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Citations de Darragh McKeon (99)


Ils restent là, muets, jusqu'à ce que Grigori dise : "Je suis chirurgien. Jamais je n'ai imaginé vivre pareille journée. "
Le soldat retire un brin de tabac de sa langue et crache.
"Rappelle-toi, camarade, ce que Lénine nous a enseigné : "Chaque cuisinier doit apprendre comment on gouverne un Etat. "
Ils finissent de fumer en silence.
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Ils font monter les gens dans le camion, les emmènent dans la zone autorisée puis retournent en chercher d'autres. Ils passent devant un petit cimetière et trouvent une femme qui ramasse de la terre sur une tombe- celle de ses parents - pour la mettre dans un bocal. Elle les supplie de garder le bocal, mais ils le lui prennent et le vident. La femme n'a pas l'énergie nécessaire pour protester.
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Dans un autre appartement, une vieille femme est assise dans sa cuisine où elle écoute la radio. Lorsqu'ils entrent dans un fracas de bottes, elle baisse le son et pose sur eux un regard paisible. Elle contrôle parfaitement la situation et, avant qu'ils aient pu donner des ordres, elle déclare qu'elle refuse de partir. Ils peuvent bien la battre ou la tuer s'ils veulent, mais elle affirme qu'elle est chez elle et qu'elle mourra ici. Aucun des soldats n'a envie de se livrer à pareille violence, pas là, pas avec cette femme. Ils ressortent et Grigori hoche la tête avec un sourire admiratif, alors elle lève les mains, paumes ouvertes, et ce geste silencieux en dit long sur ce moment, sur cette pièce, sur cette ville.
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Les rapports indiquent que les animaux sont potentiellement très contaminés- leur fourrure absorbé les matières radioactives-, si bien que les militaires éliminent tous ceux qu'ils voient. Les compagnons à quatre pattes sont arrachés aux bras de leurs maîtres et maîtresses, et fusillés sous leurs yeux. Les chiens dociles regardent avec innocence le canon devant leur truffe....
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Chaque travailleur avait autour du cou un capteur qui mesurait les radiations. Personne ne devait être exposé à plus de vingt-cinq microröntgens, la dose maximale que le corps puisse tolérer. On leur a donné trois costumes de protection. Mais mon supérieur a finalement décidé de ne pas fournir de machines à laver ; il voulait préserver les faibles ressources en eau propre qui nous restaient. Si bien que les hommes n'avaient rien pour nettoyer leurs vêtements de protection. Au bout de trois jours, ils portaient en permanence des habits radioactifs. Après les deux premières semaines, les officiels ont décidé de ne pas remplacer les liquidateurs, pour ne pas en sacrifier d'autres. Au cours des réunions d'organisation du travail de la journée, chaque matin, ils calculaient combien de vies ils avaient besoin pour telle tâche spécifique. Deux vies pour ceci, quatre pour cela. C'était comme un cabinet de guerre, quand les hommes se prennent pour Dieu. Le pire, c'est que cela n'a servi à rien. Les premiers liquidateurs ont dû malgré tout être remplacés, car à la fin ils étaient trop malades pour continuer le travail.
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EXTRAIT :

Le père d'Artiom a mis quatorze jours à mourir.
(...)
Peu à peu, Artiom a recoupé les faits. Son père lui a raconté des choses. Youri aussi. Sofia, parfois, répondait à ses questions. Après la mort de son père, sa mère s'est ouverte davantage. Il n'y avait plus de raisons de le protéger.
A Pripiat, pendant l'évacuation, des officiers avaient rassemblé les hommes en leur disant qu'il était de leur devoir de sécuriser les lieux. on les invitait à procéder au nettoyage. Personne n'a protesté, ils étaient heureux de se rendre utiles.
Le père d'Artiom a été désigné pour nettoyer la forêt. Les autres se sont portés volontaires pour l'aider. Ils ont mis en avant leur expérience du travail en équipe au kolkhoze, et ils ont obtenus un accord officiel.
Ils vivaient dans des tentes comme des partisans pendant la guerre. Mais bientôt, la forêt est devenue rouge, les feuilles rutilaient. Youri se souvenait que le père d'Artiom en avait ramassé une en déclarant : "Mère Nature saigne." Il y avait dedans des trous minuscules, comme si les chenilles étaient devenues folles. On leur avait donné des dosimètres, mais ils les ont jetés.
"Soit on fait le boulot, soit on ne le fait pas, et on a décidé qu'on le ferait."
Voilà ce qu'ils disaient.
(...)
Deux jours après l'accident, les militaires avaient planté un drapeau au-dessus du réacteur, symbole d'orgueil, d'endurance. Cinq jours plus tard, il était en lambeaux, rongé par l'air. Le jour suivant, un nouveau drapeau flottait au vent. Une semaine plus tard, un autre. Chacun évitait de regarder le drapeau. C'était trop perturbant.
Ils continuaient à travailler.
L'une après l'autre, les tronçonneuses ont cessé de fonctionner. Personne ne savait pourquoi ; elles étaient dans des conditions parfaites, mais le moteur ne répondait plus. On les a toutes remplacées. Celles-là aussi se sont arrêtées. Finalement, ils se sont attaqués aux arbres à la hache, alors le soir il leur fallait boire encore plus pour calmer les douleurs dans leurs épaules en feu.
(...)
Ils tuaient les animaux qu'ils rencontraient dans la forêt pour les manger Ils avaient des vivres, mais au bout d'une semaine, ils en ont eu marre des conserves. Et puis, cuire le gibier à la broche, c'était convivial. Au bout de quelques semaines, cependant, l'un d'eux s'est aperçu qu'il ne sentait plus l'odeur de la viande grillée, et les autres se sont aperçus qu'eux non plus. Cette nuit-là, ils ont mal dormi.
Une nuit, il a plu, et au matin les flaques étaient jaune-vert, comme du mercure.
(...)
Artiom n'a pas vu son père quand les tumeurs ont métastasé, non pas à l'intérieur du corps, mais à la surface, jusqu'à ce qu'elles envahissent son visage, couvrant ses traits tel du lierre. Il ne l'a pas vu quand il allait à la selle trente fois par jour, évacuant surtout du sang et des glaires. Quand sa peau a commencé à se craqueler sur les jambes et les bras. que chaque soir les draps étaient couverts de sang et que sa mère devait donner des instructions aux soldats sur la manière de le déplacer, pour s'assurer que son mari ai chaque nuit des draps propres.
Artiom vivait avec Sofia dans le quartier des infirmières, ils arpentaient la ville à la recherche de nourriture (...) puis ils rapportaient leurs commissions , en préparant de la soupe que leur mère avalait lorsqu'elle venait là sommeiller quelques heures. Elle rentrait dormir et mentir à ses enfants ; racontait que leur père ne souffrait pas, qu'il se reposait.
A la fin, quand la langue de son mari s'est détachée, mentir lui est devenu impossible. Elle avait résisté tandis qu'elle tenait la bassine le long du lit pour récupérer le sang qui s'écoulait de son corps, sans qu'il y ait de plaie particulière. Lorsqu'il toussait et crachait ses poumons, son foie, étouffé par ses organes. Jamais elle ne leur dirait que quand elle le regardait, elle le voyait qui l'appelait comme s'il était à l'extrémité d'un long couloir. Ses yeux pleuraient leur douleur, tel un bébé qui ne peux exprimer ses besoins, ne parvient pas à se faire comprendre. Quand elle a cessé de pouvoir mentir, n'a plus eu la force d'affronter ses enfants, elle est restée aux côtés de son mari, dormant sur une chaise auprès de lui, sans pouvoir le toucher car il aurait trop souffert. Ses enfants apportaient pour elle de la soupe à l'accueil, et une employée la posait sur une table, à l'entrée du service. Jamais ils n'ont demandé à voir leur père. Désormais, il appartenait à leur mère.
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Les soldats ont des mégaphones, des fusils, ils rangent les gens en longues files qui serpentent entre les immeubles, au bout desquelles se trouve un médecin pourvu d'un dosimètre, et sur une table à tréteaux sur laquelle un lieutenant vérifie les cartes d'identité et distribue les nouveaux papiers médicaux estampillés. Ceux qui entrent dans les catégories critiques, sont mis de côté, derrière un mur de militaires et placés dans des ambulances. Ils protestent à cor et à cri, s'agitent, leurs vêtements tombent autour d'eux, se déchirent. Leurs familles accourent mais sont repoussées, les soldats sont experts quand il s'agit de frapper à la base du cou, et la personne visée, enfants compris, tombe lentement à genoux.
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(Tchernobyl)
Les opérateurs tétanisés essaient de comprendre. Il y a bien quelque chose à faire. Mais quoi ? Il y a forcément un bouton à pousser, une série de codes à rentrer, une procédure : il y a toujours une procédure. Par miracle, ils retrouvent le manuel des opérations, humide mais utilisable. Arrivent à la bonne section. La section existe donc. Oreilles vrillées par l'alarme. Yeux larmoyants. La section. Les pages feuilletées. Un titre : "Procédure d'opération en cas de fusion du réacteur". Un bloc noirci à l'encre, sur deux pages, cinq pages, huit pages. Tout le texte a été effacé, les paragraphes masqués sous d'épaisses lignes noires. Pareil évènement ne peut être toléré, on ne peut pas plus prévoir une telle chose qu'elle ne peut se produire. Le système ne dysfonctionnera pas, le système ne peut dysfonctionner, le système est la glorieuse patrie.
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J'ai découvert il y a peu une expression japonaise :mono no aware. Cela signifie faire l’expérience de la beauté avec une certaine nostalgie, une certaine tristesse, car on sait que ça ne durera pas - une sorte de conscience douce-amère de l'impermanence des choses.
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Après les deux premières semaines, les officiels ont décidé de ne pas remplacer les liquidateurs, pour ne pas en sacrifier d’autres. Au cours des réunions d’organisation du travail de la journée, chaque matin, ils calculaient de combien de vies ils avaient besoin pour telle tâche spécifique. Deux vies pour ceci, quatre pour cela. C’était comme un cabinet de guerre, quand les hommes se prennent pour Dieu. Le pire, c’est que cela n’a servi à rien. Les premiers liquidateurs ont dû malgré tout être remplacés, car à la fin, ils étaient trop malades pour continuer le travail.
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C’est le Parti qui a fait de moi ce que je suis, qui a fait de ce pays ce qu’il est. Je me suis toujours fié à son jugement. Et ce n’est pas un incendie dans une centrale qui y changera quelque chose.
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Il est des choses que les gens dissimulent derrière les mots, il y a des mots cachés à l’intérieur des choses, comprimés, prêts à fleurir à tout moment.
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Comment tu t’appelles, fiston ?
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Nous sommes tous épars et discontinus. « Je » est le fruit d'un instrument qui est échafaude des histoires. Mais on le comprends seulement quand cet instrument montre des faiblesses. Sauf que « je » et « nous » ne racontent pas d'histoire. Ce sont les histoires qui nous racontent.
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Ce ne sont pas les images en cascade qui se déversent des chaînes d'information, ni la rhétorique des politiques qui créent l'histoire. Celle-ci naît d'une myriade de décisions personnelles, de conversations tranquilles. les événements singuliers d'une vie, au bout du compte s’agrègent au continuum de l'expérience et des croyances communes, c'est une pierre qui ricoche sur des eaux calmes.
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L’école, me disais-je, était pour moi le seul moyen de partir d’ici. Je m’en servirais pour creuser un canal avec mes livres, afin que le fleuve de la connaissance m’emporte ailleurs, me pousse jusqu’à l’estuaire.
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Sa tristesse battait résolument en lui, et il était évident qu’il ne s’y abandonnerait jamais complètement, mais qu’elle ne le quitterait pas non plus : il lui fallait s’habituer à vivre avec, comme nous tous.
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À douze ans, il a maintenant conscience de l’interaction entre la nature et le langage. Il est des choses que les gens dissimulent derrière les mots, il y a des mots cachés à l’intérieur des choses, comprimés, prêts à fleurir à tout moment.
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Nous considérons les souvenirs comme de pâles versions d’un moment particulier. Je commence à me demander si le contraire n’est pas vrai ; peut-être que notre expérience des événements et de leurs incidences sur le présent sont minces, sans relief, que nous nous contentons de les accumuler, et c’est seulement plus tard, une fois libérés, à travers le paysage du temps, qu’ils arrivent enfin à maturité.
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Il est frappé, au beau milieu de tout cela, par l'idée que les variations infinies d'une seule vie pourraient sans doute remplir une bibliothèque entière : chaque action, statistique, tous les enregistrements qui ponctuent une existence : certificat de naissance, certificat de mariage, certificat de décès, les paroles qu'on a prononcées, les corps qu'on a aimés, tout cela gît quelque part, dans des boîtes ou des petits tiroirs, attendant d'être ramassé , collecté, annoté.
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