Aurore Turbiau - Littératures engagées : écrivaines féministes des années 1970
Dois-je préciser qu'il m'est difficile, voire impossible, de prêter un seul de ces ouvrages, qu'il soit bon ou mauvais, que j'ai ou pas l'intention de le relire un jour ? J'ai trop peur de ne pas les voir revenir près de moi, et de perdre un morceau de la colonne vertébrale qui me fait tenir debout.
– Suzette Robichon –
Le motif pictural des "deux amies", déjà présent dans un tableau de Courbet en 1866, continue après 1900 de fasciner Louis Anquetin, Constantin Guys, Toulouse-Lautrec, Félix Vallottion, Gauguin, Manuel Robbe, le jeune Picasso, Egon Schiele, parmi de nombreux autres artistes.
Pourquoi cette fascination soudaine ? Elle va de pair avec l'obsession de la deuxième moitié du siècle pour les femmes - obsession emprunte de misogynie - pour l'érotisme, mais aussi pour tout ce qui est considéré comme antinaturel. Chez Baudelaire déjà, c'est la stérilité des amours lesbiennes, par opposition à la maternité, qui forme l'un des creusets de leur nature poétique. Cet intérêt croissant vient aussi du fait que la sexualité lesbienne est par définition interdite à la présence masculine, et que l'idée de la représenter quand même participe pleinement de l'"esthétique voyeuriste" de l'époque (Albert, 2005). Les lesbiennes sont, par ailleurs, étroitement liées pour les artistes masculins de la fin du siècle au motif du dédoublement et du miroir, lui-même au cœur des obsessions encouragées par le développement des théories sur l'inconscient. On en fait une "femme doublement femme", et sa représentation se rapporte à l'intérêt de l'époque pour le narcissisme.
Globalement, elles sont avant tout des figures sexuelles, dont l'érotisme est volontiers calqué sur les couples hétérosexuels. Caractérisées par le manque de la présence masculine, leurs ébats imitent, soit de manière innocente et ingénue, soit sous une forme coupable, lorsque l'une d'elle recourt à un procédé de travestissement pour activement "singe[r] le viril" (Albert, 2005). Elles finissent enfin, la plupart du temps, soit par revenir vers les hommes, de manière volontaire ou forcée, soit par disparaître de la fiction par l'exil ou la mort afin de permettre, on l'a déjà souligné, un retour à la norme.
[1900-1915, émergence d'une littérature lesbienne]
"Ainsi, si les romanciers tuent les lesbiennes pour les punir de leur dépravation, ou pour leur signifier leur "impossibilité", les romancières, elles, suicident leurs personnages, finalement tout aussi impossibles, tant et si bien que "la seule bonne lesbienne est une lesbienne morte", au moins jusqu'aux Guérrillères.
[NQF - Christine Delphy]
"L'existence lesbienne y est présente de façon diffuse, comme une réalité parfaitement ordinaire, pas du tout étonnante, voire comme une chose que toute femme rationnelle, à la condition qu'elle ne soit pas déformée par sa culture, peut très bien préférer."
[Meryl Altman à propos du Deuxième Sexe de S. de Beauvoir]
L'impossibilité de nommer est multifactorielle. Elle peut être due tout d'abord à l'absence de représentation [...].