Vous vous souvenez certainement de cette affiche de « L’Aveu », du film de Costa Gavras, où l’on voyait le visage torturé d’Yves Montand en gros plan, chaussant de petites lunettes noires… Ce film avait fait le tour du monde comme symbole de l’antitotalitarisme. Yves Montand y incarnait alors Artur London, et Simone Signoret jouait le rôle de Lise London, son épouse.
Artur London avait été inter-brigadiste en Espagne et membre de la Résistance française, et était revenu s’installer en Tchécoslovaquie, après la guerre, en 1948.
C’est alors qu’il était devenu vice-ministre tchécoslovaque des Affaires Etrangères, dans le gouvernement communiste installé par l’U.R.S.S.
Mais les purges staliniennes guettaient, et comme tant d’autres anciens brigadistes et résistants à l’étranger, Artur London tomba en disgrâce et il fut arrêté en janvier 1951.
Alors qu’il était lui-même juif, on l’accusait d’avoir été la cause de l’arrestation, de la déportation et de la mort de centaines de juifs. Il était accusé de sionisme, d’activités anti-Parti, et on voulait ses aveux dans ce sens. S’il ne passait pas aux aveux, on le menaçait de mettre sa femme en état d’arrestation. Des machinations de la Sûreté étaient faites pour compromettre jusqu’aux familles tout entières.
Il fut condamné à la prison à perpétuité en novembre 1952 dans le procès stalinien dit du « centre de conspiration contre l’Etat », dont 11 co-accusés, avec en tête le chef du Parti communiste tchécoslovaque Rudolf Slansky, furent pendus.
Artur London a été l’un des trois accusés à avoir échappé de peu à la corde dans ce procès truqué.
Il fut libéré en 1955, puis réhabilité. Il se réfugiera en France.
C’est grâce, entre autres, à l’intervention du Parti communiste français qu’Artur London n’a passé que cinq ans en prison à Prague.
C’est à la suite d’une polémique émanant d’un historien tchèque, Karel Bartosek, sur la véracité du témoignage d’Artur London, l'auteur de
« L’Aveu », que Lise London, son épouse, rendit public ce document inédit
« Aux sources de l’Aveu », écrit par son mari en prison, et ayant servi de canevas au célèbre récit. En dévoilant au public ces pages rédigées de la main de son mari en prison, elle contre-attaquait pour faire taire une
« campagne pleine d’ignominies ».
A chaque fois qu’Artur London transmettait clandestinement ses petits manuscrits à son épouse, il lui demandait expressément de les détruire, aussitôt qu’elle avait pris connaissance de leur contenu. Heureusement qu’elle ne les avait pas détruits !
Ce texte d’une soixantaine de pages, a été publié par Gallimard (en 1997), qui avait édité précédemment le best-seller, « L’Aveu », en 1968, au moment du « Printemps de Prague », écrasé par les chars soviétiques.
Ecrit en français, en très petit, au crayon noir, sur du papier très fin (des petites feuilles de papier à cigarettes « Riz-la-+ »), il avait été transmis par Artur London clandestinement à sa femme, en février et mai 1954, alors qu’il était détenu dans la prison de Ruzyne, à Prague.
Plusieurs pages de ce manuscrit figurent dans cet ouvrage (dont l’une a été fortement agrandie).
Ce manuscrit est un texte brut. Il est la source, et donc le noyau originel de
« L’Aveu ».
Tous ces petits feuillets manuscrits n’étaient pas destinés à être publiés. S’il les écrivait, c’était pour pouvoir informer le Parti communiste français des conditions inhumaines dans lesquelles il était emprisonné, en Tchécoslovaquie, et des accusations mensongères proférées à son encontre.
« L’investigation n’est pas menée pour établir si l’accusé est coupable ou non. La culpabilité est admise d’avance et la décision du Parti par laquelle l’arrestation était réalisée est la preuve de la culpabilité. » Ce sont les premiers mots de son témoignage.
Dans ce document, Artur London décrit dans des pages bouleversantes, les tortures physiques et mentales qu’on lui fait subir pour extorquer ses
« aveux ».
C’est un témoignage sur les procédés de la police politique et des
« conseillers soviétiques » dans les années 50.
La force de ce document « brut » tient dans sa sécheresse et sa précision.
Il démonte dans l’urgence, les rouages et les perversités de la mécanique stalinienne.
Il va subir un vrai supplice. Maintenu à l’isolement, il va être interrogé jour et nuit -surtout les nuits. On le laisse dormir 2 à 3 h par 24 h, et son sommeil est continuellement interrompu sous différents prétextes… Ainsi les quelques heures de sommeil se réduisent à presque rien. Ensuite, il doit marcher dans sa cellule pendant 16 h sans arrêt, puis suivent 4 à 5 h d’interrogatoires et cela pendant 6 mois durant !
Ses semelles aux pieds sont coupantes, ses interrogatoires se font en station debout, en ayant les yeux bandés. On refuse de lui donner ses médicaments pendant des mois, alors qu’il est atteint par la tuberculose.
Et quand on finit par lui donner son « Pneumothorax », c’est en lui disant :
« Des salauds comme vous, on ne les soigne pas. Si on le fait maintenant, c’est pour ne pas vous faire crever avant votre procès. Il est nécessaire et utile de vous faire mourir à la potence pour servir d’exemple d’intimidation à d’autres ennemis comme vous. »
Pour abréger ce supplice, il fait plusieurs fois la grève de la fin, devient un squelette, essaie plusieurs fois de se suicider, par exemple en avalant des têtes d’allumettes pour s’empoisonner…
En avril 1956, à son retour, son fils Gérard (qui n’avait que 8 ans, quand il fut arrêté) dira : « Quand j’ai revu mon père pour la 1re fois, il était dans un état piteux : il avait perdu ses cheveux, il était gris, il avait un teint cireux, jaunâtre. Mais c’était mon père… »
Artur London faisait partie avec son épouse, de cette génération qui croyait qu’un monde meilleur se construisait à l’Est.
Après sa libération en 1956, il ne voulait plus vivre dans le pays où ceux qui l’avaient condamné étaient toujours au pouvoir. Quand en 1963, London, réhabilité, quitte la Tchécoslovaquie, et s’installe en France, il apparaît alors comme un homme profondément atteint, meurtri par l’appareil dont il n’avait compris la logique perverse que lorsqu’elle l’avait broyé, mais qui, de tout ce qui lui restait d’espoir et de flamme, croyait ou voulait croire à la possibilité d’« un socialisme à visage humain ».
Dans les années 1970-80, Artur London a critiqué les pratiques du régime Husak et organisé des campagnes pour la protection des Droits de l’Homme dans la Tchécoslovaquie d’alors.
Le mérite de ce texte est d’avoir montré, pour la 1re fois, le rôle des Soviétiques dans les procès, le fait que tout était organisé par avance, que le sort des accusés était fixé, quelles que soient leurs déclarations… Tout était programmé… Et ceux qui se battaient de bonne foi, comme Artur London, pour un monde meilleur, ne pouvaient pas soupçonner l’existence de ces pratiques staliniennes.
Je pense que chacun, à la lecture de cet ouvrage, ressentira à la fois la force et la détresse de cet homme qui n’avait plus rien à perdre.
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C'est un livre très dur, et même indigeste, qui pourra sembler anachronique à certains lecteurs d'aujourd'hui. Il s'agit du témoignage d'Artur London, ancien des Brigades Internationales en Espagne, actif dans la Résistance en France, survivant d'un camp de concentration allemand. C'est un héros - un héros communiste - qui a été nommé vice-ministre des affaires étrangères de Tchécoslovaquie en 1949. Pourtant, un jour de 1951, il est arrêté par la police politique de son pays. Quand il proteste de son innocence, quand il demande quelles sont les charges contre lui, on lui répond: « Nous emploierons des méthodes qui vous étonneront, mais qui vous feront avouer tout ce que nous voulons. Votre sort dépend de nous. Ou vous optez pour des aveux complets pour essayer de vous racheter, ou vous vous obstinez à rester dans la peau d'un ennemi de l'Union soviétique et du Parti jusqu'au pied de la potence ». De fait, tout se passera exactement comme indiqué dès le début.
Treize autres hauts dirigeants tchécoslovaques ont été également arrêtés, parce que Staline et son laquais Gottwald ont froidement planifié cette purge. Artur London se justifie, résiste aux pressions, explique mille fois son parcours; rien y fait. N'importe quoi peut suffire pour "prouver" qu'il est un espion: par exemple, il a reçu des subsides d'une ONG financée par les Américains, après guerre. Les policiers emploient tous les moyens, y compris les plus abjects et les plus grossiers, pour qu'il assume le rôle qu'on a prévu pour lui dans son procès. Dans "Le zéro et l'infini" publié un peu auparavant, Koestler était resté encore très en-deçà de la vérité sur le système répressif dans les pays communistes. "L'aveu" décrit le point extrême du totalitarisme.
Bien entendu, tous les "amis" d'Artur London ont été immédiatement convaincus de sa culpabilité. Seule sa femme Lise, belle-soeur d'un important dirigeant du PCF, croit encore à son innocence et se bat avec une énergie extraordinaire en sa faveur. Mais tout est planifié: un procès a lieu en 1952; les accusés récitent par coeur la leçon que les policiers leur ont apprise, en espérant sauver leur peau. En réalité, presque tous sont condamnés et pendus, Artur London échappe à la mort - on se demande pourquoi. Il sera réhabilité dès 1956.
Dans les années ‘50, tous les régimes criminels instaurés en Europe orientale par Staline ont été soutenus, encensés, présentés comme des modèles par les millions de militants communistes actifs en Europe occidentale. Avec le recul, certains lecteurs se demanderont avec effarement comment cela a été possible. Hélas, tout ceci pourrait encore recommencer, par les effets d'un idéalisme aveugle: qui veut faire l'ange fait la bête...
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Ce livre n'est pas un chef d'oeuvre de la littérature, mais plutôt un témoignage qui nous rappelle à l'humanité. Que l'on partage ou pas les opinions politiques d'Artur London on se reconnaît dans ce témoignage d'un homme détruit, dont on a tenté d'anéantir la dernière chose qui lui reste: sa conscience.
Artur London nous raconte les détails de sa détention tandis que sa femme, Lise London, nous raconte le quotidien des femmes à l'usine.
Ce livre est aussi un document historique, car pour prétendre à la vérité en Histoire il faut confronter la mémoire collective et la mémoire individuelle, or, ce livre insiste sur des points que l'on a tendance à oublier tels que l'antisémitisme, ou encore le mode de vie sovietique basé sur le travail à l'usine, le rôle central de l'État, le traitement des familles des prisonniers.... On en apprend beaucoup sur le quotidien en Union Soviétique.
Ce livre m'a marqué et je compte bien le relire en prenant des notes.
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London comme son nom ne le laisse pas deviner est d'origine tchèque , c'est l'infortuné coupable du film de Costa-Gavras " L'AVEU " . Durant son parcours au sein des brigades internationales pendant la guerre civile espagnole ,il engrangea de quoi écrire " Espagne "
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L'URSS et ses pays satellites d'Europe de l'Est ne comptait pas de grands cinéastes.. Mais néanmoins, les dignitaires avaient besoin de vivre, de croire en des scénario. Alors, sous l'impulsion du plus grand paranoïaque de l'Histoire, Staline, ces pays du joug communistes s'inventaient des histoires. Vice-ministre tchécoslovaque, Artur London est arrêté en 1951, avec ses compagnons d'armes de la Guerre d'Espagne. Pour rien. Mais la pièce doit être représentée dans les règles. Non seulement, London se voit extorqué ses propres aveux, mais devant un simulacre de tribunal, ses tortionnaires lui imposent tout le synopsis, jusque dans la moindre réplique. Le but de ce procès et son instruction préalable est finalement de donner un cadre légal et justifiable aux parts obscures de l'Homme. Fascinant, dérangeant et dur à la fois. Le texte est assez facile à lire et nous donne du mal à définir ce qui est le Pire: Communisme ou Nazisme...
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