Un marginal du livre au XVIIIème siècle :
Jacques Merlin, R.F.H.L n°12, juillet-septembre 1976 p 443-485
L'auteur (Anne Sauvy) raconte les épisodes de la lutte entre un petit compagnon libraire, Jacques Merlin, et le corps des libraires de Bordeaux au XVIIIème siècle.
Né en 1706, ce toulousain part pour Bordeaux après avoir effectué son stage d'apprenti relieur entre 1719 et 1722. Il sert successivement chez quatre maîtres libraires en qualité de compagnon avant de demander son admission à la maîtrise de libraire en 1728.
Commence alors un long conflit avec la communauté qui ne cessa pas, par tous les moyens, de s'opposer aux prétentions de l'aspirant. Ces dix-neuf année de procédure constituent un exemple très évocateurs du conservatisme et l'exclusivisme des corps de métiers bordelais au XVIIIème siècle.
Pour les syndics des libraires, Merlin ne peut-être reçu puisqu'il ne présente pas les qualités requises par les règlements : il n'est ni apprenti de ville ni fils de maître.
Le requérant tenace use de tous les moyens pour atteindre son but. Il s'adresse aux jurats en 1730, mais est débouté de sa demande. Il s'allie aux Brulle, vieille famille de libraires bordelais en épousant la fille du maître décédé : devenu gendre de maître, il aide sa belle-mère à tenir son commerce tout en continuant le combat pour se faire recevoir dans la communauté. Il constitue un important dossier contenant tous les justificatifs nécessaires requis par les règlements des libraires et attestant de son âge, de ses moeurs, de sa religion, de sa connaissance du latin et du grec, de l'état de ses services en qualité d'apprenti puis de compagnon et de sa capacité professionnelle.
La réunion de ces pièces envoyées à Paris ne suffit pas à décourager le corps des libraires qui persiste dans son attitude et refuse de s'assembler. D'ailleurs, sur ordre du Ministre, l'intendant Boucher interdit aux jurats d'admettre Merlin qui, déclare-t-il, ne connait pas le latin comme il a pu le constater par lui-même. Mais à force de sollicitations, l'intendant intervient en faveur de Merlin et en 1744 un appointements des jurats ordonne sa réception que le Parlement confirme.
Mais l'affaire n'est pas terminée pour autant. Comment recevoir cet aspirant qui vend des livres contre la religion ou contre les bonnes moeurs? Merlin s'est en effet livré au commerce des livres interdits. Mais cette activité complémentaire et prohibée ne lui est pas spécifique et ce n'est pas un hasard si des affaires de livres interdits éclatent autour de lui.
a communauté des libraires s'adresse alors au Conseil d'Etat privé du Roi qui casse la décision favorable à Jacques Merlin et en 1747 le Roi fait droit à l'appel des syndics.
Ruiné, Merlin organise des escroqueries. Incarcéré à Bicêtre, il est ensuite exilé à Bordeaux où on perd sa trace.
Le cas de Merlin est intéressant car il montre bien comment un individu pouvait être broyé par le système corporatif.