Vidéo d' Aron Ralston lorsqu'il était coincé au fond du Blue John canyon dans le Colorado.
Nous créons notre propre existence. J'avais recherché l'aventure ; je l'avais trouvée.
Jeudi 1er mai 2003. Il est 11h32. pour la seconde fois de ma vie, je viens de naître. Cette fois, je sors du ventre d'un canyon rosé où j'incube depuis six jours. Je ne suis pas un bébé, je suis un adulte et je comprends pleinement la signification et l'incroyable puissance de cette naissance, comme aucun de nous ne le comprend quand cela nous arrive la première fois. Ma famille, mes amis, mes passions engendrent en moi une énergie qui peut s'apparenter à celle que je ressens quand je touche un sommet après une ascension difficile, mais en mille fois plus fort. Je tire sur les derniers restes de tissus qui me relient encore à ma main et je presse la lame contre la roche. [...]
Je vis le moment le plus intense de toute ma vie. J'ai l'impression que je vais exploser. Je suis tellement choqué que je reste paralysé pendant un long moment. Terminé : je ne suis plus prisonnier de l'espace que j'ai occupé pendant près d'une semaine.
(Aron Ralston vient de couper sa main, coincée sous un rocher)
Même si j'ai beaucoup appris de cet accident, je ne regrette pas mon choix. En vérité, il a confirmé ma conviction que notre but est de suivre nos penchants, de vivre nos passions et de mener notre existence pour que d'autres puissent s'en inspirer. Tout le reste est accessoire. Quand nous trouvons notre vocation, il faut la suivre aussi bien pour nous-mêmes que pour la communauté des hommes. Au prix de choix difficiles, au prix de couper quelque chose et de l'abandonner au passé.
Dire au revoir est aussi un recommencement.
Que restera-t-il de nos sociétés si avancées dans cinq mille ans ? Il est peu probable que ce soit notre production artistique. Ni les vestiges du temps de loisirs incroyablement long dont nous disposons (pour la simple raison que la plupart d'entre nous dilapident ce luxe en restant plantés devant leurs téléviseurs).
Nous traversons la vie en ignorant qu'on échappe, chaque jour, à des millions de dangers. Et puis, un jour, on frôle l'horreur et l'on se rend compte de ce que signifient cette fraction de seconde, ou ces quelques centimètres.
Vers 13h30, j'éprouve le besoin de prier une fois de plus. Cette fois, il ne me reste qu'une seule option : attendre la mort ou les secours - la mort est plus probable. Au lieu de demander un soutien, je demande de la patience.
- Mon Dieu, c'est encore Aron. J'ai encore besoin de votre aide. La situation ne s'améliore pas. Je n'ai plus ni eau ni nourriture. Je sais que je vais mourir bientôt, mais je veux partir naturellement. J'en ai décidé ainsi : quoique je doive endurer, je ne me suiciderai pas. Au point où j'en suis, je ne crois pas que je survivrai un jour de plus - je suis là depuis trois jours, déjà -, je pense que je serai mort avant mercredi midi. Mais s'il vous plaît, mon Dieu, accordez-moi la force de ne rien faire contre moi-même.
J'irai jusqu'au bout, quelle qu'en soit la fin.
Devant cette situation, j'en vins à penser que la vie dépendait de peu. Parfois, c'est une évidence: la distance qui vous sépare de la foudre, un copain dont la rapidité vous sauve d'une noyade certaine dans le Colorado. Parfois, c'est plus subtil, même imperceptible, par exemple, la microscopique chaîne d'ADN qui permet à votre organisme de combattre une infection qu'on ne sait même pas avoir contractée. Ce peut être la décision d'escalader un flanc de montagne différent, évitant par la même occasion un rocher qui dévale le chemin. Nous traversons la vie en ignorant qu'on échappe, chaque jour, à des millions de dangers. Et puis un jour, on frôle l'horreur et l'on se rend compte de ce que signifie cette fraction de seconde, ou ces quelques centimètres.
Dire au revoir est aussi un recommencement.
Au fond de mon âme, je ressens une subtile envie : il est temps de prier. Je ne m'y étais pas encore résolu, mais, maintenant, je suis prêt. Je serre le poing de ma main libre, je ferme les yeux et pose mon front sur mon poing.
- Mon Dieu, je vous implore de me guider. Je suis prisonnier, ici, dans le Blue John Canyon - vous le savez certainement - et je ne sais plus quoi faire. J'ai tenté tout ce qu'il était possible de faire. J'ai besoin de vos suggestions. Si je dois essayer encore soit de soulever le rocher, soit de m'amputer la main, montrez-moi la voie.
J'attends une minute, la tête toujours baissée. Lentement, je la relève pour contempler le ciel pâle du crépuscule, espérant un conseil divin. Je m'étonne moi-même d'attendre un signe du ciel pour résoudre mon dilemme. Mécaniquement, je scrute les parois rocheuses, attendant quelque improbable hiéroglyphe surnaturel. Bien entendu, aucun conseil métaphysique, aucune réponse divine n'est venue se graver sur le grès.