Début de lecture ce soir... juste un coup d'oeil sur un article de http://www.atoutlivre.com/Melnitz.html,
Il est peu fréquent qu’un roman de près de 800 pages suscite chez le lecteur un engouement spontané dès les premières pages : une telle somme demande généralement un certain temps d’adaptation, que ce soit aux personnages, à l’histoire, à l’atmosphère ou au style de l’auteur. Avec Melnitz, non seulement on s’y installe d’emblée avec une aisance rare, mais on a de plus l’intuition immédiate d’avoir sous les yeux un chef-d’oeuvre. Et rien, jusqu’au bout, ne viendra ternir cette impression première.
L’histoire de ce roman débute en 1871 à Endingen, petite bourgade helvétique, dans la maison de la famille Meijer, lors du dernier jour de deuil de l’oncle Melnitz. Pour Salomon, marchand de bétail, l’un des notables de la communauté juive de la ville, sa femme Golda, leur fille Mimi, coquette et romanesque et Hannele la laborieuse, une orpheline recueillie par Salomon après sa naissance, la vie quotidienne peut reprendre son cours.
Mais l’arrivée impromptue d’un vague cousin, beau parleur et ambitieux, va bouleverser leur petit monde. Avec lui, la famille Meijer va commencer son ascension sociale, d’abord à Baden, la ville voisine, où Janki va ouvrir son magasin "Aux tissus de France"... et c’est dans la tradition du grand roman classique du XIXème siècle que la saga des Meijer va se dérouler, sur cinq générations, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce qui est avant tout l’histoire de cette famille – avec tout ce que cela implique de grandes joies, de drames, de succès, d’échecs, d’amour – est aussi une sorte d’histoire culturelle et sociale des Juifs de Suisse, décrite par Charles Lewinsky avec un regard d’une grande acuité.
D’un côté, il y a la particularité suisse, pays dans lequel, du Moyen-Âge au XVIIème siècle, il n’y avait pas de Juifs, ceux-ci ayant ensuite été autorisés à résider dans seulement deux villages : Endingen et Lengnau, jusqu’en 1869.
D’un autre côté, il y a le paradoxe d’une communauté partagée entre la force de ses traditions et ses efforts pour s’intégrer dans une société fermée. A commencer par Janki qui, toute sa vie, se démènera pour qu’on oublie qu’il est juif, croyant que « par la normalité de sa vie sociale, il peut être accepté en égal parmi les égaux ».
Ce, au sein d’un pays qui, dès le début du XXème siècle, donnera l’asile à des milliers de réfugiés de Russie et d’Europe centrale. Ce qui n’empêchera pas pour autant un antisémitisme de fait, comme c’est le cas dans toutes les sociétés européennes de l’époque.
« Parfois ils crient parfois ils chuchotent. Parfois ils gardent longtemps le silence et nous pensons qu’ils nous ont oubliés. Mais ils ne nous oublient pas », prévient Melnitz, lequel, revenu en spectateur lors de sa propre veillée funèbre, observe ses descendants et interviendra aux moments cruciaux de leur existence, secouant leurs illusions, « surtout ici en Suisse, où l’on a vécu toutes ces années sur une île ». Tu appartiens au passé, lui répondent-ils, nous, nous sommes entrés dans la modernité. Mais les histoires, elles, sont intemporelles, et n’ont pas disparu de la mémoire de cette société, quand bien même elles sont non seulement fausses mais aussi invraisemblables, quand bien même on est effectivement entré dans l’ère de la modernité... « Plus c’est absurde, plus ils s’en souviennent. Ils se souviennent qu’avant Pessah nous égorgeons des petits enfants et faisons cuire leur sang dans la pâte des "Matze".
Cela n’est jamais arrivé, mais 500 ans plus tard, ils sont capables de raconter la scène comme s’ils l’avaient vue de leurs propres yeux. Comment nous avons attiré le petit garçon loin de ses parents en lui promettant des cadeaux ou bien du chocolat, bien longtemps avant l’existence du chocolat. Ils le savent dans les moindres détails ».
« Melnitz est un personnage qui a existé », explique Charles Lewinsky lors d’un interview : « J’avais dix ans quand ma grand-mère m’en a parlé. Elle vivait en Allemagne, mais avait un passeport suisse, et pensait être à l’abri ; cette idée qu’on peut porter son île dans sa poche... »
Ce thème de l’île sera repris par Pin’has, un des multiples personnages principaux du roman, lequel raconte à Janki et Mimi une histoire issue du talmud, qu’il étudie chaque jour après son travail en boucher : celle de Rabba Bar Chana qui « lors d’un voyage aurait rencontré un poisson entièrement recouvert d’herbe et de sable, si énorme que les marins le prirent pour une île, descendirent et allumèrent un feu sur son dos afin de préparer leur repas.
Cependant, lorsque le poisson sentit son dos brûler de plus en plus, il se roula dans l’eau et les marins se seraient tous noyés si leur bateau n’avait jeté l’ancre à proximité immédiate. Cette histoire n’est évidemment pas vraie.
Les Amorrhéens qui ont rédigé le Talmud savaient que cette histoire était une légende et pourtant ils l’ont conservée et transmise aux générations futures ». Pourquoi ? ,s’interroge Pin’has...
Suite de l’interview : « Voilà qu’un jour, débarque chez ma grand-mère un certain Melnitz, un cousin parti faire carrière à Hollywood. (...) Il frappe à la porte et dit à ma grand-mère : "Quittez l’Allemagne, ça va être horrible". Et il repart (...). D’abord, j’ai cru cette histoire de ma grand-mère, et ensuite j’ai pensé que c’était une légende familiale ».
Inspiré par ce fameux Melnitz ainsi que par son arrière-arrière grand-père d’origine française établi à Baden comme marchand de tissus, tous ses personnages ont été inventés : des personnages tous plus attachants les uns que les autres.
A travers eux, Charles Lewinsky a le don de faire de cette saga une magnifique fresque de la culture et de l’humour yiddish, un monde aujourd’hui englouti. Léa Marcou, la traductrice en français, a témoigné de sa propre émotion en retrouvant, dans la bouche des personnages de Melnitz, le judéo-allemand que parlaient ses propres parents.
Le roman de fait est truffé de mots et d’expressions de cette langue aujourd’hui disparue (que l’on retrouve réunis dans un glossaire à la fin du livre). Une langue qui se lie à merveille au style de Charles Lewinsky ; attisant la curiosité et l’émerveillement du lecteur tout au long du roman.
On a parfois même le sentiment que l’auteur danse au lieu d’écrire : les mots voltigent, les phrases sont des fêtes, les dialogues fins, réalistes, vivants.
Né en 1946 à Zürich, Charles Lewinsky est dramaturge, scénariste, parolier, metteur en scène et romancier. Il a écrit plus de mille spectacles, pour lesquels il a été régulièrement primé. Melnitz est son troisième roman (le premier publié en français) : Salué comme une prouesse littéraire dans chacun des pays où il a été publié jusqu’à présent, Melnitz est devenu un best-seller, et ne peut prendre que ce même chemin en France... où il vient de recevoir le prix du meilleur roman étranger pour l’année 2008.
Florence LORRAIN
traduit de l’allemand (Suisse) par Léa Marcou, 777 pages
Grasset
22,90 €
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