A l'occasion du festival des littératures du monde : "L'usage du monde" organisé par Lettres du monde, rencontre avec Roy Jacobsen autour de son ouvrage "Les invisibles" aux éditions Gallimard.
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Maria se redressa sur ses coudes et répondit que les enfants, on ne les a pas, on ne les possède pas, les enfants, c’est comme des dons, des cadeaux que l’on reçoit.
......à la fin août, une chaleur étouffante était tombée sur la terre et sur l’eau, capable d’amollir les pensées et de troubler la vue. De la vapeur flottait sur les champs noirs, les oiseaux se taisaient, le paysage laissait échapper des soupirs inaudibles et la mer était lisse comme un plancher que l’on vient de repeindre.
L’homme qui vient de rentrer est content de voir que rien n’a changé, car c’est toujours celui qui s’absente qui préfère que le temps s’arrête.
Sa durée varie selon les saisons, le silence peut durer longtemps dans le gel de l’hiver, comme lorsqu’il y avait de la glace autour de l’île, mais celui de l’été est toujours comme une petite pause entre un souffle de vent et un autre, entre le flot et le jusant, ou pendant ce miracle qu’est l’instant où l’homme cesse d’inspirer avant d’expirer.....
Mais le silence sur une île n’est rien. Personne n’en parle, nul ne s’en souvient, tellement il marque les esprits. C’est l’infime aperçu de la mort tant qu’ils sont encore en vie.
Sur une île, tout ce qui a de la valeur vient d'ailleurs, sauf la terre, mais ce n'est pas pour elle qu'ils sont là, les îliens en ont tristement conscience.
On ne sait pas que, lorsque l’on vit sur une île, on n’en part jamais, on ne sait pas qu’une île s’accroche à ce qu’elle a, de toutes ses forces.
En février, la mer peut être un miroir turquoise. Barrøy, couverte de neige, ressemble à un nuage dans le ciel. C’est le froid qui rend l’eau verte et plus claire, calme, et visqueuse, comme de la gelée. Elle peut se figer entièrement, se couvrir d’une pellicule, changer d’apparence. L’île a un liseré de glace qui entoure également les îlots les plus proches, elle s’est agrandie.
Ingrid marche avec ses chaussures en poil de chèvre sur un plancher de verre entre l’île et Moltholmen, et elle voit en dessous d’elle des algues, des poissons et des coquillages dans un paysage d’été. Oursins, étoiles de mer et pierres noires sur le sable blanc, poissons qui filent à travers des forêts oscillantes, la glace est comme une loupe, claire comme l’air.
... toute vie a un sens, le simple fait de vivre a un sens ...
... il monte sur une hauteur d'où la vue est encore meilleure.
« Oh, mais je vois même le presbytère. »
Hans Barrøy le dépasse et dit :
« Et là, vous voyez l'église. »
Le pasteur se dépêche de le rattraper, il s'arrête pour admirer l'église blanche qui apparaît comme un timbre pâle sous les montagnes noires où quelques ultimes taches de neige ressemblent à des dents dans une bouche pourrie.
C'est marée d’équinoxe, ce bref moment de l’année où l’île est le plus grande, où l’on peut marcher sur du sable blanc comme neige tout autour du royaume.