Dan Fante explique pourquoi il est devenu écrivain, parle de son amour pour le public français, sur Bruno Dante, son alter-ego littéraire et sur son sevrage alcoolique.
Pendant des années
j'ai versé du bourbon dans ma tête
pour tuer les voix
Mais vint le temps où j'ai dû lâcher la gnôle
ou rendre mon passeport
Des jours ca allait si mal
que je devais remballer mes affaires dès le matin
dire que j'étais malade
et quitter mon poste de télé-vendeur
trente secondes avant de tuer quelqu'un
Je passais prendre deux Big Mac et louer deux pornos
je rentrais
tirais les rideaux
et me branlais dans du steak haché
pour étouffer le bruit
Il me fallait des heures de télé et des romans de 800 pages sans
répondre au téléphone
pendant des jours
sans me raser ni laver une assiette
ni changer de slip
juste pour garde la tête hors de l'eau
Aujourd'hui
je vais mieux
j'ai changé pour Burger King
UNE CÉLÉBRITÉ
Ce soir j'ai rencontré à Paris une célébrité de la télé française
qui fait toute une histoire de mon art
dans ses e-mails
et
elle est friquée
elle a couché une fois avec Sartre et
notre rencontre a plongé sa nature passionnée dans le ravissement
déclare-t-elle
Elle va jusqu'à me citer une de mes brillantes conneries
en traduction française
Certes je suis toujours partant pour bouffer gratos
seulement
le moment venu
juste après le dessert
elle attend de moi un commentaire fulgurant
sur la poésie
ou la littérature du XXe siècle
ou ce qui m'a plongé pendant des années
dans la folie et le désespoir
et conduit à me retrouver avec un goût de canon de flingue rouillé
dans la bouche
Qu'est-ce que j'en sais ?
Et la princesse de la télé a l'air blessée
écoeurée
et renonce j'en suis conscient
au projet de me mettre dans son pieu
mais c'est bon
on n'en mourra pas
ma médiocrité et moi
On
a
encore notre prix
VIVE L.A.
Aujourd'hui
j'ai raccroché
après avoir parlé scénario pendant une demi-heure
avec un producteur de L.A.
et
j'ai senti mon coeur cogner dans ma poitrine
Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? je me suis demandé
Bon Dieu de chiottes qu'est-ce que ce foutu connard a essayé de me
fourguer ?
Je n'en avais pas l'ombre
d'une idée
Tout ce que je sais
c'est qu'il n'y a rien de plus dénué d'âme de Dieu sur cette
planète
qu'un producteur de Hollywood
J'aimerais encore mieux rencontrer mère Teresa shootée au crack avec
un pic à glace dans chaque pogne
Oooh doux Jésus écoute ma prière préserve-moi de ces
Enculésdeleursmèresdebouffeursdemerdesdechiens
dénués d'âme
sauf
évidemment
le jour de la paie
À 6 heures du mat'
dans la moiteur de Milan
les yeux flous
en décalage horaire jusqu'à l'os
insomniaque
paré à lire mes oeuvres
à ajuster mon chapeau
et – si possible
ne pas me curer le nez en public
l'important
dans ce genre de voyage
c'est de cacher l'imposteur que je suis
d'empêcher
à tout prix
un connard du troisième rang à moitié soûl
de brailler
hé le débile – fais chier – dégage
Mais moi je sais
ce que lui ignore
que la peur d'être nul et chiant
devant une foule cruelle
est le vrai moteur de l'écrivain
oubliez les chèques
les critiques
il s'agit juste de sauver la face
Merde
tout le reste n'est que
chance
fumée et miroirs
c'est ça le secret
Nous sommes, nous les écrivains, des anomalies sociales, des boutons sur le cul de notre culture.
JAMAIS CONTENT
J'en ai toujours voulu
plus
J'avais à peine rempli
un verre
que déjà
j'en voulais
un autre
jusqu'à ton arrivée
à toi
toi
Un regard
sur
toi
et mon coeur s'est noyé dans une rivière d'étoiles
On va appeler un serrurier dès aujourd’hui et je vais faire changer le verrou de la porte. Tu représentes un vrai danger pour mon bien-être et ma santé. Tu es un indécrottable imbécile qui a de lourds problèmes psychologiques et, à vrai dire, je pense que tu prends plaisir à faire du mal aux gens.
J'ai toujours cru que ça s'arrangerait en bossant
ou en faisant du sport
ou avec un whisky coûteux
ou une nouvelle Chevy rouge suréquipée
ou cette maison en ruine sur la plage que j'ai achetée l'autre jour
ou un nouveau mariage avec une salope encore plus folle que la précédente
ou pourquoi pas un bon papier dans le Times
mais rien n'y fait
rien
ne peut
remplir
le vide
de
la solitude
LE 15 JUIN 2006
En ouvrant le message de mon frangin Jim
j'apprends qu'il m'en veut à mort
de ce récent article du L. A. Times
sur le vieux et moi
alléguant que John Fante
non content de picoler
était un con dépressif – un taré
un enragé
On dirait que pour changer
« T'as flingué sa réputation »
Jim est nettement plus jeune que moi
il était pas dans les parages
à l'époque d'avant le diabète et le sevrage
quand le paternel faisait péter ses feux d'artifice vers le ciel
Il ne s'est jamais rendu compte des dommages collatéraux
il a jamais vu p'pa pisser sur le tapis du salon
ou se bananer dans la table basse
ni se viander contre un arbre
Pour le frangin Jim
John Fante était un papa gâteau de sitcom
un entraîneur de base-ball catégorie minimes
un golfeur de première bourre
un prince
un mec vraiment réglo
Ben ouais c'est ça t'as raison
Et moi
je suis
le putain
de roi
de Siam
Je veux dire
au prix que ça coûte
franchement quel est l'intérêt de jeter un putain de portable contre
un mur pour le regarder exploser en mille morceaux ?
Je veux dire ça suffit les enfantillages...
EH BIEN L'INTÉRÊT BORDEL
C'EST QUE ÇA FAIT DU BIEN
— LE VOILÀ
LE PUTAIN
D'INTÉRÊT ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !