Caroline Solé

Elle maudit sa mère de la faire vivre dans cette région désertée, où rien ne survient jamais. Tel un naufragé jetant une bouteille à la mer, chaque semaine elle s’inscrit en ligne pour faire partie d’un tirage au sort et gagner un week-end à Paris, elle participe également à des concours pour rencontrer des stars. Jamais elle n’a été sélectionnée.
Tous ces produits qu’elle découvre dans les publicités tourbillonnent dans sa tête. Les repas, les vêtements, les vacances des autres qui défilent sur les réseaux sociaux flottent dans l’air quand elle se promène dans les champs. Elle aimerait ne pas y penser, ne pas désirer tous ces objets ou ces univers clinquants.

Elle se demande comment vivent les autres, ceux de son âge et de son lycée, mais aussi dans le monde entier. Alors elle allume son écran pour se sentir moins seule et tenter d’y voir clair. Il est souvent question de familles plus riches que la sienne, de célébrités. Les personnages des séries lui tiennent compagnie, elle a l’impression de les connaître et de partager leur destin.

Son quotidien lui paraît toujours plus fade que ses rêves. Lorsqu’elle n’est pas contrainte d’aller au lycée, elle passe son temps dehors, à se promener dans les sous-bois et à porter secours aux oisillons abandonnés. Elle a beau leur confectionner des nids de paille dans la grange, elle parvient rarement à les sauver. Elle aime se perdre dans la nature environnante, pistant les biches dans les chemins forestiers, guettant les lapins bondissants dans les clairières ; ramassant glands, fleurs et feuillages qu’elle fera sécher dans le hangar ou infuser dans de l’eau chaude, selon la saison et la récolte.

Chaque jour est un arrachement. Quitter son lit la fait trembler, comme si un dentiste allait lui enlever à la pince ses illusions.
La jeune fille poursuivrait bien son rêve en s’octroyant le beau rôle. Elle s’imagine à la place de l’héroïne de la série qu’elle a vue la veille, enlaçant un gangster dans une ruelle new-yorkaise, jusqu’à ce que le visage du garçon dont elle est secrètement amoureuse finisse par remplacer, dans son fantasme, celui de l’acteur. Ses mèches blondes lui couvrent légèrement les yeux, ses lèvres brillantes et charnues l’embrassent dans un recoin du lycée.

Et il ne manquerait plus que je fasse semblant, moi aussi, d'aimer cette existence où je dois allumer un écran pour assister à un évènement trépidant et me sentir vivant.

"A 0 ans déjà, je pensais "Est-ce vraiment utile de sortir de ce ventre douillet pour cette salle d’hôpital glacée?" Sans les forceps, je serais restée planquée au chaud, à roupiller. Mais il y a toujours des abrutis pour vous forcer à suivre la même voie qu'eux."

Bon sang, regarde où tu vis! Si tu finis premier, ça leur fera peur. Tant qu'on ne voit pas ton visage, tu n'existes pas vraiment. Tu es un symbole, une gentille mascotte. Mais si tu remportes le jeu et que tu sors du bois, tu deviens humain, un des leurs. Ils redouteront alors tous de finir comme toi. A dormir comme un chien sur un carton mouillé.

Chacun vit avec ses mystères et ses fantômes. Pour certains, c'est un petit frère qui manque, une mere, pour d'autres c'est un père ou le dénouement d'une enquête policière. Malgré tout, c'est peut être ce vide, aussi, qui nous fait vivre. Il nous pousse à essayer de comprendre, à chercher, à créer. À aimer.

"J'ai toujours pensé que les rêves étaient comme un petit feu à l'intérieur de soi, il faut souffler sur les braises régulièrement pour qu'il ne s'éteigne pas. C'est ce que j'essaye de capter en filmant les battements d'ailes des insectes, les frémissements des feuilles, le voyage fébrile d'une fourmi dans une fissure. Ces choses-là nous fascinent quand on marche encore à quatre pattes mais, dès qu'on n'a plus de couches, on devient plus captivés par les écrans. Alors, je les filme pour que les adultes les retrouvent sur leurs écrans et qu'ils n'oublient pas souffler un peu sur leurs rêves. "

Je dois ressembler à un bagnard, sauf que je ne casse pas les cailloux à la pioche, je les jette pour faire ricochet, fixant le terrain vague sur le bas-côté comme on contemple l'horizon au bord de la mer. Aucun cargo ne mouille au large, aucun marin n'accoste au port : toujours les mêmes têtes dans la cour qui crient ou se cachent derrière les buissons pour s'étouffer avec une cigarette.

J’ai bien aimé une partie de la page 37 du « Mon rêve ce serai … » à « Je ne voulais pas qu’on me retrouve ».
Cette petite partie de livre nous décris son rêve avec une tel précision qu’il va même parler des l’ombre des cactus. Il nous dit qu’il ne veut pas de wifi pour tout foutre en l’air, il fait en faite une référence à sa fugue où il jette son téléphone pour que personne ne le retrouve.

Mon passage préféré est le suivant car il est mature, le personnage en a enfin fini avec le jeu de téléréalité et n’a plus peur de lui-même et des autres.

« On peut tourner la manivelle toute sa vie sans aligner les dollars. N’écoper que des queues de cerises. Entendre les cloches sonner au loin. On peut décamper encore et encore jusqu’à passer à côté de tout. Comme on peut, aussi, ne plus craindre son ombre. »

Donc, pour la plupart des gens, ça, c'est un problème. Il faut avoir une bourse pleine et une existence enviable, voilà ce qu'ils pensent. Alors que c'est justement cette bourse et cette vie qui vont leur attirer des problèmes, non?