Yann de la librairie le Divan partage ses lectures : "C'est un roman très beau, poétique, qui sait raconter les gens de la côte."
Notre mot sur , écrit par Arnaud de la Grange et publié aux éditions Gallimard : https://www.librairie-ledivan.com/livre/9782073038791
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" Antekov était une brute, et de la pire espèce .Molle et sucrée.Tout en lui était épais et spongieux, la silhouette, la voix, les maniéres.
Enrobée dans le gras, la cruauté n'en est que plus glaçante . "
Je risque de mourir ce soir et je mourrai au printemps. L'idée je le sais, est absurde. Qu'est ce que cela change de mourir en hiver, en automne, en été, au nord ou au sud ? Je crois pourtant que j'accepterais mieux l'échéance si tout est gris et froid. En m'éteignant quand tout renaît, j'aurais l'impression de mourir deux fois.
Un chef vous fait comprendre que vous êtes essentiel. Plutôt que de vous faire sentir que vous dépendez de lui, il vous persuade que c'est lui qui dépend de vous. Il n'est pas le premier, mais la somme de ceux qui le suivent. [p.56]
A l'occasion de la sortie Les Vents noirs Arnaud de la Grange s'est livré au Figarovox/Grand entretien et il me semblait intéressant de transcrire ici un extrait de sa réponse à la question : quels sont vos maîtres en littérature.
Et sa phrase(avant de revenir à l'entretien) qui me paraît essentielle est :
POUR ALLER AU BOUT DE SES RÊVES FAUT-IL S' AFFRANCHIR AU MOINS PARTIELLEMENT DE LA RAISON ?
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Suite :
" Au risque d'être désespérément classique j'avancerai Gracq Giono Gary Kessel et les ogres de la littérature russe. Et bien sûr Conrad. J'ai un énorme faible pour les auteurs qui trempent leur plume dans les veines des hommes, qui ont connu aussi le temps de l'action.
J'ai d'ailleurs été enchanté d'apprendre combien Conrad comptait pour Gary.
Il disait "il m'apporte quelque chose d'absolument irremplaçable : il me dépayse de moi-même.
N'est-ce pas l'essentiel lorsqu on lit un livre ?
Arnaud de La Grange poursuit en disant "j'aime ces personnages Conradiens désenchantés et blessés mais ne renonçant pas à affronter la vie. Ils cheminent souvent à la frontière de la raison et de la folie. Modestement dans Les Vents noirs ces hommes et femmes marchent sur la crête sur le fil.
Un des buts de la littérature à mon sens est de mieux connaître l'homme et ses méandres ...et donc de mieux nous cerner.
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Ce sont de tels extraits qui m'ont permis de mieux comprendre pourquoi l'auteur avait écrit son roman.
J'essaie de remonter le chemin qui m'a mené jusqu'ici. De le reprendre en même temps que j'écris sur ces feuilles terreuses. Je ne devrais pas me soucier de ce qu'on dira de moi. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de me rebeller contre ces faux portraits. Depuis que je suis en Indochine, on se trompe sur mon compte. On me prend pour un égaré ou l'on me grime d'oripeaux héroïques. D'autres sont persuadés qu'il y a en moi une noire inclination, qu'en m'exposant je cherche à me détruire. Tout cela est si loin de ce que je ressens.
Ce corps que rien n'alourdissait dégageait une impression de solide assurance. Une forme d'insoumission, aussi. Même s'il venait d'un monde proche du sien Verken lui semblait plus sauvage que bien des hommes croisés ici.
Elle s'irritait de l'attirance ressentie pour cet homme dont elle se défiant tant.
Quand ses mollets se serraient autour du ventre du cheval, qu'elle sentait le pouls violent de sa monture, elle fermait les yeux. Cette sensation animale se mêlait à la force ardente qu'elle devinait chez cet homme.
-vous ne m'aimez guère n'est ce pas ? demanda Verken, comme s'il avait lu dans son trouble.
-je n'aime pas les aventuriers.
-Oh je ne crois pas en être un. Ou alors faute de mieux...
- Alors pourquoi ne rentrez vous pas en Europe ?
- J'ai essayé. Mais ce qui me dérangeait avant de partir au front m'a semblé encore moins supportable au retour.
J'ai toujours eu du mal à m'accorder avec la réalité.
La guerre n'a rien arrangé.
-La France a dû changer pourtant Tout y renaît aujourd'hui rétorqua Victoria.
-La France et la vie qu'il conviendrait que j'y mène m'ennuient.
Un caporal entre dans l'abri. Kader l'apostrophe :
- Te voila ?
- Je crois, oui...
- Et Martial ?
- Il traîne un peu, il arrive.
- Et Courtois ? il traîne aussi ?
- Il est mort.
Le jeune parachutiste a dit cela comme il aurait dit " il dort." Il se met torse nu, s'affale contre la paroi, ferme les yeux.
Je manque d'air, je suffoque de cette odeur de sang et de déchets humains. J'étouffe de cette souffrance acceptée, puisque la révolte ne mène à rien.
Un peuple creuse fébrilement son chemin vers la victoire. Notre camp n'est plus qu'une immense motte grignotée par des galeries qui sans cesse se multiplient.
Verken constatait que la jeune femme recherchait désormais sa compagnie. Il n'était plus l'adversaire des premières semaines.
- Verken que voulez-vous vraiment à Theillot ? Demanda-t-elle.
- Rien qui ne puisse vous inquiéter rassurez vous. Repondit-Il avec un rire force.
-pourquoi mentir ?
- je ne feins pas. Et ce n'est pas par sens moral. Par paresse. Plutôt.
- Arrêtez de tout tourner en dérision retorqua-t-elle avec agacement. On a l'impression que vous fuyez les questions autant que vous même !
En colère Victoria avait un charme sauvage qui ravissait l'ancien lieutenant.
La voix de Verken se fit plus hésitante.
- Vous tenez tant à lui ? Demanda -t-il.
-Vous voulez savoir si je l'aime ? Oui d'une certaine façon.
-Pour sa folie séduisante ?
- Parce qu'il suit ses rêves plutôt que le monde.
Une ombre était passée dans la voix de la jeune femme.
Ce n'est que bien plus tard que j'ai lu les vers prémonitoires d'Alan Seeger. Ils sont là, posés dans mon carnet de cuir.
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque barricade âprement disputée,
Quand le printemps revient avec son ombre frémissante
Et quand l'air est rempli des fleurs du pommier.