Elle tombe sur un poème de Sofiane,lettre d'adieu ,sur la table à repasser.
《 L'enfant a disparu en pleine rue.Je l'ai vu venir.Malgré les têtes brûlées ,les langues qui piquent.N'ai rien pu faire. Ils l'ont moqué,sali,cassé.Lulu! tes crocs dans la cour des grands.Ne mets pas mes Adidas: elles sont trouées.
Le monde est le privilège des pires. Non,les monstres ne se cachent pas sous ton lit--ils ne se cachent pas.Fantôme et violence: à la décharge.Je rêve encore .Lulu! prends ce qu'on ne t'offre pas.Le vice est bien né.
Mort au vent! La naïveté n'est pas une connerie.Mettons du coeur à prendre notre pied--l'amour c'est halal.J'ai fait ma révolution : retour sur mes pas.Un rab de vie pour être qui je suis.Honneur au môme. Lulu! Ne t'arrête pas en chemin. 》( Page 215).
C'est Lucie qui saigne
Huit heures sonnent .Furieuse ,Lucie presse le pas,lestée par ses tripes.Et en même temps ,elle a l'impression de planer.
Dans un montage ,posté la veille,il lui a mis une bite dans la bouche.L'image à fait le tour de leur classe.Sifflets,moque-
ries,apathie des suiveurs.(Page 7).
Elle lui tend le sachet.Il l'ouvre, flaire.C'est trop bizarre.Faut surtout pas que Juliette l'apprenne.Lucie regarde le ciel,la main en visière sur ses sourcils.Un ange gardien pourrait toujours apparaître.
La montagne de graisse lui tend les biftons. Réglo. Elle les saisit,les fourre dans la poche arrière de son jean et s'éloigne à reculons. Ils s'épargnent un au revoir.L'envie de reprendre son argent,de dépouiller la gadji ,le titille.Lucie s'en doute,et sait aussi qu'elle ne ferait pas le poids.Elle se retourne,veut se barrer avant qu'il ne se décide à l'attraper. Progressivement ,elle accélère le pas,galope à tombeau ouvert,disparaît. Ouf.Le voilà si loin qu'elle se sent en sécurité--le quintal du monstre l'empêcherait de la poursuivre.
Le petit coeur de Lucie bat la chamade.Portée par sa fierté elle pense au pied qu'elle prendra en étalant le fric--façon clip de rap--devant Juliette et Enzo.Qu'on arrête de la prendre pour une gamine irresponsable serait sa plus belle récompense. ( Page 108/109).
Dans la nuit, Juliette a vomi. Lucie a pris soin d’elle. Sa connexion à Facebook ? Seulement ce matin. Après avoir enfilé la marinière qu’elle aime d’amour, la Monoprix – « ça vous ira à navire », promettait le slogan qui les avait fait marrer toutes les deux. Après avoir lissé ses boucles noires de brebis galeuse. Après s’être pesée – potelée, sans surprise. Vers sept heures trente, elle zieuta la vingtaine de notifications qui l’attendaient sous l’image monstrueuse : sa tête mal détourée, dérobée sur son profil, arrachée de la photo sur laquelle elle souffle ses bougies d’anniversaire. Treize, en mars. Ju’ avait cuisiné un gâteau au yaourt – son devoir de maman –, et lui avait offert son cochon d’Inde blanc tacheté de marron, Gizmo. Dans sa cage, la roue tourne, tourne, tourne…
Il se dit qu’il lui apprendrait bien le respect, à cette petite racaille qui veut jouer les dures.