Entretien avec Diane de Margerie
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Même ma grand-mère Henriette était déjà consciente de ce que l'écriture avait sa gravité. Toute une page de ses carnets intimes est consacrée à ce sujet! "La plupart de nos maux viennent de ce que nous avons des mots pour les décrire. (...)
Ce qui est écrit ne peut être changé, existe à jamais, d'où la prédilection pour ce qui n'est pas nommé. Ce que l'on ne dit pas n'existe pas vraiment. Le non -exprimé signifie l'annulation de la peur (...) (Mercure de France, 2001, p.61)
Le livre de Joyce Carol Oates sur le deuil de son mari provoque en moi des sentiments contradictoires. D'une certaine façon, les ruptures donnent déjà un avant-goût de la mort pourtant elles m'ont toujours appris quelque chose. (...)
Le mot -veuve- qu'elle emploie dans "j'ai réussi à rester en vie" n'est-il pas le masque d'un autre mot haï: le mot -seule- ? De tous les instants de lucidité qui la saisissent, celui-ci traduit exactement ce que je ressens pendant ma lecture: elle est - seule- sur une plage magnifique en 2008. Sur cette plage d'une île en Floride, elle se dit: "Tu es vraiment ridicule. Vouloir te remonter le moral, alors que le seul fait important de ta vie est que tu es seule. Tu es veuve, et tu es seule. Tu n'es pas préparée à la solitude parce que tu avais cru que tu serais aimée, protégée et choyée éternellement. Maintenant que tu es veuve, tu as perdu tout cela. Ton cœur n'est pas brisé mais racorni. Tu es ridicule de courir en tout sens pour faire des "causeries", des "lectures" parce que rester chez toi te terrifie. (p.45)
Pourquoi réunir ces textes si ce n'est parce qu'ils sont aussi des éclats autobiographiques, des fragments de vie et qu'ils ont opéré, grâce à la lecture, d'intenses transferts permettant de vivre ?
Ainsi toute mon enfance a été marquée par l'ambivalence, par le contraste entre la misère et la beauté des formes et de l'architecture; je devais retrouver bien plus tard cette fusion entre la poésie et la réalité dans ce petit-chef-d'oeuvre qu'est le -Narayama- de Fukasawa. L'alliance entre la contemplation du beau et la perception de la douleur engendre une sorte de climat naturel puisque, dès l'adolescence, j'avais vécu cette dualité qui me paraissait aboutir à la seule unité possible.
L'unité supposait la connaissance du mal. Elle devait tenir compte de la souffrance des coolies- pousses et des mendiants infirmes vus à Shangaï, et faire ressortir, à Pékin, le calme des temples et des jardins déserts, la beauté des céladons aux lignes pures; oui, l'unité avait son prix à payer: celui de la lucidité. (p. 10)
Le couteau et l'hostie.
Marie Jouhandeau sait voir. Son regard, où se mêlent lucidité, résignation et humour noir, loin d'être provincial et étriqué, sait fait faire de chaque événement à Guéret, de chaque petite scène familiale, de chaque cérémonie ou enterrement, un hublot ouvert sur la complexité du monde. Nulle mièvrerie jamais chez elle. On demeure surpris de tant de hardiesse dans une âme que l'on devine blessée à l'aube du mariage avec Paul, le garçon boucher. Déjà existe chez la mère ce mélange surprenant de curiosité humaine et de distance (sans mépris) que l'on retrouve dans les oeuvres les plus fortes du fils. (p; 215)
Je réfléchis à cette parole du poète : ce que fait la vie, la mort le défait. La cathédrale n'a pas été créée pour ses contemporains, des milliers de bâtisseurs sont morts sans même la voir s'ébaucher dans le ciel, il y a ceux qui sont venus, tous ceux qui viendront, ceux qui sont morts à la tâche en revenant non point des croisades, mais tout simplement des carrières. (p. 30)
Il faut oser être ce que l'on est, au risque de tout perdre, mais cette force ne nous vient que lorsqu'on a déjà beaucoup perdu, et survécu à ces pertes.
( Flammarion,1985, p.188)
[Jean-Didier Vincent ]
"Finalement, c'est grâce à la biologie que je suis devenue athée...Trempé toute mon enfance par ma mère dans une bassine de culpabilité, je m'en suis sorti par la tolérance qu'apporte la connaissance scientifique."
J'aime cette idée capitale de tolérance apportée par le savoir. (p. 102)
25 février (2011), Paris
je n'ai cessé aujourd'hui de penser que créer tue la répétition. Qui dit répétition sous-entend très vite l'habitude. L'esclavage des habitudes mène à la régression. C'est bien pourquoi quand, autrefois, des proches ont essayé de me décourager d'écrire (par méfiance de la liberté que l'écriture instille?) , c'était comme si on avait voulu m'amputer.
Ecrire ou démissionner de la vie.
Ecrire contre. (p.140)
L'écriture n'a pas complètement sauvé Virginia Woolf ni Anna Kavan. Mais elle a été leur raison de vivre, leur liberté jusqu'à leur mort. (p. 60 / Mercure de France, 2001)