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Critiques de Charles Joliet (5)
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Vipère

Jeune couple mondain, en vue, fortuné et rentier, M et Mme Demarsay appartiennent à la haute sphère parisienne, s'entendent cordialement sans passion, sans tension quelconque, en bonne harmonie et en parfaite indépendance. Aussi, « rien ne laissait présager un orage capable de troubler cette union, sans amour, il est vrai, mais sans incompatibilité. Il y a ainsi des affections négatives qui peuvent durer longtemps. »



Cependant, sans être dupe des errances de son épouse, sans avoir d'illusion sur sa chasteté, il est toujours difficile d'admettre sans outrage et humiliation une lettre révélant un adultère, particulièrement quand l'amant concerné est d'une physionomie peu flatteuse : « avec cet air de nullité arrogante et de vanité malade, qui les font ressembler à des bustes en cire, perchées sur des échasses, et regardant en pitié le reste du genre humain. »



Voulant à la fois se venger et se retirer du bas monde parisien, M. Demarsay s'enferme littéralement dans son château situé en Tourraine sans que personne ne sache, hormis son notaire, où il réside.

Avant de quitter la ville, l'amant, le Vicomte de Lorme, fut ruiné au jeu par Monsieur Demarsay dans les règles, avec sang-froid et courtoisie ; c'était sa première vengeance immédiate.



La seconde était plus longue - du fait de son isolement, son épouse ne profitait plus des rentes de M. Demarsay et devait se contenter avec frustration de ses propres revenus, qu'elle jugeait trop faible pour entretenir son exorbitante coquetterie et maintenir le rythme de ses nombreuses soirées mondaines.



Mais cet autarcie, quoique apaisante, le disposait également à se faire subir un examen de conscience en s'interrogeant froidement sur sa vie :



"Ce n'est pas impunément qu'on peut rompre d'un seul coup toutes les habitudes d'une vie mondaine. Paris est l'arsenal où se forgent les armes victorieuses contre cet insaisissable adversaire que Léopardi appelle le plus sublime des attributs de la nature mortelle : l'ennui."

(…)

" En ce moment, il était le jouet d'une sorte d'hallucination ; ces brûlants souvenirs se présentaient sous une forme animée. Il s'appliqua à les regarder en face, et ils flottaient devant ses yeux comme des ombres. Quand on a fixé le soleil, on voit une tache rouge qui subit une décoloration progressive ; pour lui, elle semblait ineffaçable comme la tache de sang des légendes."

(…)



"Qu'importe, après tout, que je vive ou que je meure ?

Qui peut s'intéresser à moi ? 
Ai-je laissé des amis ?

La plupart des gens que je connais se réjouiraient du malheur qui m'arrive s'il était connu d'eux."



Mettre fin à ses jours serait ridicule et ferait « le triomphe des coupables » il va donc demeurer longtemps en silence dans ce château :



« Il faut donc vivre, séparé du commerce des autres hommes ; mais il est nécessaire que je ne devienne pas fou.

Pourrai-je vivre ainsi ?

Combien de temps ?

L'idée qui m'obsède, fixe, unique, persistante, est une ennemie avec laquelle il faut m'accoutumer à vivre.

Pour combattre le malaise de l'isolement, il faut faire une amie de la solitude.

Je préfère la solitude au désert peuplé d'égoïstes qu'on appelle le monde. (…)

Voyager, dans ma situation, c'est changer de place pour souffrir.

Faire le tour du monde ? Chance de mort.

(…) 
Il est nécessaire qu'on sache que j'existe, que je ne suis pas loin, que je puis atteindre les coupables.

(…)

Mais cette femme m'aimait-elle ? Non.

L'ai-je-aimée ? Non. J'ai eu du goût pour elle ; mais il a passé, et ce n'est pas d'hier.

Pouvais-je l'éviter ? Non. Elle n'avait ni amour, ni religion. Elle s'est donnée, de parti pris, sans passion, à un être incapable d'éprouver ou de comprendre ce qu'est une passion.

(…)

Le mariage est un lien social ; son indissolubilité est une loi de convention (…) La séparation, inutile, ridicule.

(…)

L'assassinat me répugne.

Elle, a-t-elle mérité la mort ? Non - quand on est assez aveugle pour épouser une telle femme, on n'a pas le droit de la tuer.

Premier châtiment : perte de la fortune.

Lui, a-t-il mérité la mort ?

Non. - il a fait ce que j'aurais fait à sa place, dans les mêmes circonstances, en renversant les rôles.

Premier châtiment : je l'ai ruiné.

(…)

Le duel est un moyen décent et honnête ; mais quel que soit le prétexte choisi et accepté, le monde ne s'y méprendra pas.

Si je le tue, je ne suis ridicule ; il n'y a qu'une tache.

Si je le blesse, s'il n'y a pas mort d'homme, je puis être ridicule.

Si je suis tué, triomphe des coupables. »



Telles sont ses réflexions, glaciales, impitoyables et logiques.



Peu de temps après la fausse disparition, Mme Demarsay jouait aussitôt la veuve, feignait d'ignorer les causes de l'éloignement de son mari et comptait constater, par requête judiciaire, son absence afin de reprendre la main sur la fortune de son mari et d'afficher officiellement son statut de femme libre et de coeur à prendre ou à vendre.



Mais il y eut un brusque revirement au moment où M. Demarsay fit un don de charité de la somme colossale qu'il avait gagné au jeu contre son amant. Ce geste fou et admirable, qui en outre prouvait que M. Demarsay était toujours en vie, fut repris par tous les journaux parisiens. On fit un rapprochement entre tous les faits si bien qu'il pesait dès lors sur Mme Demarsay des suspicions aboutissant à l'ostraciser en partie du monde.



C'est à cet instant que se révèle la vipère. Acculée, elle n'avait d'autre manoeuvre que celle de bondir et mordre frénétiquement : « entrainée par le courant des choses et la pression de l'opinion, ne pouvant plus reculer sans abandonner la partie, elle résolue d'avancer. Sa réputation était engagée, compromise si elle hésitait, perdue si elle ne triomphait pas. »

(…)

« Mme Demarsay, dont l'esprit était oisif et le coeur inoccupé, était toute disposée à saisir l'occasion et mettre un intérêt dans sa vie monotone. C'était l'effet d'un besoin d'activité, la continuation d'un projet auquel elle ne renonçait pas, et qu'elle était décidée à poursuivre jusqu'au bout, par tous les moyens possibles. »



L'un des moyens fourbes de basculer l'opinion en sa faveur était de faire reconnaître la folie de son époux, ce qui dissiperait les soupçons pesant sur sa personne et lui offrirait la pleine disposition de sa fortune par la mise en place d'une tutelle.



Tout en l'attitude, l'apparence de M. Demarsay l'encouragea sur cette voie au moment où elle revit son méconnaissable mari cloîtré en son château : barbe et cheveux démesurément longs, la fuite de tout regard, l'absence de voix prononcée… Profondément haï par son époux, elle ne méritait selon lui plus aucun signe d'attention.



L'inspection par le médecin mandé par la vipère aux fins de constater la folie fut un échec. M. Demarsay est admiré en tant que curieux modèle de sagesse. Tous les détails de son quotidien, les raisons de son départ, sont fidèlement recueillis par le médecin comme s'il devait s'agir de l'imiter, ce qui, bien évidemment, enrage Madame :



« Deux fois vaincue, elle n'abandonnait pas la partie ; loin de craindre la vengeance légitime de son mari, elle renversait les rôles et cherchait un nouveau moyen de prendre une revanche éclatante aux yeux du monde, qui suivait les péripéties de ce duel implacable et silencieux. »

(…)

« Si dans huit jour, mon mari ne m'accorde pas une pension de 20 000 francs, ce qui est mon droit, je le préviens que rien ne m'arrêtera. »




Droit au but : « avec l'inflexible logique d'un coup de poignard » ; le tuer était plus simple et sûr que des manoeuvres juridiques : en contrepartie d'une somme remise, le Vicomte de Lorme, accepta d'offenser et provoquer en duel M. Demarsay en cherchant un prétexte ridicule, ne remportant la somme, bien sûr, que s'il gagnait et tuait sur le coup son adversaire. Mais le vicomte décède, l'échec se renouvelle, ce qui n'ébranle toujours pas la résolution de Madame Demarsay.



L'unique moyen de troubler son impassible mari consiste à entraîner sa famille entière dans le déshonneur : Madame Demarsay le menace de l'assigner en séparation de corps, avec tous les bruits retentissants possibles d'une presse qui se passionnait pour ce couple tumultueux à nombreux scandales.



Cette dernière tentative opère à merveille : « Celle qui porte mon nom m'a mis dans la nécessité de tuer un homme que je voulais oublier. Tant qu'il ne s'agissait que de moi, je n'ai rien dit ; mais j'ai un fils, et je ne veux qu'il rougisse de sa mère. »



Le ménage se reforme ainsi et paraît, aux yeux du grande monde, ne s'être jamais disputé.

Un soir, en sortant d'un bal en présence de son épouse, M. Demarsay, qui manoeuvrait un fiacre, le précipita dans les profondeurs d'un fleuve aux eaux tumultueuses et plein de tourbillons impétueux. Lui qui était d'un flegme invariable, se venge brusquement avec cruauté et sadisme :



« - L'eau ! Cria-t-elle encore. Pitié, pardon, pitié pour moi ! Pitié… Ah !!! Vous êtes fou ! Pour l'amour… 

De vous ? S'écria M. Demarsay en éclatant de rire, et en fouettant les chevaux qui avaient pris le mors aux dents. »

(…)

« Revenu à la surface de l'eau, à la lueur de la lune, il put voir une main qui s'agitait, et la tête des chevaux, dont les naseaux absorbaient encore l'air dans une aspiration puissante, puis tout disparut »

(…)

« Morte la vipère, songea-t-il, mort le venin. »

(…)



Curieux et court roman où l'auteur illustre un principe fondamental et bien connu du destin : « il faut constater qu'il y a dans le monde une grande loi générale, qu'on peut appeler la loi des compensations. C'est le talion du Destin, qui veut que celui qui a frappé par l'épée périsse par l'épée »



Ce qui fait dire au personnage principal :

« La vipère a sifflé, songea-t-il, je lui écraserai la tête »



Outre une plume exquise, l'auteur alterne la délicatesse et la violence avec éclat, talent et originalité.
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Aurore

Si les ombres d’Alexandre Dumas et de Paul Féval, ces grands pionniers du roman de cape et d’épée, planent ostensiblement, sur ce roman, Charles Joliet y apporte un caractère nouveau et résolument expérimental. Tour à tour histoire d’amour, évocation symboliste et roman-feuilleton, « Aurore » est un curieux collage qui a dû quelque peu décontenancer son public. D’abord, parce que même à l’époque de sa parution, le roman s’inscrivait dans un genre littéraire qui glorifiait le XVIIIème siècle, et où Charles Joliet impose une assez stupéfiante noirceur et une contestation extrêmement dure de l’Ancien Régime. Ensuite, après une évocation presque surnaturelle du comte de Saint-Germain, Joliet enchaîne avec un portrait à charge extrêmement cruel de la marquise de Pompadour, qui est décrite comme une sorte de démon femelle, décharné et amaigri, vieillissant et reptilien, ce qui peut sembler excessif pour une femme qui n’a pas encore 40 ans, au moment où débute cette histoire.

Il n’empêche, malgré sa bizarrerie, malgré son éparpillement et ses incohérences, malgré une dernière partie plus ordinairement feuilletonnesque, « Aurore » est un livre assez envoûtant. D’abord parce qu’il est merveilleusement écrit et avec beaucoup de soin : les dialogues y sont exceptionnellement brillants, les descriptions sont flamboyantes, les personnages bien dessinés, l’ambiance baroque du XVIIIème siècle parfaitement restituée. Ensuite, parce que Charles Joliet ne s’essaye au roman de cape et d’épée que pour mieux le malmener, le contester, y glisser des opinions audacieuses et des parti-pris réjouissants. Il y a véritablement quelque chose d’expérimental, voire même de provocateur. Enfin, on a au final trois romans en un seul, appartenant à trois genres littéraires différents, et cela peut aussi avoir un intérêt même si paradoxalement on ne s’attend pas à autant de surprises dans un roman de cape et d’épée.

Bref, « Aurore » est un roman éminemment discutable sur bien des plans, mais il a du charme, non seulement celui de son époque, mais aussi celui de l’époque dont il parle et celui même de ses imperfections orageuses. Un récit doublement daté, triplement déconcertant, mais où l’on aime se perdre comme s’il s’agissait de ruines médiévales à peine subsistantes mais dont l’incompréhensible labyrinthe aurait quelque chose de fascinant.
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L'Esprit de Diderot

J'ai postulé pour ce titre lors de Masse critique, sur Babelio : l'envie de découvrir plus avant ce concepteur de l'Encyclopédie, tout en enrichissant mes cours.



En fait, plutôt que les maximes elles-mêmes, j'ai surtout apprécié les première et troisième parties.



L'histoire de Diderot par Mme de Vandeul, sa fille, trace le portrait d'un être foncièrement désireux d'apprendre, constamment, en toutes circonstances ; désireux aussi de demeurer toujours fidèle à ses idées.



La troisième partie, Ce qu'on a dit de Diderot, apporte, elle aussi, un éclairage sur le philosophe.



"Il difficile à Diderot de faire un plus utile, un plus digne et mémorable emploi de sa faculté puissante qu'en la vouant à l'Encyclopédie. Il servit et précipita par cette œuvre civilisatrice la révolution qu'il avait signalée dans les sciences." Sainte-Beuve [p. 177]
Lien : http://paikanne.skynetblogs...
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L'Esprit de Diderot

En cette année du tricentenaire de la naissance de Diderot, les Editions Balland rééditent, sous le titre L’Esprit de Diderot, plusieurs textes parus au XIXème siècle qu’il est utile de relire ou plutôt de découvrir aujourd’hui tant cet homme, philosophe et écrivain protéiforme, est difficile à cerner.

La lecture pour commencer de L’Histoire de Diderot par Mme de Vandeul, sa fille, est un vrai plaisir. On est séduit par l’attachement pour son père de la narratrice, par l’émotion tendre qui parcourt le texte, surtout par les péripéties romanesques de la vie aventureuse de Diderot, qui le conduit de l’atelier d’un coutelier à la cour de Russie, qui lui fait connaître la misère, l’emprisonnement, les cabales et les intrigues, l’amour et ses désillusions. L’étendue de ses intérêts - philosophie, littérature, théâtre, histoire, arts, sciences et techniques - a de quoi provoquer l’admiration.

«A la distance de quelques siècles du moment où il a vécu, il paraîtra, écrit Rousseau dans les Confessions, un homme prodigieux ; on regardera de loin cette tête universelle avec une admiration mêlée d’étonnement ».

Il met sur le chantier dans une sorte de rage d’écrire plusieurs œuvres à la fois sans parfois les terminer. Mais c’est surtout dans le rapport avec autrui qu’il brille. Il s’engage dans le combat philosophique, étourdit ses interlocuteurs par le foisonnement de ses prises de position. Il mène l’entreprise gigantesque de L’Encyclopédie, donnant la parole aux uns et aux autres, en sauvegardant l’unité du propos, ce qui relève de l’exploit.

Je ne dis rien de l’homme sensible, passionné, enthousiaste, plein de fantaisie qui se révèle à nous. Il fait irrésistiblement penser au Neveu de Rameau.

L’Esprit de Diderot à proprement parler fait suite à cette première partie. Il s’agit d’un recueil de maximes et de pensées choisies par Charles Joliet, écrivain et journaliste né en 1832 et mort en 1910. Cet ensemble de citations classées par thème correspond bien à une conception d’époque de l’histoire et de la critique littéraire, celle des morceaux choisis qui laissent de côté l’analyse du texte lui-même dans son ensemble et dans ses détails, qui donnent une vision partielle et partiale d’une œuvre. L’origine des citations n’est jamais donnée. Disons pourtant qu’une telle approche, même si elle peut paraître à certains datée, convient bien dans le cas présent à la personnalité littéraire et philosophique de Diderot. Les différents chapitres (sur la philosophie, sur Dieu, sur l’âme, sur les sentiments et les passions, sur la famille, sur les femmes, sur la science, la littérature et les arts) donnent une idée de l’éclectisme de l’œuvre. Philosophe, il considère que tout mérite question sans qu’aucune réponse certaine puisse être donnée, qu’il s’agit moins de forger des certitudes que de s’interroger librement. Les maximes et pensées citées sont souvent paradoxales : les bons règnes finissent, dit-il par exemple par faire le malheur des nations, qui n’auraient alors plus le désir d’aucun progrès (p104). Ces pensées se contredisent parfois les unes les autres. C’est que, pour le vrai philosophe, nous ne pouvons être assurés de rien, que nous devons admettre l’erreur pourvu qu’elle ne soit pas une atteinte à notre liberté

« Je permets à chacun de penser à sa manière pourvu qu’on me laisse penser à la mienne : et puis ceux qui sont faits pour se délivrer de ces préjugés n’ont guère besoin qu’on les catéchise »

Le méchant ne peut être totalement mauvais et donc entièrement condamnable, il a été pour une part la victime de circonstances extérieures (p 105). Le « bon sauvage » lui-même est loin d’être un modèle, il se méprend sur la valeur réelle de ses actions et sur leur objectif. Il est incapable lui aussi de penser en raison.

« Pendant le froid, je fais comme l’ours qui se met à couvert ; et l’été j’imite l’aigle qui se promène pour satisfaire sa curiosité »

« Mon cher Apé, tout ce que tu dis là est fort beau, mais crois que tu vas parce que tu ne peux pas rester. Tu surabondes en énergie et tu décores cette force secrète qui te meut »

Ce qui apparaît nettement, c’est que Diderot sait se préserver de tout esprit de système. La troisième partie, Ce qu’on dit de Diderot, montre au contraire que les commentateurs se sont souvent contentés de trouver dans l’œuvre ce qu’ils voulaient y trouver et en disent plus sur eux-mêmes que sur le philosophe.

La dernière partie, Sur l’athéisme à propos de Diderot, rédigée par P.J. Stahl, alias P.J. Hetzel, ne définit pas vraiment la position de Diderot en matière de religion. L’éditeur fait de Diderot « un athée d’un genre tout particulier »…

« Qui plus que lui a besoin d’adorer, d’admirer, d’espérer ? Quelle soif de compensations à cette grande foi perdue ! Il croit à l’art, il croit au beau ; qu’est-ce que l’art, où est le beau, sans l’idée de Dieu ? Il y croit en dévot, en fanatique, et, ne voulant pas déifier le créateur de l’univers, il déifie l’œuvre de l’homme »

Il faut avouer humblement qu’il est très difficile de définir la position religieuse de Diderot. Athée, déiste, sceptique ? Peut-être se garde-t-il de choisir ? L’article ainsi nommé (p.76) laisse perplexe (à moins que le philosophe, homme d’esprit, ne se moque de son lecteur).

« Je déteste les fanfarons : ils sont faux ; je plains les vrais athées : toute consolation semble morte pour eux ; et je prie Dieu pour les sceptiques : ils manquent de lumières ».

En tout cas la lecture de ce petit ouvrage est l’occasion d’une heureuse rencontre, celle d’un esprit libre et inattendu, d’un génie qui serait fort utile à notre temps. Merci aux éditions Balland (et à Babelio) de m’avoir donné cette joie.



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L'Esprit de Diderot

Un portrait de Diderot par des écrivains des XVIIIème et XIXème siècles



L’esprit de Diderot est un recueil composé par Charles Joliet et édité à Paris par Michel Lévy en 1859. Joliet, né en 1832 et mort en 1910, fut un écrivain très prolifique, auteur de romans, de biographies, de recueils de maximes, mais aussi journaliste ayant collaboré à de nombreux journaux. Il est pourtant inconnu du grand public aujourd’hui. Son recueil est réédité pour la première fois, à l’occasion du tricentenaire de la naissance de Diderot, dont je vous ai déjà parlé lors de l’inauguration du Musée Diderot à Langres début octobre.



L’esprit de Diderot est composé de trois parties. La première nous propose une biographie de Diderot écrite par sa fille, Mme de Vandeul, sa chère Marie-Angélique qu’il aimait tant. Dans son «Histoire de Diderot », Mme de Vandeul décrit avec tendresse des moments particuliers de la vie de son père : son arrivée à Paris en tant qu’étudiant, les circonstances qui ont amené à son mariage, son emprisonnement à Vincennes, son voyage en Russie, ses liens avec Rousseau, lequel apparaît d’ailleurs sous un jour peu positif, enfin sa maladie et sa mort.



On retiendra de cette biographie la réponse que fit Diderot à M. Clément, procureur à Paris chez qui il logeait et étudiait le droit, lorsqu’il lui demanda ce qu’il voulait «être», médecin, procureur, avocat … : « Ma foi, rien, mais rien du tout. J’aime l’étude ; je suis fort heureux, fort content, je ne demande pas autre chose » (p9). Une remarque qui explique toute la vie de Diderot qui, passionné par l’étude, était toujours à la recherche de nouveautés pour abreuver sa soif de savoirs, ce qui le mènera tout naturellement à l’Encyclopédie.



Dans la seconde partie du recueil, Joliet a rassemblé des maximes et pensées de celui qui n’est pas, souligne-t-il, un moraliste, mais bien un philosophe. Parmi ces pensées, j’en ai retenu quelques-unes (qui plairont notamment aux femmes qui écrivent) :



Sur la conscience du bien (p68) : «Il y a mille circonstances où il ne reste à l’homme généreux, à l’artiste malheureux, que la conscience d’avoir bien fait ou de bien faire, et l’espoir d’un avenir plus juste que le présent. »



Pourquoi les femmes écrivent bien (p132): « Le bon style est dans le cœur ; voilà pourquoi tant de femmes disent et écrivent comme des anges, sans avoir appris ni à dire, ni à écrire, et pourquoi tant de pédants diront et écriront mal toute leur vie, quoi qu’ils n’aient cessé d’étudier sans apprendre ».



Toujours sur les femmes : «Quand elles ont du génie, je leur en crois l’empreinte plus originale qu’en nous »(p135).



Sur l’État et les mécontents (p104) : «Un État chancelle, quand on en ménage les mécontents. Il touche à sa ruine, quand la crainte les élève aux premières dignités».



Enfin, Joliet a enrichi son recueil d’une troisième partie consacrée à différents jugements portés sur Diderot et ses œuvres, par des écrivains contemporains du philosophe, comme par des auteurs du XIXème. Rousseau a notamment une parole prémonitoire sur la reconnaissance future du génie de Diderot (p163), Grimm présente Diderot comme « la tête la plus naturellement encyclopédique qui ait jamais existé »(p166), Sainte-Beuve dresse un portrait très sympathique de ce philosophe qui aimait la vie et en qui il salue le «créateur de la critique émue, empressée et éloquente » (p180). D’autres soulignent plus particulièrement son éloquence, mais tous reconnaissent son universalité. Enfin, le recueil se termine par un texte de P.J Stahl (pseudonyme de l’éditeur Hetzel) dans lequel il analyse l’athéisme de Diderot.



Avec L’esprit de Diderot, Balland nous offre le portrait d’un philosophe que l’on redécouvre cette année, à la faveur des manifestations célébrant l’anniversaire de sa naissance, et qui apparaît bien plus qu’un auteur du passé : un homme aux préoccupations universelles, aussi bien dans leur étendue que dans le temps. Un modernisme qui rend cette réédition bienvenue !



L’esprit de Diderot, Recueil de maximes et pensées, collectif, Balland, Paris, Août 2013, 208p.







Merci à Babelio et son opération Masse Critique, et aux éditions Balland de m’avoir envoyé L’esprit de Diderot.

http://lelivredaprès.com/un-portrait-de-diderot-par-des-ecrivains-des-xviiieme-et-xixeme-siecles/





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