est là, dans l’exploration directe et indirecte des points aveugles de cette photographie, de ses conditions de production, exploration qui peut aussi s’accomplir par un détour onirique et fantastique si nécessaire, que se révèle pleinement la puissance – intersectionnelle sans effort apparent – du travail d’écriture accompli ici, ayant accepté la contrainte pour mieux souligner aussi bien la richesse réelle que l’ambiguïté fondamentale du travail de cartographie et d’archivage – de cette volonté de savoir qui ne peut totalement rester innocente (comme le soulignait d’une tout autre manière le grand Sami Tchak de « Le continent du Tout et du presque Rien »). Et c’est ainsi que cette fléchette supplémentaire s’avère particulièrement salutaire.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Grotte

Une écriture où l'on croit parfois entendre Amélie Nothomb, ce que j'estime bien être un compliment. Avec un plus : le tour un brin déjanté des événements et l'aspect irrévérencieux de certaines situations. L'auteur n'a pas peur, ce qui est rare dans un premier roman.
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Grotte

La plus célèbre grotte d’art pariétal du monde et son (très) étonnant gardien.



Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/10/01/note-de-lecture-grotte-amelie-lucas-gary/

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Vierge

J’ai commencé plusieurs fois Vierge (Seuil, 2017) d’Amélie Lucas-Gary. Plusieurs fois j’ai commencé les premiers mots, les premiers lents vertiges de la situation initiale, et cela non pas en raison de la difficulté du texte ou de ses platitudes, mais pour la joie de recommencer quelque chose dont on pressent à ces quelques lignes qu’il va ouvrir une langue, un horizon qui nous plaisent. Parce que précisément il n’y a pas d’horizon à Vierge, pas de cap certain : on s’accroche au bastingage d’un paquebot dans la nuit et on parle. On légende la nuit et la vie pour un auditoire un peu anonyme d’officiers de bord, entre deux quarts. Il y a là un plaisir trouble, mélancolique, indéfini.



C’est la narratrice sur le paquebot qui raconte l’histoire de sa mère, la Vierge dont le titre énonce le simple mystère. Une histoire de Vierge prise en récit dans la voix de sa fille impossible, née de l’immaculée conception à une époque où « les miracles devenus certitudes, rien n’était plus impossible. » Alors que des films et séries récents, de L’Apparition à Il Miracolo, diffusent ce parfum d’encens ou de benjoin, Amélie Lucas-Gary choisit de se détourner de tous les cierges de plastiques, de ne pas jouer le jeu en demi-teinte de cette passion du savoir-non-savoir, du suspens infini de la Grâce et de l’Événement.



Rapidement la question de l’aberration génétique, du passage de l’ange Gabriel, ou - comme la Vierge elle-même l’imagine - d’un enfantement par excès de masturbation, toutes ces hypothèses se dissolvent vite pour la lectrice et le lecteur. C’est la fuite en avant d'Emmanuelle (nom à la fois de la catin et de "dieu parmi nous"), Vierge fuyant la rumeur et l’opprobre qui font toute la passion que l'on peut avoir pour ce livre. Ce sont toutes ces aventures incroyables qu’elle vit dans une géographie subtilement déplacée qui nous intriguent, tandis que les focales changent, et que, par morceau, le paquebot fantôme réapparaît et nous rappelle que l’énonciation provient de cette femme, fille de la Vierge, parlant dans sa nuit pleine de brouillard et d’une étrange tristesse.



« L’origine s’échappait comme un fantôme à la fin. »



A défaut de la recherche de l’origine, Vierge remonte aux origines baroques du roman, à une multiplicité où les devenirs se croisent se multiplient. Où tout dérive et se multiplie, où l’on parcourt tous les genres, tous les tons. Il y a quelque chose du carnaval dans ces épisodes presque fantastiques, s’apparentant à une forme de récit dont on n’a plus l’habitude : quelque chose du conte et du roman satirique, quelque chose que l’on n’a pas besoin de situer, car nous décalant de nos repères. Le livre remonte ainsi aux origines bâtardes du roman en choisissant le thème même de la non-hybridité, celui de la virginité immaculée et pourtant enceinte de mondes et d'histoires.



Ce qui est beau dans ce livre est la surprise de cette écriture et de ce décalage auquel on ne s’attend pas. Si le discours du maire à Saint-Denis se termine dans un lynchage carnavalesque où les rois sont nus, c’est le voyage lui-même qui semble amorcer le basculement dans l’étrange (le rire est là comme « passage », se marquant par un train raté, raté car parti... en avance). C'est à Engean où Emmanuelle se rend chez sa cousine que le portrait de celle-ci semble introduire définitivement l'atmosphère qui ne fera que se prolonger  : « Elle avait de grands yeux très brillants, envahis par des iris dont le noir se confondait avec celui des pupilles ; deux noirs si indistincts que ses pupilles semblaient toujours démesurément dilatées. Et il n’y avait pas de place pour le blanc dans ses yeux : l’ombre qui s’étirait jusqu’aux paupières frôlait les cils – une encre brune menaçait de couler et d’évider ses orbites pour l’aveugler. »



A la suite de cette première étape c’est tout le reste du carnaval qui se déroule, du Nord au Sud, avec les grossesses hystériques, les manifestations anti-vierges, les rencontres érotiques, les cérémonies rituelles tournant à une scatalogie mystique, les aléas familiaux et amoureux, la liste est longue. « Après Engean, j’ai marché sans trop planifier : La Souve, Laumnes, Élang, et la Vergaugne, pour voir les volcans. J’ai suivi deux hommes à La Burle, puis à Suire, j’ai passé un temps fou à Gagnes, au bord de l’Antonne. J’ai pris un train pour Maraison, en pensant aller voir ta mère, mais j’ai décidé de revenir. »



Tout s’enchaîne, avec vitesse, comme dans un rêve bizarre, sans l’onirisme poli du surréalisme, avec sensualité et une familière étrangeté (comme ces noms de localité).



Chaque épisode étonne et vibre d’une grande liberté, faisant résonner un monde foisonnant d’images, de paroles, de sensations, tantôt réalistes, souvent farfelus (mais de Michaux à Chevillard, la chose n'est pas mal). Et comme fil, la relation de la Vierge à son Enfant est traité avec une rare beauté. Entre l’indifférence, l’inquiétude, le corps qui se transforme, toute mythologie de l’éternel féminin est défait au profit d’un rapport sans fard au corps, à la sexualité, et à la libre acceptation de ce devenir.



Et nous voilà, à la fin, nous sommes là, le livre clos, tandis que dans notre tête nous sommes toujours sur le paquebot avec les dernières scènes, les derniers mots. Et l'on revient aux commencements, et à nouveau avec les officiers de quarts « nous marchions sur le pont comme des revenants à l’intérieur de la nuit. »

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Qu'avez-vous vu

Cent nuances d’extraordinaire issues du quotidien et du beaucoup moins quotidien, transfigurées en un merveilleux remède poétique à l’inquiétude qui rôde.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/07/13/note-de-lecture-quavez-vous-vu-amelie-lucas-gary/



Entre mars et avril 2021, dans le cadre d’une résidence d’écriture, Amélie Lucas-Gary a demandé à une centaine de personnes ce qu’elles avaient vu de proprement extraordinaire dans leur vie. Réagencé par l’artiste pour en extraire l’essence, faussement anodine ou réellement mystérieuse, le résultat de cette investigation poétique constitue cet étonnant « qu’avez-vous vu », publié chez Vanloo en avril 2023.



Comme elle l’avait pratiqué, d’une autre manière et à une échelle différente, dans son magnifique « Hic » de 2020 (et peut-être même, par des canaux encore plus souterrains, dès son « Vierge » de 2017), l’autrice de « Grotte » (2014) nous montre ici à nouveau à quel point elle excelle à détourner ce qu’elle observe ou entend afin d’en opérer la transmutation poétique – en déjouant perpétuellement les attentes éventuellement échafaudées un instant du côté de la réception. On ne pourra sans doute pas s’empêcher d’entendre ici une résonance presque paradoxale avec le Thomas Lanfranchi de « Une guêpe dans le k-way », dont l’ufologie du quotidien et les sculptures de nuages semblent pourtant bien loin de l’interrogation lancinante portée ici. Et pourtant il s’agit bien dans les deux cas de s’installer avec délicatesse sur la ligne de crête (« l’arête », dirait-on dans l’extrait ci-dessous) qui sépare l’insolite de ce qu’a vécu personnellement le témoin de la beauté éventuellement bizarre qu’y discerne l’autrice – avec un angle de recoupement nécessairement variable à chaque occurrence.



« Extraordinaire » est certainement l’un des mots les plus galvaudés mais aussi les plus étranges de notre vocabulaire de l’expérience. On peut ainsi y trouver, selon l’interprétation et la sensibilité de chacune ou de chacun, aussi bien de l’incongru (au sens de Pierre Jourde) que du loufoque, du « simplement » inhabituel que du « presque » paranormal, du merveilleux que du fantastique, du détourné des usages convenus que du revu autrement : in fine, la vie des cent personnes interrogées par Amélie Lucas-Gary (y compris celles qui confessent « n’avoir rien vu ») est relue à l’aune de ce moment privilégié, bien sûr, moment dont l’extrême variabilité même garantit de plus d’une façon à la fois la pertinence du procédé et celle de l’échantillonnage.



D’un lac salé sénégalais à une chute d’eau appelant les papillons, d’une serpentine Muraille de Chine à un détecteur de neutrinos caché sous la montagne, de la découverte de la bioluminescence (où l’on retrouverait logiquement Jeremie Brugidou) à une glissade enneigée au bord du gouffre, mais aussi de la naissance de jumeaux à un premier allaitement, d’un simple étourneau posé au bord d’une fenêtre au regard d’un écureuil, de la couche herbeuse d’un cerf au geyser issu d’une plaque d’égout, Amélie Lucas-Gary, en filtrant ce prodigieux matériau composite, dresse pour nous une carte qui n’est sans doute pas tendre, mais qui s’entend merveilleusement, comme chez le Frédéric Fiolof de « La magie dans les villes », à détecter la beauté cachée parmi les ruines potentielles, et l’éclat d’un soleil toujours inattendu dans le ruissellement des larmes qui guetteraient.


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Grotte

Hantise humoristique du sens de l'identique, repli imaginatif dans le dédoublement pour un gardien halluciné d'une grotte où le temps fait de boucles. Le premier roman d'Amélie Lucas-Gary est un délice délicat, une fantaisie doucereuse, un conte moqueur sur nos désirs de sens, nos hasardeuses inventions de ressemblances. Grotte ou le révélateur, en creux et en vide, des faux-semblants du maintenant.
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Hic

Archéologie de l'ici, cosmogonie des objets qui, strate après strate, remontent du temps, captation attentive des bruits et autres onomatopées du monde, poésie de la fission atomique et des composantes chimiques de notre création. Sur l'autre versant, quand le roman aux antipodes remonte vers notre présent, dans une langue toujours proche des failles, de l'immuable inquiétant de la nature, Amélie Lucas-Gary met en scène le hoquet, le tremblement, au départ de cette fiction fissile fulgurante.
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Vierge

Grossesse miraculeuse et signe des temps, croisade et récupération. Une formidable et joueuse quête charnelle de sens.



Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/04/07/note-de-lecture-vierge-amelie-lucas-gary/


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Grotte

Un excellent moment de lecture, un roman décalé, original, inventif...Vivement le suivant !
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Trois crimes

Trois crimes, trois textes qui se touchent du bout des doigts subrepticement. Rare chance éditoriale pour nous lecteurs assoiffés de renom, d'originalité et de courage éditorial. S'éloigner des sentiers battus, lire « Trois crimes » c'est s'émanciper et faire acte de reconnaissance littéraire. Ici, vous avez tout. Un artiste photographe : Julien Carreyn, une auteure certifiée : Amélie Lucas-Garry. Un livre à ciel ouvert « Trois crimes ». Ne doutez pas.Le texte est l'intrinsèque littéraire, réaliste, olympien, la gravité pudique et les faits. Des photographies où le regard glisse vers le fond de l'image comme une invitation messagère. La gestuelle féminine qui explose, action une. Les crimes sont des séquences, arrêt sur image.

« L'une s'assoit sur un strapontin face au mur

C'est sombre et velours

L'autre restée debout derrière

Regarde la nuque de la première

En pensant à un bouquet

Des anémones

On est en hiver. »

L'impression fulgurante d'être en plongée dans un film au ralenti. Tueuse, tuée, les cheveux emmêlés, on ne sait où s'arrime la mort. Les femmes semblent floutées par nos interdits, notre sidération. Les marqueurs des contre-plongées, photographies écartelées par l'apothéose textuelle. L'écriture si aérienne foudroie les passants qui regardent le profond d'une trame résurgence. « Trois crimes » est une visite en abîme dans une juxtaposition. Passage d'une photo à une autre, on ressent les mouvements en constante alerte prêts à affronter les conséquences. « Trois crimes »,

« Les deux femmes se regardent à nouveau

Aucun homme pas d'argent

Ni l'envie ni la jalousie

C'est grec

Balte

Peut-être celte. »

Manichéenne, sublime si sublime comme dirait Duras, clair-obscur, l'écriture devient séquence. Les femmes siamoises, tuer l'autre, elle ou moi, moi et elle. Confondues dans des scènes perfectionnistes, retour en arrière, « Trois crimes » exécute une lecture sans finitude. Ici c'est à l'instar :

« Méduse lasse

Ailleurs en rêve

Elle sait bien où va l'histoire

Elle ne proteste pas.

« Elles disparaissent de l'écran. »

« Trois crimes » est un corpus intense, brillant. Relisez cet écrin plusieurs fois, c'est comme une litanie, la vie, avant la crainte de l'irrévocable. Il est mouvement infini. La mort n'est pas. Ce texte est immanence. Publié par les majeures Éditions Van-Loo.







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Trois crimes

Trois meurtres pour osciller au bord du gouffre, trois meurtres pour discerner une puissance rare qui continue à émerger, trois meurtres pour résonner dans de nombreux ailleurs pour chacune et chacun.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/04/17/note-de-lecture-trois-crimes-amelie-lucas-gary-julien-carreyn/



Trois crimes, trois meurtres (le caractère accidentel de certains d’entre eux serait peut-être établi après enquête), trois altercations éventuellement silencieuses, trois rencontres qui tournent mal, trois assassinats de femmes dont le coupable est une femme – ce qui est souligné d’un sobre mais néanmoins malicieux « c’est rare » dès la deuxième ligne du texte.



C’est sur la suggestion ou à la demande du vidéaste et photographe montmartrois Julien Carreyn, dont « Les Demoiselles de Vienne », petit chef d’œuvre de malice politique et culinaire, nous avait laissé un fort souvenir en 2008, qu’Amélie Lucas-Gary, dont on aime tant ici le « Grotte » (récemment réédité chez Vanloo, comme le présent ouvrage, publié en avril 2021), le « Vierge » et le « Hic », a accepté de projeter un récit poétique sibyllin – et pourtant diablement incisif – sur une série d’images extraites, comme des rushes par anticipation, du story-board virtuel d’un film en gestation, hypothétique, destiné à être tourné – ou non.



À la lecture, c’est plus qu’un ravissement qui vous saisit : avec ces « Trois crimes » et leurs images ténues en résonance, avec la manière discrète qu’ils ont de légèrement surjouer la mise en page « poétique », on éprouve un sentiment de vertige rétrospectif, comme si ces mises à mort contenaient curieusement un secret lié à chacun des gouffres, fort différents, contemplés auparavant dans « Grotte », dans « Vierge » et dans « Hic ». Tenant chacun solidement d’emblée le centre de la page, comme l’on s’assurerait avec ruse d’une position sur le go-ban, « Une femme tue une femme », « On trouve au matin dans la rivière » et « Une fille traverse » oscillent pourtant chacun au bord d’un abîme : c’est en se balançant juste au bord, par trois fois, que l’on peut se voir offrir (comme dans chacun des 44 volumes – à date – du post-exotisme volodinien, qui procède pourtant en apparence d’une toute autre histoire) une clé personnelle, sur mesure, pour chacune des serrures placées sur certains mystères, à Lascaux, à Saint-Denis et à Lourdes, ou encore à Ivry-sur-Seine et à Wellington – et pour d’autres sans aucun doute encore à venir.



Lorsqu’un apparent exercice de style, ou une vraie-fausse improvisation, en 40 pages y compris les photographies, commence ainsi à trouver des fréquences de résonance multiples et à dégager une puissance d’abord insoupçonnable, c’est sans doute le signe qu’il y a là, sous nos yeux, une œuvre majeure en train de se structurer dans la durée, roman après roman, texte inclassable après mise en exergue.
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Grotte

Excellent premier roman. Complètement audacieux, intelligent, drôle ! A lire sans plus tarder !!
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Trois crimes

Une femme tue une femme. Le début de Trois crimes est peut-être moins vrai dans les textes d'Amélie Lucas-Gary. Dans un court chapitre de l'épatant Grotte (avant les remarqués Vierge et Hic), réédité l'an passé aux éditions Vanloo, une femme disparaissait. Une autre était tenue pour responsable, voire coupable du meurtre de la première. Il était aussi déjà question, comme ici, d'un film qui finirait par ne pas se faire. Livre dense et déroutant.
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Hic

De déjà demain au lointain atome primordial, d’Ivry-sur-Seine à Wellington, une tectonique des plaques, propres et figurées, cosmique, poétique et ironique.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2020/02/17/note-de-lecture-hic-amelie-lucas-gary/
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Grotte

Formidable de drôlerie, de clairvoyance et de sarcasme sur notre époque.
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