Citations de Brigitte Peskine (61)
Finalement, peu importe d'où on vient et où on vit.
C'est en nous que se trouve la seule richesse.
Les adultes, c'est vraiment des nuls : ils feraient mieux de réfléchir à ce qu'ils font au lieu de payer des psychologues pour réparer leurs bêtises !
Je crois qu'il y a des gens plus difficiles à aider que d'autres. Soit qu'ils ne demandent pas, soit qu'ils refusent. Tu vois, par exemple, j'avais la honte de continuer à t'écrire sans que tu me répondes. Si j'avais eu plus de fierté, je ne l'aurais pas fait. Mais j'ai eu raison. Comme quoi, la fierté, parfois, ça gâche tout.
(p. 32)
Comme vous le savez, chez les Antambahoaka, notre ethnie, on ne démarie pas les jumeaux, on les fait piétiner par des zébus ou emporter par le fleuve. Aucun humain n'a le droit de les toucher, ça porte malheur.
On ne peut aider les autres que lorsqu'on va assez bien soi-même.
Zafi m'a confié qu'en classe "on les traitait pire que des animaux" [lui et son frère jumeau]. On ne les touchait pas, on ne jouait pas avec eux, ils mangeaient à part et devaient apporter leur propre vaisselle pour ne contaminer personne...
Par quel miracle ça ne les a pas rendus rebelles ? Je n'en sais rien. Sans doute l'amour de leurs parents et l'unité de leur famille.
Vivant en marge de la communauté, ils n'ont le droit d'assister à aucune cérémonie, ni les mariages, ni les enterrements [...], ni la circoncision collective des garçons qui a lieu tous les sept ans (la prochaine est prévue en 2014). Mais ce qui peine le plus Zafi et César, c'est qu'ils ne pourront pas être inhumés dans leur tombeau de famille. Etant malgache, tu comprendras ce que ça représente pour eux.
Moi, ce qui m'indigne le plus, c'est de voir tant de gens intelligents, modernes (en tout cas branchés sur smartphone ou autre), respecter des coutumes aussi cruelles sans en connaître la cause ni l'origine exactes. "On a toujours fait comme ça", expliquent-ils, comme si ça suffisait. Les parents agissent comme leurs parents, qui ont eux-mêmes reproduit l'attitude de leurs propres parents, et ce depuis la nuit des temps.
(p. 76-77)
Oui, c'est ça. Mon père est un homme en colère. Faut le voir démarrer au quart de tour à la moindre contrariété ! Seule maman sait le calmer. Moi, en grandissant, je l'énerve chaque jour un peu plus. Je le vois bien. Il suffit que j'ouvre la bouche pour qu'il se crispe. Mais jamais il n'avait levé la main sur moi. Jusqu'à hier. C'est pour ça qu'il est parti. Il l'a écrit à maman dans un mot qu'il a laissé sur la table. S'il restait, disait-il, il finirait par me faire vraiment du mal.
Maman a pleuré. Moi, je n'y comprenais rien. S'il avait peur de me faire du mal, c'est qu'il m'aimait un peu. Alors pourquoi état-il incapable de me supporter ? Qu'est-ce que je lui avais fait ?
- Toi, rien, a dit maman, mais la vie, beaucoup.
(p. 6-7)
Ça y est. J'ai téléphoné à maman. Au début, elle avait une voix bizarre. Elle pleurait, je crois. J'ai failli raccrocher, je ne supporte pas quand maman pleure.
J'ai dit : « Où est papa ? » Elle a répondu : « En voyage. » J'ai crié : « C'est pas vrai ! »
Alors elle m'a dit que papa avait quitté la maison. Elle voulait nous l'expliquer à notre retour, au calme, et peut-être serait-il venu, lui aussi, pour cette explication.
« Il ne nous aime plus, ai-je demandé ?
- Mais si, bien sûr que si. Vous continuerez à le voir.
- Donc c'est à cause de toi qu'il s'en va ? »
J'ai tout de suite regretté d'avoir dit ça. C'était vraiment méchant.
(p. 38-39)
J'ai découvert [...] qu'une croyance peut tuer, blesser... ou guérir !
(p. 136)
Clotilde s'était endormie devant la télé. Le sol était couvert de mouchoirs en papier. Soit elle avait vu un film triste, soit elle avait rompu avec son petit ami.
Elle avait rompu.
Il était nul, débile, menteur et il avait même des boutons dans le dos.
(p. 95-96)
Maman était, comme je l'avais deviné, super heureuse de cette visite. Les deux guitaristes avaient épousé des Creusoises ; Jean-Marie s'était marié avec une fille du foyer, une Malabar comme lui. A eux trois, ils avaient dix enfants métis, nés dans le Massif central.
- Finalement, a ri Jean-Marie, ça a marché, leur truc ! On a repeuplé la Creuse !
- A quel prix ! a soupiré papa.
Ils ont évoqué les suicides, ceux qui étaient devenus clochards, alcooliques, cinglés... Ceux, comme mon père, qui avaient été séparés de leurs proches. Ceux qui étaient repartis pour la Réunion où ils n'avaient trouvé que misère et désolation. Jean-Marie était convaincu que la musique lui avait sauvé la vie.
(p. 93)
[...] Elle m'a raconté comment elle l'avait persuadé de cesser ses voyages qui n'étaient que des départs, jamais des arrivées. Elle n'était pas très sûre qu'il éprouvait pour elle autant d'amour qu'elle en ressentait pour lui, mais ça l'émerveillait de compter enfin pour quelqu'un. Il n'en revenait pas, en fait.
(p. 48)
[...] comme il aime à la répéter, [mon référent] est "chargé de soixante-dix situations, soit cent vingt enfants" : c'est son excuse, chaque fois qu'il est en retard ou qu'il oublie un truc [...].
Mes parents, Franck, Steve, Elodie et moi, c'est une "situation". Même si Franck vit avec mon père.
Corbier a les cheveux noirs et la barbe poivre et sel. Presque tous les éducateurs sont barbus. Ils ont tellement de situations sur les bras qu'ils n'ont pas le temps de se raser ! Une autre de leurs manies est de parler deux langues à la fois : français avec les enfants et jargon avec les adultes. "Comment ça va ?" devient : "Où en est-on au niveau du vécu ?" A part ça, il a un regard plutôt sympa par-dessus ses demi-lunettes.
(p. 13-14)
[années 1960-70]
Le tri des enfants, à Orly, s'était passé dans une sorte de brouillard irréel. Parti de la Réunion, je terminais le voyage dans la Creuse. J'ai eu comme un pressentiment : Réunion, c'est un mot d'espoir, de chaleur. Creuse, c'est plutôt l'inverse. Ça fait penser à la faim, au vide.
La première nuit, on a dormi sur des matelas dans une grande pièce à peine chauffée. Un gymnase, je crois. Les gens de la mairie avaient l'air dépassés par le nombre qu'on était. Nous, on était trop déçus. On voulait tous rentrer. Certains ont été conduits à l'orphelinat. Pas moi.
Des paysans en bleu de travail, avec une casquette et des bottes, ont débarqué au gymnase vers midi. Le bruit de notre arrivée s'était répandu dans les campagnes, incitant les fermiers à réclamer un petit nègre à la mairie, "vu que ça travaille, que ça couche dans la paille et que ça ne prend qu'un repas par jour". Certains nous tâtaient les muscles, pour voir si on était costauds ! On était tellement ahuris qu'on ne protestait même pas. Quand j'y repense, j'ai vraiment la haine.
(p. 18-19)
Ce n'est pas la maison qui fait le bonheur mais plutôt les gens qui l'habitent
L'enregistrement de mon vol est annoncé. Avant d'éteindre ma tablette, je caresse dans ma poche la petite bourse remplie de la terre de mes ancêtres.
Je sais qu'après la flamboyance de l'Ile rouge - et l'intensité de ce que j'y ai vécu -, la France va me paraître sombre et ordinaire.
Ce sera à moi d'en faire le pays du possible.
Les Malgaches aiment beaucoup leurs enfants.
Pourtant, Brice et moi, nous avons été abandonnés à notre naissance.
Dans notre ethnie, les Antambahoaka, les gens croient que les jumeaux apportent le malheur. Il faut s'en débarrasser pour protéger la communauté.
C'est une superstition aussi idiote que le racisme.
Il y a une trentaine d'années, un religieux a ouvert à Mananjary un foyer d'accueil pour les jumeaux abandonnés, et c'est là qu'on nous a amenés, Brice et moi, le jour même de notre naissance. Sinon on serait morts de faim, tués par des bêtes ou noyés dans le canal voisin.
Grand-père postillonnait des méchancetés, comme d'habitude. Dans les livres pour enfants, les personnes âgées sont toujours douces et pleines d'amour. En fait, ça rend hargneux de vieillir. Et c'est normal ; comment un homme qui vit au milieu de gâteux, qui voit mal, qui entend mal et souffre à chaque fois qu'il bouge, pourrait-il être autre chose que grognon? Toute la journée, il ressasse ses rancœurs. Je me demande même s'il ne les note pas sur un papier pour être sûr de n'en oublier aucun quand nous venons le voir.
(p 121)
Je pense que c'est par peur qu'on fuit les handicapés. Ils nous déstabilisent, car on ne sait jamais à quoi s'attendre. Pour nous, les émotions et la compréhension vont ensemble. Avec eux, il faut apprendre à décomposer. (p.71)
- Quel couple?
- Ben vous deux ! Ton père et toi ! Tu dis que vous ne vous parlez même plus tellement vous êtes habitués l'un à l'autre ! Mes grands-parents, c'est pareil... Je les appelle ' Passe-moi le sel". Une ambiance d'enfer...
( p 112)