Christiane Moutel

Paul Signac
1863-1935

Paul Signac fut le peintre de la mer et du soleil, le peintre des ports d'où l'homme regarde vers le large, le peintre des bateaux dont les voiles ont les mille couleurs de l'espoir.Paul Signac avait compris comme aucun autre la naissance des couleurs dans la nature, où un bout de toile et un bout de bois revêtent soudainement les prestiges des pierres précieuses.

Aragon, " Le Peintre de la liberté ", L'Humanité, 5 mars 1938

Le mot " interview" met tout de suite Georges Braque en méfiance : " M'interviewer ? Moi ? Vous n'y pensez pas.Moi qui fuis toute espèce de réclame. La peinture n'est pas comme la littérature : on ne cherche pas à vendre cent mille exemplaires d'un tableau. Puis, qu'est-ce que je vous dirais ? Dès qu'on dit quelque chose, les gens l'interprètent. Cela fait des histoires à n'en plus finir.Ce n'est pas quelqu'un comme moi qu'il faut interroger. Les mots les plus simples sont usés aujourd'hui., à force de servir. (..)

"Les réticences de Georges Braque", Paris- Journal , n°2461, 13 avril 1823, signé Pierre Cèpe, un des pseudonymes d'Aragon

Ce qu'il fallait alors de sagesse et de persévérance pour reprendre, sans oublier tout le problème aride de la peinture: et, sans agiter sous ce ciel maudit les oripeaux séduisants et barbares des saltimbanques, redonner figure humaine à qui échappait de ses mains ! Une usine, un paysans suffirent à Gromaire. Il n'avait pas besoin de crier sur les toits ses conquêtes, elles étaient faites de la vie, et comme elle changeantes, ne constituaient enfin ni un bazar ni un vocabulaire. [ Sur Marcel Gromaire , 1941]

A propos de Niko Pirosmani
(1862-1918)

Dans l'art de Pirosmane, " si l'on retrouve la trace de ses origines, ce qui est le plus frappant, c'est sa façon de s'en écarter. C'est par-là que je le rapprocherai, moi, ne criez pas trop, de Giotto, cet enfant sublime, qui dans la grotte de Vespignano dessinait à la craie ou au charbon des figures dont le hasard fût que Cimabué s'émerveilla.Les grands maîtres sont ceux-là qu'on ne copie point.Et ce qui a fait du petit pâtre toscane ce qu'il est devenu, c'est d'avoir le premier brisé avec l'enseignement traditionnel d'alors (...) pour partir dans cette liberté qu'on nomme "primitive" (...); et il faut bien entendre que dans le mot " primitif" il y a la Racine de " premier": un grand peintre est toujours le primitif d'une peinture nouvelle, le premier du chemin qu'il ouvre."

Aragon

Cf.Les Lettres françaises, n°1273, 1960

Fernand Léger
1881-1955

Je parle d'un homme qui peignait tout le long du jour/ Et qui rêvait du divorce de la couleur et du dessin/ Je parle d'un homme qui le premier au monde a peint des fumées/ Je parle d' un homme de chair et de sang dans une pièce vitrée/ Qui va et vient lit un peu s'assied sur une chaise/ Et puis reprend ses pinceaux et des grandes couleurs préparées/ Et regarde sa toile pour lui promise uniquement à figurer/ La beauté de ce temps qui est à la fois le sien et le nôtre.

Aragon, Poème- préface au livre de Fernand Léger, " Mes voyages", Éditeurs Français Réunis, Paris, 1960

( A propos de l'artiste, Georges Malkine)

Je me souviens de l'atelier de Malkine, rue Daguerre: les tableaux y avaient parfois la couleur que seule la faim donne aux choses réelles. Est-il trop tard pour comprendre comme l'on a passé à côté du prophète sans savoir ce qu'il annonçait ? Est-il trop tard pour faire entrer dans la mémoire humaine ce peintre de l'oubli.

Aragon; préface au catalogue de l'exposition " Hommage à Malkine" , galerie Mona Lisa, 1966

Klee a vécu Klee a peint puis est mort

Et je n'ai jamais vu cet homme face à face
Ni ce regard profond ni ce front africain
Je ne suis pas allé le voir à Berne et que voulez- vous que j'y fasse
J'en parle en toute innocence des yeux

Klee a paru Klee a flambé Klee aux belles cendres

L'homme est un animal autrement fabuleux que la salamandre
Ou le phénix il brûle pour de bon
Klee aux architectures blondes
Klee à la botanique bleue

(...)

Extrait de " Paul Klee" (1879-1940) in Georges Sadoul, "Aragon" , Seghers, collection " Poètes d'aujourd'hui ", Paris, 1967

Alain Le Yaouanc
Né en 1940

J'ai toujours pensé, dès la première rencontre, qu'Alain Le Yaouznc appartenait à cette espèce inhumaine, comme lui issue de la forêt celtique. C'est peut-être Merlin.Je le soupçonne d'enfermer des fées dans les arbres.A ceci près que ses arbres ne sont pas des arbres.Ni des êtres. Que ce qu'il peint est à la fois construction et destruction.

Aragon.Préface au catalogue de l'exposition " Le Yaouanc", palais des Arts et de la Culture, Brest, 1973.Le texte daté de 1972.

John Heartfield ( 1891-1968)

Ici, simplement, avec les moyens des ciseaux et du pot de colle, l'artiste a dépassé en réussite le meilleur de ce qu'avait tenté l'art moderne, avec les cubistes, dans cette voie perdue du mystère dans le quotidien.
De simples objets, comme jadis chez Cézanne les pommes, et chez Picasso la guitare.
Mais ici il y a, en plus, le sens, et le sens n'a pas défiguré la beauté.
John Heartfield sait aujourd'hui saluer la beauté.

Aragon ( " Commune" , 1935)

Quand j'ai rencontré la peinture de Marc Chagall, je me suis mis à l'aimer comme les femmes, pour le maquillage, pour le désordre et la déraison. Est-ce que l'on sait que penser de qui vous fait perdre la tête ? On en est ébloui, voilà tout.(p.42)

Aragon, ( pour une préface à un catalogue d'exposition, Pierre Matisse Gallery, New- York, 1968)