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EAN : 9791095233435
Editions Sun-Sun (11/11/2023)
4/5   1 notes
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Une photographie prise au Dahomey en 1930. Et ce qu'elle peut déclencher de manière volontaire et involontaire. Beaucoup plus qu'un magnifique exercice de style sous contrainte.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/26/note-de-lecture-feticheuses-amelie-lucas-gary/

Fléchette est une collection conçue par Céline Pévrier et Adrien Genoudet aux éditions sun/sun, éditions à qui l'on devait déjà bien des textes étonnants (que l'on songe par exemple aux brefs, denses et flamboyants « Il paraît que nous sommes en guerre » de Pierre Terzian, « Et seuls les chiens répondent à ta voix » de Tarik Noui, et « le noir dedans » de Thomas Vinau, ou bien au plus ample mais tout aussi décapant « le dernier cri », de Pierre Terzian à nouveau).

Fléchette, en étroite association avec les Archives de la Planète, entreprise de documentation visuelle conduite par le mécène passionné Albert Kahn entre 1909 et 1931, propose à une sélection d'autrices et d'auteurs de s'emparer d'une seule parmi les quelque 72 000 images autochromes du fonds conservé à Boulogne-Billancourt, dans la maison même du banquier, devenue musée départemental, et d'imaginer à partir de cette image un texte d'une petite cinquantaine de pages, à leur entière discrétion quant au registre à choisir, essai, document, poème ou nouvelle. Après Philippe Artières, Hélène Gaudy, Marie-Hélène Lafon et Fanny Taillandier en 2022, Amélie Lucas-Gary est l'une des quatre autrices et auteurs à qui s'est vu proposer l'exercice en 2023, pour publication en novembre de la même année.

Que ce soit dans ses saisissants romans, « Grotte » (2014), « Vierge » (2017) et « Hic » (2020), ou dans des travaux plus courts à l'étrange et rusé détour poétique, « Trois crimes » (2021) et « qu'avez-vous vu » (2023), Amélie Lucas-Gary nous a amplement démontré par le passé comment elle pouvait extraire du sens à un degré quasiment mythique d'un matériau donné, qu'il soit (pré-)historique, subtilement géographique ou (faussement, bien entendu) infra-ordinaire.

« Féticheuses » ne déparera certainement pas dans ce qui pourrait bien déjà être une forme de palmarès. Avant de se « lancer » dans cette photographie, en succombant finalement au regard si direct et si intrigant d'une féticheuse dahoméenne des années 1930 (Derek Munn, lui aussi, dans son si impressionnant « L'ellipse du bois » de 2019, avait su recréer la magie intime et politique de l'analyse des Ménines de Velazquez par Daniel Arasse, en appliquant ses stratagèmes personnels et machines Enigma sous licence à un cliché de Bill Brandt, faisant émerger un garçon d'un bois en 1936), l'autrice convoque en un sérieux sourire innocent les tours et détours, les affres même, les mystères à élucider en tout cas, du choix : pourquoi cette photographie plutôt que telle autre ? « Leurs visages ne me disent rien » : cette simple remarque résonnera, lourde de sens multiples, tout au long de cette incursion dans l'archive autochrome.

Explicitant ce qui intervient dans le creux de sa prise de décision, fût-ce avec le secours pseudo-aléatoire d'un globe terrestre décidément trop riche en océans, Amélie Lucas-Gary déchiffre pour nous, patiemment, certains des secrets grisants de l'écriture sous contrainte, même lorsque celle-ci semble d'abord se limiter à l'unicité forcée d'un choix et à la chance du regard incisif d'une Africaine depuis longtemps disparue.

Le choix de ce cliché béninois avant la lettre (et donc absolument pas bénin, en effet) conduit presque naturellement Amélie Lucas-Gary, sans qu'elle ait aucunement besoin de forcer le trait, vers le contexte plus ou moins implicite de la présence de ces féticheuses : bien avant l'ouverture ethnologique, les missions aussi froidement militaires et impériales que religieuses et civilisatrices (on pensera aussi bien au Gauz de « Camarade papa » qu'au Frédéric Sounac de « L'histoire navrante de la mission Mouc-Marc ») qui ont envahi le continent africain avant et après le congrès de Berlin de triste mémoire (tel qu'il trône par exemple au coeur de « La bataille d'Occident » d'Éric Vuillard). C'est là, dans l'exploration directe et indirecte des points aveugles de cette photographie, de ses conditions de production, exploration qui peut aussi s'accomplir par un détour onirique et fantastique si nécessaire, que se révèle pleinement la puissance – intersectionnelle sans effort apparent – du travail d'écriture accompli ici, ayant accepté la contrainte pour mieux souligner aussi bien la richesse réelle que l'ambiguïté fondamentale du travail de cartographie et d'archivage – de cette volonté de savoir qui ne peut totalement rester innocente (comme le soulignait d'une tout autre manière le grand Sami Tchak de « le continent du Tout et du presque Rien »). Et c'est ainsi que cette fléchette supplémentaire s'avère particulièrement salutaire.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Sur mon ordinateur, je tape Bénin dans la barre blanche, je sélectionne « images fixes », « êtres humains », « enter », j’attends. J’attends en pensant qu’il faudra choisir la première image qui appellera quelque chose en moi et ne plus perdre de temps. Je tombe sur des images de l’exposition coloniale de 1931 – un homme à Vincennes, photographié devant un décor exotique ; et puis des hommes, et ensuite des femmes, des individus tous ou presque photographiés par deux : leurs visages ne me disent rien. Rien ne m’arrête, la banalité de la prise de vue, la médiocrité des cadrages, et les couleurs passées. Tout est dans les tons d’ocre et de brun, c’est moins beau en autochrome que les uniformes bleu horizon des soldats de la Première Guerre mondiale, moins beau que les fleurs des prairies d’Auvergne… Je perds un peu espoir. Je me dis qu’il faudra peut-être changer de pays et démarrer un interminable tour des images, mais sur la troisième page, l’une des femmes me regarde.

Tandis que le regard de l’autre à ses côtés est flou, cette femme fixe intensément l’objectif. Je clique.

L’image s’ouvre et s’agrandit ; elle apparaît sur un fond noir solennel. La légende d’origine indique : Dahomey, Abomey (Zado), Féticheuses du tonnerre. La photo a été prise le 28 février 1930 au royaume du Dahomey – actuel Bénin – par Frédéric Gadmer, l’un des principaux opérateurs des Archives de la Planète, dans le cadre d’une mission du révérend père Francis Aupiais. J’apprends sur le site que l’image appartient à un vaste corpus qui réunit plus de mille autochromes et neuf mille mètres de films réalisés au Dahomey durant les cinq premiers mois de l’année 1930. (…)

Dans un carnet de notes, Gadmer écrit à propos de cette photographie : « De ces deux féticheuses, l’une a déjà fait un long stage au couvent, tandis que l’autre n’est que débutante. Son visage est moins transformé par les jeûnes, les chants et les danses. » C’est tout. Mais ni la photo, ni Internet où je cherche, ne me disent comment s’est passée la prise de vue. J’ignore à quel point l’image a été mise en scène, notamment pourquoi elles sont vêtues ainsi, ce qu’elles ont pensé alors. Je ne sais pas comment on a parlé à ces femmes avant et pendant qu’on les photographiait, si elles ont été forcées à poser ou pas. (…)

C’est pour ça que cette image ne me met pas mal à l’aise. Le terme « féticheuse », par contre, résonne dans ma tête. Il est souligné en rouge par mon logiciel de traitement de texte et sonne comme quelque chose de péjoratif ; je trouve ça presque injurieux et je me sens prise à partie : concernée. C’est à moi que cette légende s’adresse. « Féticheur, féticheuse », c’est une invention d’ethnologue européen qu’on utilise encore au Bénin, et dans toute l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui. Je m’étonne qu’on ait si facilement féminisé ce mot-là, quand il fallu des siècles pour d’autres fonctions. Je pressens que cela ne posait pas de problèmes aux missionnaires et aux Européens en général parce qu’ils associaient les féticheuses du Dahomey aux sorcières des siècles passés – plutôt qu’aux prêtres de l’Église.
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Je cherche durant des semaines, je tape les noms de centaines de lieux qui ont un lien avec ma vie ou mon imaginaire. Rien ne m’arrête, dans les deux sens du terme. Je regarde avec plaisir mais sans réel désir pour l’une ou l’autre de ces images. Je commence à avoir du dégoût pour ma personne et pour l’écran d’ordinateur dans lequel mon visage se reflète tous les après-midis quand je cherche. Il me faudrait une image à laquelle rien ne m’attache. Un lieu au sujet duquel je ne serais pas tentée de parler de moi et de ce que je sais du monde, au sujet duquel je ne ressasserais pas mes obsessions : un lieu où j’oublierais que j’écris. C’est difficile de choisir sans critère. Je pourrais passer plusieurs années à ne pas choisir la photographie à partir de laquelle écrire.

Alors je cours dans ma chambre ; je ferme les yeux en comptant dans ma tête pour faire tourner le globe en plastique posé sur mon bureau depuis des années. À dix, je pose l’index à la surface et j’ouvre les yeux sur la mer bleue. Trois fois, je recommence, trois fois, c’est ce qui arrive : le beau milieu de l’océan. Alors je fais tourner le globe les yeux ouverts et je vois passer le Bénin, le grand baobab dressé du sud vers le nord que dessinent ses frontières. La qualité du nom de ce pays, Bénin, m’apparaît pour la première fois : « inoffensif ».

Dans la vie, je cherche les lieux sûrs, les gens gentils, ce qui ne me tuera pas, et j’apprécie ce signe. Mes ancêtres sont tous nés en France depuis Charlemagne et même avant. J’ai toujours eu peur de l’Afrique. Je n’y ai jamais été. Ma crainte remonte aux images de la famine en Somalie au début des années 1990 alors que j’étais enfant, elle s’explique aussi par mon angoisse de la chaleur, les perspectives du réchauffement climatique, la culpabilité postcoloniale, et puis à une époque où j’allais mal, j’avais téléphoné à une voyante – elle m’avait été conseillée par une amie d’ami pour comprendre mon état lamentable. Cette femme explorait par téléphone les vies antérieures. Ma vie d’alors ne suffisait pas à expliquer mon mal-être, ce malheur, et après quelques minutes de discussion, elle avait dit « me voir », enfant noir assistant au massacre de ma famille en Afrique. Seul survivant. Elle n’avait pas précisé dans quel pays, mais depuis je me tiens à distance des voyantes et du continent tout entier.
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Avant cette vie, j’aurais donc été en Afrique, où j’aurais eu une expérience traumatisante qui explique que je n’ai aucune envie d’y retourner aujourd’hui. Je choisis le Bénin, en me disant que l’écriture n’a jamais réclamé de moi aucun déplacement physique. J’ai choisi la littérature de fiction pour sa grande distance au réel, le décollage qu’elle autorise. Ces dernières années, dans mes romans et autres textes, j’ai eu la possibilité de sortir de moi. J’ai pu oublier ma famille – les enfants comme les ancêtres -, les caractéristiques de mon corps, toutes les circonstances imposées par ma vie : un peu comme si j’étais morte en fait. Après des études consacrées à la photographie, j’ai totalement abandonné ce médium : en grande partie à cause de sa connivence essentielle avec le monde matériel, et tout ce qui a nécessairement été. Je ne fais plus de photographie mais on me photographie. Mon mari me photographie régulièrement, en noir et blanc. Les procédés couleurs argentiques sont devenus inaccessibles en termes de prix, mais surtout, au moment où j’écris, ils sont de plus en plus difficiles à trouver : ces jours-ci, et pour la première fois de son histoire, l’usine Fuji vient de suspendre la production de films couleur. Quant au procédé autochrome des Archives de la Planète, à base de fécule de pomme de terre, personne n’a réussi récemment à en reproduire la chimie de façon satisfaisante. Certainement les patates ont-elles changé de nature en cent ans.
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