Le comédien est lecteur absolu du Soleil. C'est lui, l'acteur, c'est elle, l'actrice, dans son rapport aux autres, qui va peu à peu écrire l'histoire du théâtre. Tout le reste vient après le lieu, la technique, la mise en scène : au début était l'acteur, e de son verbe n'ait l'ensemble. C'est par lui que le théâtre tient encore au sacré. Au Soleil, quand les comédiens sont en costumes, et maquillés, ils deviennent ce qu'ils sont en train de devenir.
Le désastre programmé qui par deux fois envahit l'Europe du vingtième siècle aura rarement trouvé un œil aussi clairvoyant que celui de Walter Benjamin, une lumière capable de mesurer avec une telle acuité l'ampleur et la teneur de ce qui se trame.
L'économie d'un théâtre, c'est aussi, c'est essentiellement le souci pour le commun, l'attention à la manière dont les choses se font et s'organisent. La vie du Soleil s'est toujours préoccupée de la façon de faire. Le théâtre est aussi, essentiellement. Un savoir faire, un artisanat à multiples facettes, toutes importantes. Les techniciens, en particulier, sont les porteurs d'un trésor considérable, à condition qu'on leur donne la juste place, et que l'on reste à l'écoute de leur art.
Pour Ariane Mnouchkine, le metteur en scène n'a pas pour fonction de dicter aux acteurs leur conduite il : "doit seulement donner espace à l'acteur. A l'intérieur et à l'extérieur. Balayer le moi, les minauderies, les exhibitions, les exagérations. Lui donner de l'air, mais ne pas tout brûler. Faire le vide, mais un vide matriciel".
Le public qui compose les représentations de Pippo Delbono est décidément très intrigant. Certains rejettent en bloc ce qui leur est montré : ils y éprouvent une violence qu'ils n'acceptent pas. Ils quittent le navire avant que cette violence ne se renverse en acte d'amour. Ceux qui restent, même sur le qui-vive, font un parcours qui désamorce la charge de violence, et la renverse en son contraire. Ce qui pouvait apparaître comme un pur "happening" un peu daté, ne visant pas autre chose que la seule provocation, se résout d'un coup en une image qui nous ressemble. C'est ce qui explique la force populaire que génèrent ses spectacles, qui tourne parfois à de la ferveur. Certains spectateurs sortent dans de drôles d'états, mutiques, en larmes, bouleversés par ce qui leur est arrivé. Ces spectacles touchent des zones très profondes de l'être humain. Certains ne veulent pas les voir, ce qui produit inévitablement une division, un clivage profond dans le public.
Les écrivains de plateau partagent cette conviction que le spectacle ne s’achève que dans l’imagination de tous ceux qui y assistent. Tous mettent en avant le rôle actif et décisif des spectateurs. Le sens du spectacle n’est pas donné à l’avance, et ce sont eux, et eux seuls, les spectateurs, qui peuvent en traduire, et en dire la signification véritable, qui est par définition plurielle et multiple. C’est leur cheminement personnel dans la représentation qui permet d’en écrire la trace ultime. Aucune vérité ultime, juste des bribes de mémoire, des intuitions, une fulgurance, parfois une expérience, et, te temps en temps, un vrai CHOC.
Cela commence pour nous par des choses très simples, faire un repas, trouver un chant, dresser la table, dresser la tente. C'est peut-être cela aussi, le travail du plateau, où il ne s'agit pas d'abord de montrer. On est dans cette situation paradoxale où des gens viennent voir quelque chose qui s'appelle un spectacle, qui n'est là en fait que pour rassembler, et faire exister cette curieuse temporalité où des gens se retrouvent dans un même espace/temps, qui va consister à diviser la tâche, la répartir. Ca fait travailler tout le monde. [François Tanguy].