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Critiques de Charles Stépanoff (17)
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L'animal et la mort

Ce livre a résonné en moi par bien des aspects : ayant grandi à la campagne, j'ai assisté à la destruction des dernières haies qui parsemaient les champs dans lesquels je me suis toujours promené. Végétarien en désaccord avec l'industrie agroalimentaire et les abattoirs, j'ai demandé à mon grand-père chasseur et boucher de m'emmener avec lui en battue et sur le mirador dans l'espoir de tuer un animal, m'imaginant après coup me sentir légitime d'en consommer la chair. Je n'en ai évidemment pas eu l'occasion - apprendre et avoir le droit d'utiliser un fusil s'avérant plus compliqué dans la réalité que dans mon imagination d'adolescent aspirant chasseur-cueilleur anarcho-primitiviste.



J'ai grandi avec un chien de chasse puis un chien de berger que j'ai considéré comme des membres de ma famille, des frères, des amis. Je vis et travaille aujourd'hui dans une grande ville avec un lapin pour animal de compagnie, à qui parfois je cause comme si c'était un colocataire, d'autres fois comme « mon p'tit bébé ». Voilà en quelques mots d' « où je parle ».



Ce livre paraît deux ans après l'essai anti-chasse de Pierre Rigaux « Pas de fusils dans la nature » qu'avait préfacé l'ancien ministre Nicolas Hulot. S'il ne s'agit pas d'un essai « pro-chasse » à proprement parler, Charles Stépanoff répond d'une certaine manière aux militants anti-chasse en démontrant qu'ils se trompent de cible et de combat : la chasse ne représente qu'une part infime de cette catastrophe qu'est la sixième extinction. Bien au contraire, elle est le vestige d'un mode de vie révolu, lui aussi en voie d'extinction, tout autant menacé par la modernité.



Car la modernité, ce n'est pas seulement la situation économique et sociétale actuelle, c'est aussi une disposition mentale, cognitive. L'« exploitection » : c'est ainsi que l'auteur décrit notre rapport paradoxal au vivant, entre destruction et massacre quotidien aux abattoirs (3.2 millions d'animaux tués par jour en France) et amour inconditionnel à la maison ou au jardin. Ces contradictions exacerbées et improbables prennent de plus en plus de place dans le débat public. Charles Stépanoff, lui, est un anthropologue qui étudie des populations de chasseurs-cueilleurs sibériens. Il a toutefois décidé de suivre les chasseurs locaux de sa région tout en menant l'enquête auprès de militants anti-chasse. La restitution de ce travail de terrain constitue la première partie de cet ouvrage, bien plus dense que les deux parties suivantes, qui consistent en une prise de recul historique, puis en quelques conclusions et esquisses de pistes pour l'avenir.



En explorant les origines des relations de l'homme avec les animaux et la nature sauvage à travers les mythes et les légendes, en retraçant l'évolution de ces relations à l'aide de sources historiques abondantes et incongrues, en présentant enfin, de la manière la plus objective possible, la situation actuelle avec son enquête et une documentation scientifique abondante, Charles Stépanoff nous délivre une vision panoramique de ce vaste sujet qui mobilise toutes les passions.



Il nous rappelle en premier lieu les causes principales du déclin général du vivant : les mutations de l'agriculture (mécanisation, remembrement des champs et destruction des haies, spécialisation des cultures) – qui sont liées au nouvel ordre économique mondial où des accords sont passés entre grandes puissances pour que la production agricole soient répartie et mutualisée -, les produits phytosanitaires et l'étalement urbain. Tous ces éléments, qui sont des conditions préalables à l'existence des citadins anti-chasse, sont bien plus destructeurs et meurtriers que les chasseurs. Il dresse ainsi une critique acerbe de la modernité. Son parti pris est clair : il entend défendre la chasse vivrière et invalider les arguments des citadins anti-spécistes et vegans qui, au final, se positionnent eux-aussi dans une « cosmologie » où l'humain se distingue et du reste du vivant et en est complétement dissocié. C'est là la « crise du sauvage » du sous-titre.



La chasse telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui n'en est pas pour autant idéalisée ou romancée. Stépanoff nous rappelle (non sans évoquer le célèbre sketch des Inconnus) la différence entre le bon et le mauvais chasseur : il y a le posté et le traqueur, celui qui a payé son permis de chasse et qui reste dans son mirador pour faire un carton tel un colon en safari, et celui qui connaît les animaux, les suit à la trace et vit avec eux dans un réel face-à-face, dans des rapports de force et d'interdépendance. Les dérives que l'on connait aujourd'hui (accidents, omnipotence des chasseurs dans certains territoires et « lobbying » politique et économique de la fédération nationale de la chasse notamment), qui font toute la mauvaise réputation de la chasse, sont contextualisées et analysées. L'essor de la royauté et de l'état-nation a fait de la chasse vivrière un crime, tandis que l'essor de la société capitaliste et libérale en a fait du braconnage. L'élite s'est accaparé le gibier en même temps que les forêts, que ce soit au nom de ses privilèges royaux ou, après la révolution, de son argent.

Le permis de chasse et le coût de l'équipement instaurent une ségrégation, disqualifient d'emblée une grande partie de la population, sans oublier que certains propriétaires louent leur terre et en font des sortes de parcs d'attraction ou le bourgeois citadin peut jouer au survivaliste le dimanche matin. L'élite fait ainsi de la chasse une activité sportive, récréative et, par conséquent, lucrative.



Les chasseurs sont les premiers écologistes ? En effet, les chasseurs paysans (les bons chasseurs), ceux qui furent les premiers témoins de la dégradation de leur environnement et de leurs ressources tout au long de la seconde moitié du XXème siècle. Stépanoff n'oublie pas de rappeler que les chasseurs bourgeois, les propriétaires et même nos gouvernements successifs ont mené des politiques condamnant la chasse paysanne tout en encourageant et en soutenant la chasse récréative, parfois au nom de la protection de l'environnement, au nom de la défense des espèces menacées, de bonne foi ou non. Ces concepts instaurent des quotas et des réglementations qui finissent par favoriser les uns et pénaliser les autres. La chasse fut donc, et est encore, une affaire de classes sociales. L'auteur raconte au début du livre les tentatives d'élevages industriels du faisan et de la perdrix, l'invention du semi-élevage des grands mammifères et notamment des sangliers … de véritables catastrophes écologiques qui donnent le vertige.



J'évoquerai aussi tous les passages où Stépanoff rappelle que notre vision de la nature comme endroit de paix et de recueillement, comme lieu de ressourcement, est aussi une vision aliénée de la nature, héritée des élites princières puis du romantisme du XIXème (qui s'est développé dans les villes alors en expansion, dans le contexte de l'industrialisation, avec l'apparition du chemin de fer) et qui trouve sa forme la plus aboutie selon l'auteur dans les parcs naturels : enclaves hypocrites où est protégée une nature exploitée partout ailleurs, au nom d'un sauvage idéalisé qui y est contrôlé et qui n'y est donc, logiquement, plus sauvage … C'est l'invention de la nature sauvage pour touristes.



J'imagine qu'il existe beaucoup d'auteurs « anti-modernes » et anticapitalistes qui ont évoqué ces sujets et je ne suis pas spécialiste de la question, mais ce livre m'apparaît comme une synthèse bien construite et très bien rédigée de toutes ces problématiques. C'est un livre important, d'une modernité déconcertante, une piqure de rappel et une claque que je conseillerais à n'importe qui voulant se renseigner sur ces questions avant de se faire sa propre opinion. Et je le conseillerais à n'importe qui ayant déjà ses opinions, parce que que l'on soit chasseur, agriculteur, « viandard » viriliste ou citadin vegan anti-spéciste, je ne pense pas qu'on puisse ressortir indemne de cette lecture, tant l'argumentation et les études de cas sont solides.



Enfin, c'est un ouvrage d'une érudition folle qui se lit pourtant comme un grand roman, avec ses rebondissements et ses passages franchement émouvants. C'est bien écrit, le plan est clair et les transitions fluides. Stépanoff a le sens de la formule qui synthétise, qui marque et qui laisse une impression indélibile.



On sent l'universitaire qui tient la plume – l'introduction, par exemple, est exemplaire, les notes de bas de pages sont une vraie plus-value (j'aurais toutefois aimé un index, pour un livre de cette ampleur ça aurait été arrangeant.)



Je signalerais l'auteur Catherine Remy, qui a écrit des livres et des articles sur la sociologie des employés d'abattoirs, ces gens qui « font le sale boulot », ainsi que Dominique Guillo, dont le Pommier a republié récemment l'ouvrage sur les rapports entre les chiens et les humains.
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L'animal et la mort

J'ai été littéralement emballée par cet essai, qui m'a bousculée et m'a permis de remettre en question certaines de mes certitudes. Ce qui est certain, c'est que Charles Stepanoff nous outille pour sortir du prêt-à-penser, du politiquement correct, en ce qui concerne notre manière de considérer les animaux (les autres animaux comme dirait Baptiste Morizot, souvent cité par Stepanoff et vers qui je me suis tournée dès cet ouvrage refermé) : tout au long de son ouvrage, il interroge la "cosmogonie" de notre civilisation occidentale, c'est à dire la manière dont nous nous représentons notre place dans le monde et notre relation au vivant. Il dénonce (me semble-t-il) la volonté de rationaliser (artificiellement) le rapport au vivant, que ce soit dans la pensée philosophique (avec le dualisme homme/nature), dans les politiques agricoles, dans le rapport à l'animal (animal-enfant, animal-matière à consommer)... Il nous appelle à complexifier tout cela, à retrouver une posture d'ambivalence où l'on peut tout à la fois admirer, respecter, consommer, chasser les animaux, à nous considérer non pas comme séparé de (et supérieur à) la nature mais comme un élément de celle-ci, et de ce fait, à l'image du chasseur autochtone, "responsable de façon individuelle de [notre] rapport au milieu vivant dans ses inextricable dimension visible et invisible, dans ses aspects économiques et cérémoniels."



Je recommande cette lecture à toute personne intéressée par la question de notre rapport au vivant, question évidemment hautement sensible à l'heure de l'anthropocène, où notre responsabilité devant la catastrophe écologique est chaque jour engagée.
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L'animal et la mort

Il serait vain de le résumer tant il est dense, riche, foisonnant et imposant. Et il l'est tant qu'il faut du temps pour le lire, une certaine attention pour le découvrir. Ô ne vous méprenez pas; il n'est pas difficile à lire, non, bien au contraire. Sa plume fluide, agréable, sert la connaissance qui se déverse ici avec générosité. L'auteur, anthropologue, révèle un monde qui m'est totalement étranger, entre dans la complexité d'un sujet que je n'ai pas encore pensé. C'est la chasse, pratique de plus en plus vilipendée par la société qui refuse la violence sur les animaux alors qu'elle n'a jamais été aussi massive car pratiquée loin des regards par toute une industrie. Le paradoxe est grand et il faut le regard d'un chercheur pour nous aider à le comprendre. Ici, loin des caricatures, des visions binaires, du manichéisme toujours ambiant, on découvre que les chasseurs ne sont pas forcément des barbares anti- écologistes qu'ailleurs on veut bien nous présenter. Le sujet est complexe, éminemment, et il faut suivre l'évolution des discours, des moeurs, des pratiques et plus largement apprendre sur l'évolution de nos sociétés pour sortir des discours stéréotypés. Je ne peux résumer l'ouvrage alors je vous le dis simplement : lisez-le. Lentement, avec une grande attention, sans précipitation. Vous en sortirez enrichis et éclairés. C'est à conseiller. Absolument.
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L'animal et la mort

Aux plus lointains de mes souvenirs, la plaine de Champagne s'animait de perdreaux, faisans et lièvres s'enfuyant vers un bosquet et ,privilège rare, j'ai vu et entendu des couples de canepetières (outardes) sortant des rangs de vigne pour, au couchant, se régaler de sauterelles et papillons dans les luzernes .

C'était fin des années 50; parfois au retour des champs mon père nous appelait : au fond de son chapeau crasseux 6 ou 7 oeufs de poule faisane dérangée par la faucheuse. Ils étaient aussitôt “confiés” à une poule naine (une jacotte ).

Sortaient du nid 3 semaines plus tard une couvée de jeunes ,craintifs et véloces nourris d'oeufs de fourmis et d'orties hachées.

Dès que possible, aux premières plumes des ailes, on les relâchait dans la zone d'origine .

Placés dans un cageot fixé au porte bagages je filais les déposer à l'aplomb d'une meule en prenant soin d'y vider une boîte de graines.

Aujourd'hui le faisan est reproduit en élevage intensif et il s'approche si vous le croisez au détour du chemin…



Pour revenir à cet ouvrage ,dense et superbement documenté, j' avais jusque là une certaine idée de la chasse ,assez proche de cette belle chanson de feu Michel Delpech.



La chasse : art de vivre à la campagne, empreinte inscrite dans l'histoire nationale ,héritage de la révolution ( en partie seulement) ,refouloir des urbains écologistes, thème qui demeure un point de fixation et confrontation entre ruraux et urbains.

Comprendre les motivations des amateurs de chasse à courre (lièvre renard cerf) qui n' apprécient guère les porteurs de fusil , entendre les récriminations du paysan qui voit sa récolte de maïs saccagée par le gibier, s' étonner de voir les lobbyistes s'introduire dans les réunions ministérielles *

Si cet opus ne donne pas de réponse formelle à ces questionnements, il a le mérite de nous inciter à réfléchir “en prenant du champ “.(sic )

Ainsi, cela pourrait vous éviter, "Au Rendez vous des Chasseurs” un soir de novembre, de proférer de grosses bêtises (je suis poli …) autour d' un cuissot de chevreuil.

* ce fut un motif de démission d'un médiatique ministre de l'environnement ...
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L'animal et la mort

Voici un livre dense qui nécessite de la concentration et de la persévérance même si il n'est difficile ni dans le style ni dans les thèmes. En revanche, il met en perspective toute la complexité de la question de la chasse et de l'animal après avoir interrogé et vécu auprès de chasseurs mais également d'opposants à la chasse pour différentes raisons. À travers, l'histoire, les mythes, les traditions, les cultures, les lieux, l'économie, les éducations, M. Stepanoff nous amène à envisager une pratique en de multiples dimensions. C'est passionnant, d'une érudition mais également d'une accessibilité sans faille.
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Voyager dans l'invisible

Le temps de la grande unification du phénomène chamanique de par le monde opérée par Mircea Eliade est révolu ; presque 70 ans plus tard, voici venu le temps des distinctions, dans le cadre restreint d'une douzaine de peuples autochtones de Sibérie (et selon des études ethnographiques datant désormais d'environ un siècle), entre des catégories dichotomiques qui peuvent avoir une signification beaucoup plus étendue, concernant même la totalité des sociétés humaines.

L'Introduction et le chapitre Ier : « Imagination et voyage mental », après une très suggestive démonstration du pouvoir idéomoteur d'une brève image bucolique puis effrayante faite de mots, constituent, plus qu'une entrée en matière, un véritable essai d'épistémologie de l'imagination, d'une valeur extraordinaire, que j'ai pris un plaisir immense à lire. Ne vivons-nous pas dans un dualisme indépassable entre réalité et imagination hérité de la philosophie aristotélicienne ? Un grand nombre d'ontologies – celles des cultures chamaniques – n'ont pas élaboré ce dualisme, elles se caractérisent par une grande porosité entre les données des sens et l'imagerie mentale, et il se trouve qu'en cela elles sont plus compatibles avec les découvertes récentes des neurosciences. Ne vivons-nous pas dans une culture d'encodage et de stockage des produits de l'imaginaire sur des supports immuables : l'écriture des récits, la notation musicale, la peinture, les films, les jeux vidéo, qui séparent définitivement la création de la réception des arts ? Les cultures de l'oralité, des signes symboliques, des rêves laissent davantage de liberté d'imaginer à l'individu et d'autonomie dans son appréhension imaginative du monde. Et la spécialisation du travail de l'imaginaire qui s'en ensuit, plutôt que l'évolution préhistorique des conditions matérielles de production, ne contient-elle pas les germes de la genèse d'une société hiérarchique donc la plus inégalitaire possible ? Ces précisions sur l'imaginaire, on l'aura compris, sont indispensables pour comprendre la nature du « voyage mental » du chamane, et les raisons pour lesquelles il nous est si difficile à comprendre.

Mais le chamanisme sibérien est traversé par une division fondamentale en deux ensembles : chamanisme hétérarchique originaire (et minoritaire) d'une part, chamanisme hiérarchique d'origine altaïque (en expansion) d'autre part. Le premier ensemble comporte : que le chamane soit un « primus inter pares » sans héritage obligatoire, sans rituel d'investiture, sans transmission ni validation par un aîné, à la fonction réversible, opérant pour le compte d'individus, ne disposant pas d'un costume rituel, ni de l'usage exclusif et réservé du tambour, chamanisant en tente sombre et en « voyage allongé », et pouvant consommer de l'amanite psychotrope. Inversement le chamanisme hiérarchique comporte : que le chamane soit le délégué de sa communauté et seul détenteur de la mission de communiquer avec les esprits, investi par un rituel, héritier de sa fonction à titre irréversible, seul possesseur et utilisateur du tambour, du costume, dépositaire d'un rôle communautaire, chamanisant en tente claire et en « voyage en direct », méprisant la consommation du champignon.

La description de cette distinction se déroule sur les chap. 2 « Les argonautes de l'invisible », 3 « Tente sombre et tente claire », et 4 « Les deux chamanismes » qui se clôt sur l'intéressante ouverture sur le rapport entre délégation de la fonction chamanique et inégalités rituelles.

La deuxième partie de l'essai est consacrée principalement au chamanisme hiérarchique, elle s'intitule : « Technologies de l'imagination », et comporte les chap. suivants :

chap. 5 : « Les routes célestes des Ket »

chap. 6 : « Un tambour pour s'orienter dans les pays obscurs »

chap. 7 : « Un voyage cosmique à la maison »

chap. 8 : « Le costume, corps-univers »

chap. 9 : « Technologies iakoutes de l'espace virtuel »

chap. 10 : « L'ours, d'une ontologie, l'autre ».

Par-delà l'analyse spécifique de chacun des éléments constitutifs de l'acte de chamaniser, une idée générale se dégage de l'ensemble de cette partie : qu'il existe une profonde cohérence spatiale dans la structure du voyage chamanique. Le chamane s'oriente dans un parcours vectoriel horizontal (points cardinaux) et vertical (souterrain et céleste) à travers une cosmologie complexe dont il trouve des traces dans les dessins de son tambour, dans les multiples détails de son costume compliqué, dans l'aménagement de la tente, de la yourte, de la cabane dans laquelle il se meut, dans la structure de base des chants et la chorégraphie des danses qui se déroulent au cours de sa transe, et aussi, comme cas particulier, dans sa double et ambivalente relation à l'ours. Je note que le double registre de lecture de cette partie caractérisait aussi le grand volume d'Eliade, qui pouvait être lu aussi comme une sorte de chronologie de la vie d'un chamane depuis sa vocation...

La troisième partie de cet essai peut aussi avoir une double lecture : sous le titre de « La grande expansion de la hiérarchie », le chap. 11 s'occupe en même temps de « l'expansion continentale » du chamanisme hiérarchique, même dans les sociétés où il coexiste encore en partie avec l'hétérarchique, disqualifié, ainsi que d'un symbole matériel de cette expansion : le plastron sur le devant du costume (la poitrine du chamane) ; le chap. 12, « Pourquoi la hiérarchie ? », réfute l'idée que cette expansion ait une correspondance matérialiste avec le passage de la chasse à l'élevage du renne, mais avance une corrélation avec les pratiques matrimoniales des deux types de sociétés, à savoir l'investissement communautaire dans le paiement dont la famille du gendre s'acquitte auprès de son beau-père pour lui acquérir son épouse. De même que l'homme s'endette auprès de la communauté pour se marier, le chamane s'endette pour acquérir son statut, ces deux formes de hiérarchisation de la société vont de pair, et la liberté onirique du chamane en est « mise au pas », même si sa spécialisation semble lui conférer une position hiérarchique quasi sacerdotale.

Enfin la conclusion : « L'invisible, les images et la hiérarchie » s'ouvre sur une belle analogie entre chamanismes et jeux vidéo, et elle reprend ensuite, en les développant un petit peu, les perspectives de la magnifique Introduction-chap. Ier.
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Le chamanisme de Sibérie et d'Asie centrale

Le Chamanisme de Sibérie et d’Asie centrale est avant tout un ouvrage de vulgarisation, très richement illustré - plus de cent vingt photographies en couleurs.



Il expose l’histoire du chamanisme, les évolutions de la façon dont il fut perçu et décrit par les premiers explorateurs de la Sibérie, les érudits, les religieux, les gouvernements successifs, quelles persécutions il a traversées ; il présente les croyances sur lesquelles le phénomène repose, comment il s’est intégré dans les idéologies dominantes qui tendent à le rejeter ; il présente les principaux rituels et les outils du chamane. L’exposé est complété d’une annexe contenant quelques chansons chamaniques et d’autres textes importants d’un point de vue historique ou ethnologique.



Comme tous les textes ethnologiques français à la suite de Roberte Hamayon, ce livre esquive délibérément le thème des états de conscience, estimant sans doute que ce sujet douteux ressort à la psychologie ou bien à l’ésotérisme, en tout cas pas à la Science. Il offre en conséquence cette image vacante d’un chamane gesticulant pour gesticuler lors de rituels où un public s’est déplacé juste pour le voir s’agiter. A la lecture, j’ai pourtant eu l’impression que les co-auteurs ne partageaient pas tout à fait ce point de vue... Mais peut-être leur seule ambition pour cet ouvrage était d’en faire un abrégé très accessible de la connaissance universitaire ? Toujours est-il que le texte souffre un peu du même esprit de système.



Le Chamanisme de Sibérie et d’Asie centrale est donc un livre intéressant pour qui souhaiterait vite savoir ce que l’ethnologie française actuelle pense sur le sujet. L’ouvrage est assez exhaustif. Et pourtant la lecture d’ouvrages complémentaires mais étrangers s’impose si l’on souhaite se faire une idée plus riche, plus vivante, moins stérile du chamanisme sibérien.

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Boukhara

la collection "GEO" est vraiment très jolie, minces opuscules à glisser dans la valise en partance pour Boukhara, joli souvenir, cadeau..



.Mais ce livre est un extrait d'un autre livre d'Armin Vambery: Voyage d'un faux derviche en Asie centrale - 1862-1864 que je viens de terminer et que j'ai beaucoup apprécié. Ce texte fait redite, d'autant plus que le texte complet se lit facilement comme un roman d'aventures.



Préférer donc Le voyage d'un faux derviche! sauf si on est pressé, si on n'aime pas lire les "gros livres" 280p!!!
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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L'animal et la mort

L’originalité de l’essai de Charles Stepanoff est d’aborder l’écosystème de la chasse d’hier et d’aujourd’hui avec une méthodologie d’anthropologue, comme il l’a fait dans ses précédents travaux auprès de peuples chasseurs-cueilleurs du Nord de l’Europe.



Notre société moderne a classé les animaux en trois catégories, les animaux-enfants, nos compagnons souvent urbains, castrés, privés de vie sociale et de liberté ; les animaux-matières premières, que l’on consomme en se tenant à l’écart de leur mise à mort (cette mise à l’écart incluant les agriculteurs et les salariés des abattoirs), et enfin, les animaux sauvages, objets de batailles et d’incompréhension réciproques entre agriculteurs intensifs et chasseurs, animalistes et gestionnaires.



Les parallèles avec la chasse de type néolithique, la chasse du moyen-âge (qui introduit une ségrégation sociale dans l’accès aux différents types de chasse), permettent de relire les rituels traditionnels et nés-traditionnels. L’impact des immenses changements opérés dans l’agriculture depuis la deuxième guerre mondiale sur les populations sauvages proches de l’homme est également discuté en regard de celui des chasses traditionnelles. Enfin, le regain des chasses bourgeoises et seigneuriales avec exclusion ou exploitation des ruraux est observé et discuté.



Ce livre pourrait être une base de discussion factuelle entre pro et anti-chasse. Il pourrait inspirer des politiques agricoles efficaces pour tenter d’enrayer l’extinction du petit gibier de nos campagnes, et dépassionner la gestion des populations de grands gibiers. Il pourrait permettre d’introduire plus d’éthique dans le sort réservé aux animaux d’élevage et de compagnie.

On peut rêver…
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L'animal et la mort

D’un côté les bêtes que l’on mange, de l’autre celles que l’on aime... Un profond paradoxe qui questionne notre rapport à la mort, et que décrypte l’anthropologue Charles Stépanoff dans un essai passionnant.
Lien : https://www.telerama.fr/livr..
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L'animal et la mort

Un essai anthropologique sur la chasse et le rapport aux animaux du monde paysan français sur la base d'observations réalisés non loin de la région parisienne, voilà qui a de quoi intrigué! D'autant que ce sujet d'étude a surtout été choisi parce que l'auteur ne pouvait plus voyager loin, covid oblige. Le résultat est très réussi! D'une part, un livre bien écrit, qui se comprend vite et se lit bien. C'est fluide et agréable, ce qui est loin d'être toujours le cas avec cette catégorie d'ouvrages. D'autre part, un essai passionnant, qui m'a fait remettre en question toutes mes idées reçues sur la chasse et les chasseurs. L'opposition animal-enfant et animal-bétail dans laquelle on se retrouve enfermé et que rejette le rapport à l'animal qui sous-tend la chasse traditionnelle est un schéma de pensée efficace et utile. Une grille de lecture que je garde en tête, ainsi que les nombreux exemples et anecdotes qui parsèment ce livre. Je recommande!
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L'animal et la mort

L'anthropologue Charles Stépanoff a mené une enquête immersive aux confins du Perche, de la Beauce et des Yvelines, pour étudier le rôle de la violence dans la société humaine, et les rapports paradoxaux entre chasse et protection du vivant. Il publie un passionnant l’Animal et la Mort, où l’histoire, la philosophie, l’ethnologie, comme l’enquête de terrain, concourent à largement nuancer une des visions duelles de l’écologie.
Lien : https://www.liberation.fr/cu..
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Voyager dans l'invisible

L’essai «Voyager dans l’invisible» de l’ethnologue Charles Stépanoff explore la manière dont les traditions chamaniques de Sibérie méridionale cultivent les potentialités de l’imagination, inexploitées dans nos sociétés occidentales.
Lien : https://next.liberation.fr/l..
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Le chamanisme de Sibérie et d'Asie centrale

J'aime beaucoup cette collection. On a vraiment des explications racontées simplement mais très complètes sur ce sujet. Des photos pour illustrer les commentaires. Si vous avez besoin d'apprendre les bases sur un sujet, n'hésitez pas, c'est très détaillé !
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L'animal et la mort

La forêt bruisse de conversations sans paroles ; c’est un théâtre où des acteurs à poil et à plume semblent rejouer, à leur mode, les scènes de la société villageoise.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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L'animal et la mort

Sans porter de jugement, il extrait de son expérience une volonté explicative avant tout. La chasse en tant que souveraineté, les rapports entre le sauvage et le domestique, la gestion de la chasse, l’évolution du comportement canin, la disparition progressive des hirondelles : les sujets abordés dans ce livre sont nombreux et souvent complexes.
Lien : https://www.laprovence.com/a..
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Voyager dans l'invisible

Une passionnante enquête ethnologique montre combien les chamanes de Sibérie du Sud ont à apprendre à la modernité occidentale.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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