AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Christophe Guilluy (138)


Depuis vingt ans, médias et politiques confondent la question des tensions culturelles et celle de l'intégration économique et sociale.
Ce sont en effet les territoires de la France périphérique qui cumulent fragilités sociales et économiques et où se répartit désormais, du fait des logiques économiques et foncières, la majorité des nouvelles classes populaires. Des catégories hier opposées (jeunes, actifs et retraités issus de catégories modestes, ouvriers, employés, petits paysans, petits indépendants) forment désormais un continuum socioculturel et partagent, non une conscience de classe, mais une même perception des effets négatifs de la mondialisation.

Chapitre I : Les classes populaires à l'heure de la mondialisation.
Commenter  J’apprécie          613
« L'arrivée de réfugiés est une opportunité économique. Et tant pis si la mesure n'est pas populaire. » Cette déclaration d'Emmanuel Macron (Le Figaro, 7 septembre 2015) résume parfaitement la fracture culturelle entre les classes dominantes supérieures et les classes populaires. Réticentes à l'arrivée d'une nouvelle vague migratoire, les catégories modestes ont été moralement condamnées. Il a peu été révélé que cette opposition était très forte en banlieue, notamment dans les milieux populaires issus de l'immigration. La raison en est assez simple : les habitants des quartiers de logements sociaux savent que " l'accueil réel ", la cohabitation à 1000 euros par mois et dans le temps long, se réalisera dans les immeubles et écoles de leur quartier, pas dans les quartiers bourgeois ou bobos des villes-centres. Le partage de la richesse n'existe pas, c'est le partage de la pauvreté qui existe.
Mais de tout cela Emmanuel Macron ne parle pas. Sa déclaration s'inscrit dans une rhétorique connue, celle du patronat. Si la division internationale du travail permet de réduire les coûts salariaux en remplaçant l'ouvrier européen par l'ouvrier chinois ou indien, l'immigration permet d'exercer un dumping social efficace pour les industries et les services qui ne sont pas délocalisables. Les besoins sont d'autant plus importants que les classes populaires traditionnelles ne vivent plus dans les grandes agglomérations. Le marché de l'emploi peu ou pas qualifié des grandes métropoles est ainsi très largement occupé par cette main-d'œuvre, notamment dans le BTP, la restauration et les services. L'immigration permet de répondre aux besoins du marché de l'emploi peu ou pas qualifié des métropoles, mais aussi de contrôler la masse salariale d'une main-d'œuvre bon marché peu syndiquée. Bref, un système d'exploitation " classique " de l'immigration qui repose sur la permanence des flux. D'ailleurs, si le Medef prône la poursuite d'une immigration élevée, c'est d'abord pour exercer une concurrence permanente, non pas entre " autochtone " et " immigré , mais entre immigrés, afin d'empêcher toute augmentation de la masse salariale.

1. LES NOUVELLES CITADELLES : Qui garde les enfants de Fatoumata ?
Commenter  J’apprécie          502
Au son de la fanfare républicaine, le France a adopté toutes les normes économiques et sociales de la mondialisation. D' « alternance unique* » en déni de démocratie (la farce référendaire de 2005), la France est devenue une société « américaine » comme les autres, inégalitaire et multiculturelle. En quelques décennies, l'ordre mondialisé de la loi du marché s'est imposé. D'un modèle égalitaire, nous avons basculé en très peu de temps dans une société socialement inégalitaire et sous tensions identitaires. Ce basculement, désastreux pour les classes populaires, a provoqué un chaos social et culturel sans précédent. Un chaos couvert par le son de la fanfare républicaine qui joue de plus en plus fort, mais aussi de plus en plus faux.
(* L'expression est de Jean-Claude Michéa, L'Empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007.)

Préface.
Commenter  J’apprécie          351
Un simple coup d'œil sur la grille des revenus ou sur le patrimoine des ménages permet de casser rapidement le mythe des 99 %. Car, s'il existe bien des perdants et des gagnants, ces derniers ne sont pas que les « ultra-riches » mais bien toutes les catégories supérieures.

L’analyse des revenus mensuels pour l’équivalent d'une personne après impôts et prestations sociales (ce qu’on appelle le niveau de vie) permet de voir où se situe le 1 %. En 2018, le 1 % des plus riches dispose de 6 651 euros par mois, les 5 % les plus riches de 4 090 euros et les 10 % les plus riches de 3 261 euros. Le seuil de richesse (le double du revenu médian) se situe à 3 542 euros. Cela signifie donc que la moitié de la population française dispose de moins de 1 771 euros par mois. Si l'on observe une autre échelle, celle des salaires, les 20 % les mieux rémunérés gagnent plus de 3 000 euros par mois. Quand les classes supérieures dénoncent le 1 %, elles se pointent du doigt.

Autrement dit, les torquemadas du 1 % qui saturent l'espace médiatique sont statistiquement des « riches ». En réalité, et sans confondre ces classes supérieures avec les milliardaires de la Silicon Valley, il y a bien un groupe social qui bénéficie du modèle (20-25 % de la population) et un bloc majoritaire fragilisé, identifié depuis un demi-siècle par la plupart des indicateurs sociaux.
Commenter  J’apprécie          341
Parfois, à l'occasion d'une élection, d'une visite ministérielle, d'une mobilisation, le récit s'interrompt et fait place à l’inattendu. De la brume médiatique surgit la vie ordinaire. Un imprévu, un échange spontané, une simple altercation, et le narratif se brise.

Bruno Le Maire en fit l'expérience le 23 février 2018. Ce jour-là, sur le site de l'usine PSA de Mulhouse, le ministre de l’économie était venu « pour garantir aux Français qu'on va garder une industrie automobile et que le site restera ouvert ».

Demi-vérité ou demi-mensonge, cette petite phrase exaspéra les ouvriers et notamment un syndicaliste qui, devant les caméras, n’hésitera pas à interpeller le ministre : « Monsieur, on était 14 000, on ne sera bientôt plus que 5 000 dans l'usine ! Que deviennent les familles ? »

Sonné par cette question somme toute évidente (et légitime), Bruno Le Maire regarde dans le vague, on le sent mal à l'aise. Après quelques secondes d'hésitation, l'acteur se reprend, botte en touche et enchaîne sur le discours technocratique sans contenu dans lequel il excelle.

Mais c'est trop tard ; la journée est fichue. L'image n’est pas bonne.

Pire, il vient d'illustrer par l'absurde le décalage entre récit politique et réel.
Commenter  J’apprécie          320
En réduisant les existences au simple mot de «territoire », la brume technocratique et académique peut évoquer Ie « social » à sa manière, en enfilant des gants blancs, en parlant par exemple de « quartier populaire ». Aseptisé, déshumanisé, technocratisé, Ie «populaire» devient Ie «quartier populaire ».

II est assez croustillant d'entendre des élus se présenter comme les représentants de ces « quartiers populaires » et ainsi emprunter Ie langage typique de la technocratie bourgeoise.

Notons à ce titre que les habitants de ces « quartiers » sont complètement hermétiques et indifférents à ce discours techno-politique : preuve en est leur niveau d’abstention aux urnes. Aux élections législatives de 2022, la NUPES, qui, quoi qu'en dise son acronyme, attire moins de «populaires» que de cadres, professions intermédiaires et diplômés, a réussi Ie grand chelem dans les « quartiers populaires » de Seine-Saint-Denis mais dans l’indifférence de ses habitants. Dans certaines circonscriptions du département, l’abstention a parfois dépassé les 75 % ; certains heureux députés ont été élus avec moins de 10 % des inscrits, ce qui ne les empêche pas de mettre en avant Ie label « quartiers populaires ».
(...)
Les gens se détournent, les conversations d'en haut n'intéressent plus, les soirées électorales font tellement peu d’audience qu'elles sont désormais écourtées, voire remplacées par de vrais divertissements.
___
1. La majorité des cadres votent NUPES (28 %), la majorité des ouvriers se portent sur Ie RN (45 %), Ie macronisme attirant une majorité de retraites (35 %). Source Ipsos.
Commenter  J’apprécie          300
Qui peut croire encore à l'existence d'une mondialisation heureuse, à la solidité de l'État providence et des services publics, à l'excellence de nos systèmes de santé et d'éducation, à la promesse de protéger l'environnement et de fortifier le vivre ensemble ?

Y croire sincèrement ? Personne.
Commenter  J’apprécie          291
En trente ans, près de la moitié des bureaux de poste, près de 40 % des maternités, 30 % des gares ferroviaires, 30 % des perceptions, 25 % des écoles, 50 % des antennes de la Banque de France et des juridictions judiciaires ont fermé.
Commenter  J’apprécie          260
Contrai­re­ment à ce que pense la bour­geoi­sie (celle d’aujourd’hui comme celle d’hier), on peut naître, vivre et mou­rir en milieu popu­laire. On peut y “faire sa vie“, se culti­ver, pro­gres­ser ou stag­ner et y être heu­reux.
Commenter  J’apprécie          260
Désormais, toutes les crises se gèrent à coups de milliards. La « grande » politique se résume à une seule chose : faire tourner la planche à billets, distribuer l’argent et accroître l'endettement.
Cette fuite en avant matérialiste trouve son apogée dans un projet promu depuis des années par les élites libérales de Davos, de la Silicon Valley et de la gauche bourgeoise (l’expression devient un pléonasme) : le revenu universel. Une nouvelle fois, l’incompréhension est totale entre, d'un côté, des gens ordinaires qui luttent pour retrouver leur place et leur dignité, et, de l’autre, des classes dirigeantes qui résument ce combat à une ligne budgétaire.

Les classes populaires ne demandent pas la charité, mais un travail correctement rémunéré et encadré par le droit qui leur offre une sécurité. Faut-il le rappeler, l'existence sociale est garantie par l'accès à une fonction (sociale), pas à des prestations (sociales).
Commenter  J’apprécie          250
Par glissements successifs, la gauche allait adapter son discours à la quintessence du modèle néolibéral qui était en train d'advenir dans les métropoles. Cette évolution qui consacre l'alliance idéologique entre libéralisme économique et libéralisme culturel annonçait les victoires à venir des socialistes puis des écologistes dans ces bastions du capital détenus hier par la droite.

À cet égard, on ne souligne jamais assez l'importance de l’élection de Bertrand Delanoë en 2001 à Paris, métropole la plus riche de France, au moment même où les classes populaires en étaient joyeusement chassées par les agents de l'embourgeoisement, ces fameux « bobos ». C'est en captant ce nouvel électorat, cette nouvelle bourgeoisie cool, que la gauche allait emporter Paris. Mais gagner Paris, c’était évidemment perdre le peuple. Les victoires successives de la gauche dans toutes les villes métropolisées annonçaient son enfermement idéologique puis politique.

Prisonnière de son ghetto métropolitain, la gauche se coupait définitivement de sa base sociologique traditionnelle, celle de la France périphérique. La métropolisation s'avérera être son cimetière.
Commenter  J’apprécie          230
La classe qui a le monopole de la parole peut ouvrir le spectacle ; le grand cinéma de l'irréalité peut commencer.

Tout cela semble déjà (très) lointain, mais un petit detour par la case « crise sanitaire » offre de parfaites illustrations de la construction et du fonctionnement de ce storytelling.

En mars 2020, la population française est confinée. Pourtant, il y a des histoires que l'on entendra plus que d'autres. Dès les premiers jours, les médias s’arrachent les « journaux de confinement » de Leïla
Slimani et de Marie Darrieussecq, donnent la parole à Brigitte Macron «éprouvée» par la période, et questionnent intellectuels et experts sur ce moment suspendu et sur le sens de la vie. Des enquêtes de terrain viennent donner un peu de chair au tableau en interviewant des cadres supérieurs qui télétravaillent depuis leur résidence secondaire bretonne ou varoise. Occultant le fait que la majorité de la population n’est absolument pas concernée par cette nouvelle organisation du travail, les médias nous parlent de l'émergenœ d'un monde nouveau. La nécessité de tout repenser, les réflexions psycho-philosophiques sur le monde d'après se multiplient, et le cadre de ce monde d'après sera, sans surprise, les lieux de vie des catégories supérieures.
Commenter  J’apprécie          221
Mais, surtout, cette instrumentalisation de la menace apocalyptique, à un moment où les élites dirigeantes ont perdu toute légitimité, leur permet d'annihiler toute opposition. De l'apocalypse environnementale à l'apocalypse politique (la menace du fascisme) en passant par l'apocalypse sanitaire, la gestion par la peur permet de s'affranchir du politique, et elle est d'autant plus efficace qu’elle se développe dans un Occident vieillissant.

Beaucoup plus perméables au narratif médiatique, les populations âgées sont par exemple celles qui adhèrent le plus facilement à l'idée d'une menace fasciste mais également, compte tenu de leur fragilité physique, d'une menace sanitaire.
Commenter  J’apprécie          210
Le protectionnisme économique, assimilé au fascisme par le monde d'en haut, est au contraire accepté et plébiscité lorsqu'il vise par exemple à protéger le monde de la culture. Les industries du cinéma et de la musique made in France promeuvent l'ouverture au monde, mais se protègent depuis presque un demi-siècle du marché libre échangiste mondial.

Ici, la « préférence nationale » est appelée « exception culturelle », et, comme par magie, elle devient moralement acceptable.
Commenter  J’apprécie          210
Les gens ordinaires ne s’excuseront plus d’être ce qu’ils sont. Sans représentation politique ni sociale, ils participent à un mouvement de renaissance qui bouscule les notions de puissance et de pouvoir. Cette dynamique existentielle est ainsi en train d’inverser le sens de l’Histoire.
Commenter  J’apprécie          190
Les collectifs qui dénoncent la gentrification des littoraux ont un air de déjà-vu, de déjà-entendu.

Lorsque des Bretons manifestent aux cris de « la Bretagne n est pas une résidence secondaire ! », ils font écho aux Barcelonais qui déploient des banderoles « Barcelone n’est pas à vendre ». Dans cette métropole, les manifestations contre la gentrification, le tourisme de masse et la privatisation des espaces publics sont récurrentes depuis des décennies maintenant.

Menant des actions contre la spéculation foncière, les militants bretons et barcelonais manifestent contre la même flambée des prix de l’immobilier, mais aussi contre la même industrie touristique.

La dénonciation des résidenœs secondaires désertées toute l'année fait écho à celle des appartements vides qui ne servent qu’à spéculer. Dans les deux cas, ils soulignent le fait que les jeunes et les classes populaires n’ont désormais plus les moyens d'accéder à ces espaces et à l'emploi qui s'y concentre.
Commenter  J’apprécie          180
Depuis qu’elle existe, la bourgeoisie a toujours utilisé des codes pour se reconnaître mais aussi pour se distinguer des classes populaires. Les codes du progressisme tenaient à distance des gens ordinaires considérés comme intrinsèquement intolérants, misogynes ou pollueurs. Mais le progressisme de pacotille des élites n’était qu'un vernis idéologique qui visait à masquer une position de classe. L’antiracisme, l’écologisme ou le féminisme ne sont en réalité que des codes culturels. Et l’essentiel est ailleurs : il faut préserver son patrimoine, faire de l'argent, garder le pouvoir.
Mais aujourd’hui, les gens ordinaires se moquent des injonctions à moins consommer ou à moins polluer dictées par ceux qui brûlent du kérosène en avion tous les mois en dépassant le bilan carbone de mille vies ordinaires. Ils décodent aussi parfaitement les intentions de ceux qui ponctuent toutes leurs phrases de diversité mais passent leur temps à éviter l’Autre, ou d’une classe politique qui instaure l’égalité de représentations entre hommes et femmes, pour ne promouvoir que des femmes de la bourgeoisie.
C’est le paradoxe. L’idéologie dite progressiste n’a jamais été aussi hégémonique dans le monde d’en haut et aussi contestée en bas.
Commenter  J’apprécie          90
On peut aussi évoquer sans risque l'importance du nombre de pauvres et inversement s'indigner de l'enrichissement du 1% (voire du 0,1 %) des plus riches d'entre nous. Si elles pointent certaines dérives du modèle, ces représentations ne remettent pas en question l'essentiel : la permanence d'une classe moyenne majoritaire. Elles valident donc en creux le modèle économique existant. La classe moyenne ne serait ainsi qu'une classe en mutation, en voie de s'adapter aux nouvelles normes économiques et sociétales d'une société mondialisée. Les politiques et experts préfèrent d'ailleurs toujours utiliser les termes « mutation » ou « transition >> plutôt que ceux, trop clivants, de « rupture » ou de « fracture Cette novlangue ? « transitionnelle » ou « mutationnelle » permet opportunément de mettre sous le tapis l'idée même d'intérêts de classe divergents.
Commenter  J’apprécie          90
Ce n'est pas le Front National qui est allé chercher les ouvriers, ce sont ces derniers qui ont utilisé le parti frontiste pour contester la mondialisation et s'inquiéter de l'intensification des flux migratoires. Ce choix des électeurs explique, quinze ans plus tard, l'évolution de Marine Le Pen, qui adapte désormais son discours à la nouvelle sociologie de ses électeurs. Une sociologie électorale où les classes populaires sont surreprésentées : une "sociologie de gauche" qui implique l'abandon d'un discours libéral et la défense de l’État providence.
Commenter  J’apprécie          90
Pour se convaincre du primat du marché sur le politique, il suffit d'observer ce que sont devenues les grandes métropoles occidentales. De New-York à Paris, de Milan à Lyon, de Londres à Bordeaux, l'architecture des nouveaux bâtiments, l'offre commerciale et culturelle, les aménagements verts, la communication sont absolument identiques.
Commenter  J’apprécie          80



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Christophe Guilluy (538)Voir plus

Quiz Voir plus

Devinette : Qui est-elle ?

Moitié de peau de chien

Car
Ni
V'Or

5 questions
18 lecteurs ont répondu
Thèmes : peinture , assassinats , sculptureCréer un quiz sur cet auteur

{* *}