La forêt est précieuse grâce à son ombre rafraîchissante et régénératrice, grâce au chant des oiseaux, au cri strident des singes, à l'odeur des fruits mûrs qui se mêle à l'arôme des caféiers en fleur, au coin de ciel bleu en feu, à peine perceptible parmi le reflet des feuilles bigarrées et humides, au faible souffle de la brise entre les arbres, à l'image furtive d'un animal surpris par le vrombissement de la moto.
Le père se mettait alors à lui reprocher l'immoralité de sa conduite, le fait qu'il avait plusieurs femmes, et l'oncle répliquait qu'il avait entendu dire que le Dieu des Blancs avait ordonné aux hommes de croître et de se multiplier pour qu'ils ne disparaissent pas de la surface de la terre, car il les avait créés à son image.
Je traduisais ce que le père disait de la religion véritable, de la mort et de la résurrection du Christ pour la rédemption de tous les hommes, et l'oncle Abeso le regardait d'un air hautain qu'il ne prenait qu'avec les Blancs. Et il demandait au père s'il avait vu toutes ces choses qu'il racontait, et le père était bien forcé de dire que non, que c'était une tradition, et alors l'oncle répliquait que lui aussi pouvait lui raconter les traditions de sa tribu, car toutes les tribus ont les leurs et le secret de la paix entre les différentes tribus est que chacune conserve et cultive les siennes sans s'en prendre aux amulettes qui protègent les autres. Toutes les traditions ont leur part de vérité et leur part d'erreur ou du moins d'exagération et aucune ne peut être adoptée comme vérité unique, disait l'oncle tout en chassant à l'aide d'un petit balai (une touffe de brins de palmier) les mouches qui voletaient autour de nous.
Je présume que s'ils n'avaient pas cette manie, nos chemins ne se seraient jamais croisés
Ses yeux, jadis bleus et qui n'avaient plus maintenant qu'une infime partie de leur éclat, se posaient impertinents sur mon visage