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EAN : 9782021359091
184 pages
Seuil (06/04/2017)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Une jeune femme, embarquée sur un paquebot, raconte à un petit groupe d'officiers les circonstances mystérieuses de sa venue au monde.

Sa mère, Emmanuelle, tomba enceinte à seize ans, sans avoir connu d'homme. La nouvelle de cette grossesse virginale se répandit dans le pays, suscitant une forme d'hystérie collective. La jeune fille décida alors de quitter Saint-Denis, sa ville natale, pour s'engager dans une longue pérégrination jusqu'à Aigues-Mortes... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai commencé plusieurs fois Vierge (Seuil, 2017) d'Amélie Lucas-Gary. Plusieurs fois j'ai commencé les premiers mots, les premiers lents vertiges de la situation initiale, et cela non pas en raison de la difficulté du texte ou de ses platitudes, mais pour la joie de recommencer quelque chose dont on pressent à ces quelques lignes qu'il va ouvrir une langue, un horizon qui nous plaisent. Parce que précisément il n'y a pas d'horizon à Vierge, pas de cap certain : on s'accroche au bastingage d'un paquebot dans la nuit et on parle. On légende la nuit et la vie pour un auditoire un peu anonyme d'officiers de bord, entre deux quarts. Il y a là un plaisir trouble, mélancolique, indéfini.

C'est la narratrice sur le paquebot qui raconte l'histoire de sa mère, la Vierge dont le titre énonce le simple mystère. Une histoire de Vierge prise en récit dans la voix de sa fille impossible, née de l'immaculée conception à une époque où « les miracles devenus certitudes, rien n'était plus impossible. » Alors que des films et séries récents, de L'Apparition à Il Miracolo, diffusent ce parfum d'encens ou de benjoin, Amélie Lucas-Gary choisit de se détourner de tous les cierges de plastiques, de ne pas jouer le jeu en demi-teinte de cette passion du savoir-non-savoir, du suspens infini de la Grâce et de l'Événement.

Rapidement la question de l'aberration génétique, du passage de l'ange Gabriel, ou - comme la Vierge elle-même l'imagine - d'un enfantement par excès de masturbation, toutes ces hypothèses se dissolvent vite pour la lectrice et le lecteur. C'est la fuite en avant d'Emmanuelle (nom à la fois de la catin et de "dieu parmi nous"), Vierge fuyant la rumeur et l'opprobre qui font toute la passion que l'on peut avoir pour ce livre. Ce sont toutes ces aventures incroyables qu'elle vit dans une géographie subtilement déplacée qui nous intriguent, tandis que les focales changent, et que, par morceau, le paquebot fantôme réapparaît et nous rappelle que l'énonciation provient de cette femme, fille de la Vierge, parlant dans sa nuit pleine de brouillard et d'une étrange tristesse.

« L'origine s'échappait comme un fantôme à la fin. »

A défaut de la recherche de l'origine, Vierge remonte aux origines baroques du roman, à une multiplicité où les devenirs se croisent se multiplient. Où tout dérive et se multiplie, où l'on parcourt tous les genres, tous les tons. Il y a quelque chose du carnaval dans ces épisodes presque fantastiques, s'apparentant à une forme de récit dont on n'a plus l'habitude : quelque chose du conte et du roman satirique, quelque chose que l'on n'a pas besoin de situer, car nous décalant de nos repères. le livre remonte ainsi aux origines bâtardes du roman en choisissant le thème même de la non-hybridité, celui de la virginité immaculée et pourtant enceinte de mondes et d'histoires.

Ce qui est beau dans ce livre est la surprise de cette écriture et de ce décalage auquel on ne s'attend pas. Si le discours du maire à Saint-Denis se termine dans un lynchage carnavalesque où les rois sont nus, c'est le voyage lui-même qui semble amorcer le basculement dans l'étrange (le rire est là comme « passage », se marquant par un train raté, raté car parti... en avance). C'est à Engean où Emmanuelle se rend chez sa cousine que le portrait de celle-ci semble introduire définitivement l'atmosphère qui ne fera que se prolonger  : « Elle avait de grands yeux très brillants, envahis par des iris dont le noir se confondait avec celui des pupilles ; deux noirs si indistincts que ses pupilles semblaient toujours démesurément dilatées. Et il n'y avait pas de place pour le blanc dans ses yeux : l'ombre qui s'étirait jusqu'aux paupières frôlait les cils – une encre brune menaçait de couler et d'évider ses orbites pour l'aveugler. »

A la suite de cette première étape c'est tout le reste du carnaval qui se déroule, du Nord au Sud, avec les grossesses hystériques, les manifestations anti-vierges, les rencontres érotiques, les cérémonies rituelles tournant à une scatalogie mystique, les aléas familiaux et amoureux, la liste est longue. « Après Engean, j'ai marché sans trop planifier : La Souve, Laumnes, Élang, et la Vergaugne, pour voir les volcans. J'ai suivi deux hommes à La Burle, puis à Suire, j'ai passé un temps fou à Gagnes, au bord de l'Antonne. J'ai pris un train pour Maraison, en pensant aller voir ta mère, mais j'ai décidé de revenir. »

Tout s'enchaîne, avec vitesse, comme dans un rêve bizarre, sans l'onirisme poli du surréalisme, avec sensualité et une familière étrangeté (comme ces noms de localité).

Chaque épisode étonne et vibre d'une grande liberté, faisant résonner un monde foisonnant d'images, de paroles, de sensations, tantôt réalistes, souvent farfelus (mais de Michaux à Chevillard, la chose n'est pas mal). Et comme fil, la relation de la Vierge à son Enfant est traité avec une rare beauté. Entre l'indifférence, l'inquiétude, le corps qui se transforme, toute mythologie de l'éternel féminin est défait au profit d'un rapport sans fard au corps, à la sexualité, et à la libre acceptation de ce devenir.

Et nous voilà, à la fin, nous sommes là, le livre clos, tandis que dans notre tête nous sommes toujours sur le paquebot avec les dernières scènes, les derniers mots. Et l'on revient aux commencements, et à nouveau avec les officiers de quarts « nous marchions sur le pont comme des revenants à l'intérieur de la nuit. »
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Grossesse miraculeuse et signe des temps, croisade et récupération. Une formidable et joueuse quête charnelle de sens.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/04/07/note-de-lecture-vierge-amelie-lucas-gary/

Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Les questions se succédèrent ensuite sans qu’elle pût y répondre :
– Que voulez-vous dire ?
– Sait-on jamais vraiment comment cela arrive ?
– Comment une forme en génère une nouvelle ?
– Il y a la biologie quand même.
– Oh, les grands mots ! Qu’attendent tous ces gens dehors ?
– Ce destin exceptionnel n’éclaire-t-il pas bien des mystères ?
– Il ouvre une nouvelle ère.
– Oui !
– N’oublions pas que c’est un cas isolé. Et l’exception peut-elle donner un sens à la règle ? Une orientation à notre règne ?
– Cette excentricité peut avoir des conséquences sur nos vies ?
– Elle en a déjà : cette révolution en marche, c’est son effet papillon. Votre grossesse est-elle selon vous l’élément déclencheur du drame qui essaime ?
Ils parlaient entre eux.
– Notre façon de vivre a engendré cette grossesse. À partir de ce cas, je peux déjà prédire que d’autres fleuriront. Cette vierge enceinte qui voyage seule, c’est l’avenir en marche. La grossesse virginale, c’est la victoire du repli et de l’autonomie, de l’individu en somme. Ne devrions-nous pas nous réjouir ? La virginité d’Emmanuelle préfigure la vérité éternelle.
– Il n’y a de salut qu’individuel.
– Il recommence.
– Taisez-vous.
– Qu’allez-vous faire de cet enfant ?
– Elle le mangera si elle a faim.
– Pourquoi avoir choisi Vermont pour accoucher ? Votre itinéraire épouse celui d’une croisade. Pourquoi ?
– N’avez-vous donc pas compris comme elle singe saint Denis ?
– Pour réconcilier le corps et l’esprit ?
– Est-ce qu’il ne s’agit pas plutôt de Saint Louis ?
– Et cette fertilité qui n’a pas besoin d’être fécondée, à quoi tient-elle, selon vous ?
– Une reproduction sans fécondation n’est-elle pas un cas sublime d’infécondité ?
– Cette façon de se reproduire, qu’est-ce que ça promet pour l’avenir ?
– La fin de l’Histoire.
– Cette virginité reproductive marque-t-elle le début du repli des gens sur eux-mêmes, et je le répète, il n’y a de salut qu’individuel. Qu’en pensez-vous, mademoiselle ?
– Cessez de lui jeter votre jargon à la tête !
– Nous n’en pouvons plus d’attendre !
De la pièce voisine, le maire entendait les journalistes, mais il était absorbé dans des pensées plus intimes, des questions politiques qu’il ne s’était plus posées, quant au pouvoir et à la force dont il n’était qu’un faible relais. Il pensait à l’empire et à la révolution, et on ne pouvait plus l’atteindre. Il voyait la fin approcher, et il regardait couler à ses pieds le sang dont il se vidait ; à côté, la conférence se poursuivait.
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Je suis née au bord de la mer ; je connais ses travers et ses plis. Mais c’est à Saint-Denis que tout commença. Ce jour-là, le ciel était bleu. Il n’y avait qu’un nuage.
Les Dionysiens avançaient en une coulée brune épaisse. Il n’était pas cinq heures, mais les rues débordaient ; des silhouettes et des bandes emplissaient l’esplanade. Un peuple entier se retrouvait pour inaugurer les tours ; elles avaient été recouvertes d’un voile immense afin que personne ne voie ce que cachaient depuis des mois les grands échafaudages.
L’attention aurait dû être à son comble, mais une rumeur folle gagnait la foule. La nouvelle provenait d’un laboratoire du centre-ville, où l’examen d’un foetus avait révélé une anomalie incroyable : le profil génétique de l’enfant à naître ne portait la trace d’aucun géniteur. Pour le dire autrement, il n’avait pas de père. Alors la cérémonie était l’occasion pour tous d’en apprendre davantage ; certains espéraient voir la mère, ou éclaircir le mystère. Son identité et la raison des analyses n’étant pas divulguées, ils imaginaient qu’elle était vierge, et puisqu’elle était enceinte, les lois qui liaient les causes aux effets pouvaient voler en éclats sous leurs yeux : les miracles devenus certitudes, rien n’était plus impossible.
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Le Saint-Louis fendait la mer. Les côtes sombraient, et tout autour, il n’y avait pas une ride ; seulement le bleu.
À bord, les passagers offraient leurs corps au soleil, les heures glissaient sur leurs paupières. Ils ne s’inquiétaient pas de la vitesse du paquebot, ou de la nuit qui viendrait : ils étaient mille et ne comptaient pas. De cette foule, trois silhouettes se distinguaient, qui marchaient sur le pont intermédiaire.
Nous levions peu les pieds, la tête inclinée pour mieux nous entendre. Je venais de rejoindre les deux officiers ; eux terminaient leur quart. Nous discutions sans nous presser, car le voyage durait des jours, autant de nuits, et nous pourrions tout dire. Il faut d’abord question de la Méditerranée que le bateau blanc traversait, indifférent à la terre et aux malheurs qui chaque nuit le frôlaient. Nous parlions guerre, destin, salut, mais rien n’avait d’importance.
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Quand la voiture ralentit, le ciel sembla s’ouvrir et la jeune fille descendit. Elle coupa à travers le champ en direction de la ferme. Le visage fouetté par le vent, elle progressait avec peine sur la terre retournée : les sillons creusés par les roues d’un tracteur rendaient le sol impraticable. Ses chevilles se tordaient, et les doigts de ses pieds se crispaient sur la moindre saillie pour ne pas tomber. Ces enjambées la fatiguaient ; elle mit un temps infini à parvenir au bout du champ – à vue de nez pourtant, les silos n’étaient pas si loin. Elle fixait les deux réservoirs identiques ; leurs silhouettes encombrantes courbaient l’horizon. Perdue entre la profondeur des sillons et la hauteur des silos, Emmanuelle était trop petite, le décor trop grand et l’instant écartelé entre ces deux échelles conjuguées.
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La maire d’Engean était une petite femme hâlée dont les rides creusaient sur ses joues de sombres sillons. Quand les cousines l’aperçurent, elle était postée au sommet du grand escalier descendant de la cathédrale à la rivière qui coulait au pied de la ville ; le monde la regardait. De là, elle orchestrait quelque chose, et les Engeannais attendaient en bas pour gravir les cent marches. Leur tour venu, ils les montaient, en avalant un pruneau sur chacune d’elles : ils embouchaient le fruit et mastiquaient sa chair ; ils maintenaient le noyau fermement coincé entre la langue et le palais, ils le léchaient avec soin, pour le nettoyer sans l’avaler, et le recracher propre au creux de leurs poings, comme un os bien rongé.
Les autochtones s’exécutaient sans rebuffade ; aucun faux pas ne gâtait la scène. Ils avalaient sans se presser ; puis, ainsi gavés, ils se vidaient. Ils expulsaient leur merde en redescendant l’escalier. Ils laissaient faire les corps ; leurs jambes fléchissaient, et leurs dos se voûtaient. Ils n’étaient plus que leurs corps – des silhouettes molles informes. Cuisses et pantalons souillés, ils rejoignaient la rivière pour s’y déverser tout l’après-midi. Ils n’avaient aucune inhibition, et pour passer inaperçue, Emmanuelle devait dissimuler son dégoût, et demeurer de marbre malgré l’odeur et le bruit. Dans son état, elle craignait l’effet de la purgation : elle avait peur de se vider complètement et qu’en voyant ce qui sortait ils ne devinent tous qui elle était. Elle serrait les fesses.
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