Citations de Charles Jackson (33)
Que dire des jours innombrables, passés, perdus, irrémédiablement gaspillés dans ces abîmes ; du temps qui s'engouffrait dans cet égout et ne revenait jamais plus? Quel profit vous dédommagerait jamais de ces journées envolées?
Le délire est une maladie de la nuit.
Pour un type comme toi, le premier verre est celui en trop, et le dernier ne suffit jamais
Le fond, bon Dieu ! Il n'y a pas de fond, aussi longtemps que subsistent en vous l'envie, le désir, des intentions, des besoins. Votre coeur et vos poumons fonctionnent encore sans accroc...
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Cette remarque le ravit. C'était la preuve que son esprit fonctionnait avec précision et atteignait son maximum de rendement. ; hyperconscience que l'on n'acquiert qu'à ce degré d'intoxication.
Il s'était réveillé sur le divan du living-room , encore tout habillé. Ses pieds le brûlaient. Il se souleva et défit les lacets de ses chaussures qu'il jeta loin de lui. Puis , s'asseyant , il retira son veston et son gilet , dénoua sa cravate et ouvrit son col. Machinalement , sa main tâtonna à côté du divan , cherchant la bouteille . Quand il l'eut trouvée , le cœur lui manqua : elle était vide .
Quelque chose d'indéfinissable buvait maintenant avec lui , en lui , pour lui ; il s'aima et se haït en même temps , ainsi que ce cochon de Sam. Il se débattit , s'efforçant de penser comme avant d'une façon claire. Vivre et louer Dieu dans une médiocrité bienheureuse.
Peut-être buviez-vous parce que vous étiez malheureux, ou trop heureux ; parce que vous aviez trop chaud, ou trop froid ; parce que vous n'aimiez pas le Partisan Review, ou que vous l'aimiez trop. C'était aussi peu motivé que cela. Au diable les causes ... Elles ne signifiaient absolument rien en regard du fait unique : vous buviez et cela vous tuait. Pourquoi ? Parce que l'alcool ne se laissant pas diriger, vous êtes battu d'avance. Pourquoi ? Parce que vous aviez atteint le stade où un verre est de trop et cent, pas assez.
Chaque journée d'ivresse avait aboli la précédente, il en était toujours ainsi, toujours ... et qui pouvait en comprendre le bienfait ? Le bienfait et, parfois la terreur ... la terreur parce que vous viviez dans l'appréhension perpétuelle et mortelle d'avoir commis quelque action irréparable, pour laquelle vous ne pourriez témoigner si on vous en demandait compte.
Le téléphone sonna.
Le bruit transperça sa vessie comme une pointe acérée et un flot d'urine chaude inonda ses cuisses, mais il n'était plus capable d'y prendre garde ni même de changer de place. Le téléphone sonnait dans la chambre à coucher, sonnait et sonnait. Il sonnait rouge, jaune, orange, comme la cloche horripilante qui retentit dans le métro lorsqu'un train va quitter la station ; comme l'alarme hurlante du cinéma lors de la tentative d'évasion des détenus. Ce n'était pas si terrible, on pouvait le supporter. Il savait ce que c'était et que ce ne pouvait devenir pire. Les peurs du moment étaient moins à craindre que ces horribles imaginations. Il pouvait les endurer et peut-être même y rapporter ses pensées.
... Il défit sa ceinture et sa braguette, déboutonna son caleçon et laissa glisser les deux vêtements le long de ses jambes jusqu'à ses pieds. Pour le présent, c'était tout l'effort qu'il fut capable de fournir. Il se rassit dans une extase d'épuisement.
Personne n'est plus empressé à se servir du mot «tante», employé par surcroît en terme de dérision, que la tante elle-même ... comme le Juif qui courbe l'échine sous l'appellation « youpin », mais qui s'en sert deux fois plus que quiconque , comme le Noir, si rapide à la riposte avec le mot «nègre» ; ...
Que le monde serait donc un endroit merveilleux si chacun voulait seulement se montrer tel que la nature l'a créé ...
Les gens se bousculaient autour de lui, des trolleys se secouaient comme des boîtes à clous, des klaxons hurlaient, des camions bondissaient avec fracas sur la chaussée, et, au-dessus de sa tête, le L explosait spasmodiquement comme des mines dans une carrière.
L : Abréviation familière pour Elevated : métro aérien.
... l'alcoolique, pour se procurer son poison, fera tout ce que celui qui s'adonne aux stupéfiants fait pour se procurer des drogues, tout, excepté commettre un meurtre. Privé d'alcool et afin d'en obtenir, il mentira, priera, suppliera, cajolera, empruntera, volera, cambriolera ... tous les crimes du catalogue ! Mais il ne tuera pas. Et c'est là la différence entre l'ivrogne et le toxicomane. Mais la seule.
Il pensait à la fois où il avait lu dans un journal que Garbo allait tourner La Dame aux camélias, et comme il s'était dit : « Que Dieu me damne, pourquoi faut-il qu'ils la fassent jouer, elle entre toutes, La Dame aux camélias ! Ce rôle n'a-t-il pas déjà été interprété jusqu'à en mourir par chaque femelle hystérique qui se croit une comédienne ? » Et lorsque enfin il l'avait vue, quelques semaines auparavant, il avait alors compris à quel point elle avait réussi à faire sien ce rôle usé jusqu'à la corde, à le jouer comme il ne l'avait jamais été, et, en ce qui le concernait, ce fut pour lui la fin des Marguerites : ç'avait été rendu une fois pour toutes et comme ce ne le serait jamais plus.
Comment pourrait-il jamais faire partager à quelqu'un le sentiment de volupté qu'il éprouva à pénétrer dans l'appartement avec sa bouteille de scotch sous le bras ? La journée était à lui ; à lui, le whisky et la place tout entière.
... il buvait pour la sensation que ça lui procurait. Quant à étancher sa soif, l'alcool lui causait exactement l'effet opposé. Étancher veut dire diminuer, satisfaire, rassasier. Et l'alcool ne fait rien de tout cela. Bien au contraire, un verre conduit inévitablement au suivant : plus on ingurgite, plus on en désire, et cela devient, par paliers progressifs, de plus en plus facile, jusqu'au moment où on n'est plus que la victime de ce besoin désespéré qui, lui, n'est pas facile, ce besoin qui le martyrisait des jours comme celui-ci. Le besoin de respirer n'est pas plus essentiel.
Mais l'imbécile de psychiatre en connaissait bien moins là-dessus que le poète, le poète qui avait dit à un autre docteur : Ne peux-tu secourir les malades de l'esprit ... extirper du cerveau les maux qui y sont inscrits ? Le poète qui avait répondu : Ainsi donc, le malade doit se guérir lui-même ...
La nuit dernière, ce n'avait été que de l'alcool. Maintenant, c'était le remède.
Où n'avait-il pas déjà dissimulé de bouteilles ? Dans la poche de sa vieille pelisse, accrochée dans le placard et qu'il ne portait jamais, derrière des livres, ça va de soi ; dans des bottes, des vases, sous des matelas ...