Beatrice Masini à "Littératures Européennes"
Viorne: le mot lui roule sur la langue comme une baie mûre, et, prenant papier et crayon, elle se demande ce qui est le plus beau, de la plante ou de son nom. En cela, réfléchit-elle, peut-être la poésie est-elle un art supérieur, car elle nomme les choses par leur son et, une fois écrite, par le signe; alors que son art à elle est muet: il n'interpelle qu'un seul sens, et ne sonne jamais. Sauf quand je déchire un feuillet en mille morceaux, se dit-elle, écoutant en esprit le sifflement du papier gaspillé.
...une étoile comme un petit baiser de lumière.
L'Enfant c'est l'Homme quand il était petit.
Il est bien meilleur que l'Homme.
Si tu peux choisir
Choisis l'Enfant.
C'est un jardin de campagne, ni italien ni français, différent de tous les autres : un bâtard dont la mère se nommerait beauté et le père expérience; il n'a pas le charme de ses frères anglais, où les fleurs les plus rares ont l'allure dépeignée des herbes folles, où les roses s'appuient aux troncs comme des demoiselles fatiguées, et où d'improbables prés couleur d'émeraude s'étendent, compacts et embellis d'humidité. C'est aussi un jardin plein de contradictions, comme son propriétaire : grandiose et humble à la fois, populaire et altier
Tout cela est peut-être la faute des mots, se dit Tom.
Grâce à eux et à cause d'eux. Il se souvenait nettement de l'impression de désolation qui s'emparait de lui auparavant, pendant un long, très long moment, quand il n'arrivait pas à trouver un mot. Il se rappelait la déception et la colère qu'il ne parvenait pas à exprimer qu'en serrant les poings, parce que même s'il se tapait la tête, les mots, s'ils ne voulaient pas sortir, ne sortaient pas. Rien n'y faisait.
La mer fait un travail précis, avec les cailloux. Elle enlève les aspérités, elle polit et travaille, prenant tout le temps qu'il faut. Les cailloux de mer sont parfaits. Et si les souvenirs eux aussi devenaient comme ça à la fin, rabotés, modelés, émoussés ? Réduits à leur essence, à leur rondeur. Corrigés par le temps. Toutes aspérités oubliées. S'il y avait des vérités qui piquaient, moi maintenant, je ne le sais plus.
Tout ça pour dire que savoir inventer une histoire et savoir faire le pain, c'est important. Tous deux nous donnent faim et, quand ils Sont réussis, tous deux nous rassasient. Voilà pourquoi, avec votre permission, je suis là moi aussi, parmi toutes ces femmes, magiciennes et héroïnes dont vous écrivez l'histoire, ô vous qui écrivez des histoires. Moi, la boulangère. Je voudrais que vous parliez de mon pain, que vous disiez comme je sais bien le préparer, le cuire. Je voudrais que quelqu un écrive ça. Si vous écrivez le pain, ensuite il est à vous. Si vous écrivez une histoire, ensuite elle vous appartient. Pareil si vous l'écoutez. Nous avons besoin des histoires comme du pain.
En voyageant, elle est une autre : non celle qu’elle a toujours été, non celle qu’on attend et à qui on s’attend à l’arrivée. En suspens. Et elle a toujours eu cette sensation précise, même avec son père à son côté, quand ils étaient loin de chez eux, libres ensemble, définis seulement par le lien qui les unissait. […] A présent, sa voie est tracée, et un puissant aimant attire la voiture vers son but. Qu’on l’appelle destin, ou devoir. Et si une robe de voyage doit être sombre, pour dissimuler la saleté et les taches, elle a tout exprès choisi la sienne claire, pour qu’elle portât bien les empreintes du changement. Son dernier petit défi. p.18.
Les fleurs, molles et mouillées, dans leurs cadres vert et dorés ; les feuilles, mortes depuis longtemps quand on contemple leur portrait suspendu au mur : tout cela est si gracieusement imité, et si vain ! Car dans la vie réelle, tout cela vaut beaucoup mieux en vrai qu’en effigie. Au contraire, les histoires écrites sont plus fortes, plus colorées, plus vivantes que la vie ; et comme si cela ne suffisait pas, les pages qui les accueillent sont prêtes à prendre et reprendre vie chaque fois qu’on y pose les yeux. p.71-72.
Elle ne comprend pas que certaines vérités ne sont pas faites pour flotter au vent comme des bannières, mais doivent plutôt rester repliées au fond de malles oubliées.