AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Dorothée Janin (28)


Elle [la grand-mère] inventait sans mentir, son cerveau n’avait plus ces cases-là en place. Les heures, les jours, les années qui se disloquent et tombent ensemble comme un château de cartes. Les souvenirs qui s’effacent par le haut de la pile. Les phrases qui tombent dans un trou ou alors surgissent de l’enfance : « Mais où est maman ? » « Je vais rester là longtemps ? »
Commenter  J’apprécie          220
Dans la presse, je le remarque, car cela saute aux yeux, le vocabulaire de la sorcellerie et de la possession satanique revient sans cesse. Ainsi, aussitôt après leur arrivée, pour dire que la révolte continue, je lis que le sabbat recommence.
Commenter  J’apprécie          120
Benjamin essaye de me donner des arguments pour ne pas être si triste, il a cette théorie : enfanter, c’est la mort de la morale. « Tu vois, dit-il, je pense que tu serais capable de mourir pour une cause ou pour sauver des vies, tu as une dose d’héroïsme en toi, je t’ai vue dévaler une falaise pour aller sortir la tête de l’eau d’une femme qui était tombée, je t’ai vue me défendre et ne pas fuir quand je me suis retrouvé avec un flingue sur la tempe en Corse, prétendument parce que j’avais mal parlé à des autochtones à la buvette du village. Mais si tu deviens mère, ça sera fini. Si tu es mère et que tu as deux boutons devant toi, et que tu dois choisir entre la disparition d’un continent avec tous ses habitants et la vie de ton enfant, tu sauves ton gosse. Paf l’Asie ! Et puis tu commences à avoir peur pour ta vie en général, tu ne veux pas laisser seul ton gosse, tu commences à estimer beaucoup trop haut ta vie pour être héroïque. Je t’assure, la morale et l’éthique chutent, on devient intéressé, on courbe le dos, on pense avant toute chose à la becquée qu’on doit lui enfoncer dans le gosier. »
Commenter  J’apprécie          61
On se trompe en pensant que le manque et l’absence que subit un enfant le poussent à chercher à être aimé. Il cherche à aimer : comme personne n’aime longtemps, à aimer totalement ; il faut alors devenir aveugle à soi-même et au réel. Cet enfant a connu un amour impossible, il a grandi avec un amour plus fort que la mort et l’absence et contenant la mort et l’absence, totalisé, car la mort et l’absence sont d’une essence totale, ne présentent aucune faille, sont parfaites ; un amour jamais arrêté par la réalité et la chair, la vie, jamais arrêté par un regard en retour, par une parole, par un être ; ni par l’amour-propre, l’estime de soi, qui n’existent pas encore, et vont être mités, dévorés. L’amour-dans-le-deuil, comme dans l’abandon vrai, atomisé, dilaté comme l’univers, expansé, cet amour infecté du pus de la pureté, saoul, alcoolisé – alcool volatil ; dès l’étincelle, la flamme vire au bleu. (…)
L’adulte grandi depuis cet enfant, enfant ahuri par le manque de ce qui n’existe pas, égaré dans son amour total de la pourriture ou de la cendre, détaché du corps même, un amour non pas à travers mais dans l’horreur, mélangé à l’horreur – qui aime-t-on ? Des lambeaux de chair, des os couverts de chair froide, des orbites vides, le sourire affreux d’un mort, la cendre à l’odeur de cendre, froide, mélangée à la vieille poussière, aux chutes pourries du temps ?
Je n’ai jamais cherché la compagnie.
Commenter  J’apprécie          51
Dans les maisons de corrections, on retrouve fréquemment des jeunes filles passées devant le juge pour avortement ou tentative d’avortement. La condition des filles-mères est terrible, celles qui souhaiteraient élever leurs bébés sont bien souvent contraintes de les abandonner. Mais au-delà de cette donnée, concernant les jeunes filles, c’est l’idée même d’avoir une vie sexuelle qui est condamnée : Ni le vol, ni la rébellion, ni la colère ne dégringolent vraiment une fille, peut-on lire dans Rééducation, une revue spécialisée de l’époque, mais dès que, pour une cause ou pour une autre, elle a consenti à certains gestes avec plusieurs personnes du sexe opposé, le phénomène d’une dégradation morale certaine se produit.
Commenter  J’apprécie          50
"« Mais vous avez mangé du chocolat ? constatait le président. – Bien sûr, puisque c’était la révolution ! – Quatre mois de prison. »
Commenter  J’apprécie          40
Le bonheur, la joie sont d'une essence volatile, on le sait que ça disparaît comme couleur et poussière sur l'aile de l'insecte. Mais la douleur n'est pas de cette matière, la douleur est compacte comme une pierre.
Commenter  J’apprécie          40
Selon l’inspecteur,(...) la plupart des jeunes filles seraient des prostituées.
(…) à Fresnes, il y a davantage de jeunes filles qui ont atterri en maison de correction pour de petits vols que de jeunes filles s’étant prostituées. Et dans ce nombre, seules quelques-unes se prostituent régulièrement, c’est-à-dire pas à l’occasion d’une fugue ou d’une errance particulière, d’une cavale sans ressources. Toutes celles qui pratiquent la prostitution régulièrement le font depuis leur jeune âge. Quinze ans, seize ans, moins. Ce passé semble ici donné à comprendre comme un choix raisonné fait au sortir de l’enfance, par vice et pure paresse. Voilà leur identité, à toutes celles qui ont un jour reçu de l’argent en échange de leur corps ; elles ne sont pas de très jeunes filles qui se sont prostituées, pour une raison ou une autre, sous une forme ou une autre. Elles sont des prostituées. Leur essence est d’être prostituées, on les définit ainsi.
Commenter  J’apprécie          30
Celles qui n’avaient commis aucun délit mais avaient seulement « fait la noce », ou voulu vivre leur vie, fuir ce qu’elles avaient à fuir chez elles – coups, alcoolisme – ou chez un patron salace ou trop insistant ; celles qui avaient suivi un rêve, un désir, une pulsion, une façon d’être, et que leurs parents voulaient faire dresser par d’autres en demandant l’enfermement au nom de « la correction paternelle » ; les fugueuses, les petites et toutes petites voleuses ; toutes celles, aussi, qui font le trottoir depuis l’adolescence ou l’enfance, c’est-à-dire, on le sait aujourd’hui, et on le savait à l’époque sans que cela change rien, presque toujours victimes d’abus sexuels, de viol, d’inceste. Tout cela le plus souvent sur fond de pauvreté ou de misère. Les juges profitent, aussi, d’une inconduite ou d’un petit délit pour retirer une jeune fille à un milieu jugé peu favorable ; il y a l’alcoolisme, il y a la violence, il y a la misère, il y a aussi, très souvent, une mère seule, une mère pauvre qui travaille et donc jugée suspecte de ne pas pouvoir éduquer convenablement ses enfants, une mère vivant en concubinage : une mère jugée mauvaise mère.
Commenter  J’apprécie          30
Elles ne sont pas des détenues, elles ne sont pas des criminelles : elles sont de mauvaises filles. C'est pour ça qu'on les a capturées.
Commenter  J’apprécie          20
Ce qui est sûr, je crois, c’est que les orphelins de père, de mère, de frère, de sœur, ensuite, ont une connaissance en partage. (…)
Avec l’âge, nous finissons tous par porter un brassard noir. Mais eux, les adultes, qui nous rejoignent dans le deuil, existaient avant le deuil. Ils sont changés, amputés, ils ne sont plus les mêmes, mais ils existaient : nous n’existions pas avant, nous n’étions pas finis, pas grandis : nous sommes qui nous sommes car ils sont morts : nous serions une autre personne, une personne à des milliers d’années-lumière de nous-mêmes, s’ils avaient vécu. Leur mort nous a faits ; nous en sommes nés tels que nous sommes, tels que leur mort nous a fait advenir, nous a façonnés, construits. Nous avons poussé à la lumière de l’astre de la mort, avons été irrigués par la source intarissable de la mort. Nous sommes l’être que nous sommes « à cause de » leur mort, « grâce à » leur mort, la distinction n’a aucun sens. Ainsi nous sommes des vers. Ainsi nous sentons que nous sommes des vers. Charognes et charognards, dans nos berceaux, nos petits lits, nos lits d’enfance, d’adolescence, nous sommes, pensons-nous.
Commenter  J’apprécie          20
Un écrivain n’a pas le choix. Dans un livre, il verse de lui-même, avec divers détours ou tout droitement il le fait, et même si l’on ne veut pas se déverser, il faut bien aller puiser à la source pour irriguer le livre et les personnes qui le peuplent. Mais parfois, alors que l’écrivain écrit, le flux s’inverse, à la façon d’un mascaret. Comme le courant du fleuve s’inverse depuis l’estuaire, la mer, l’océan, soulevée par la marée l’onde remonte vers la source, la vague depuis les mots retourne vers le corps et vient frapper le cœur.
Commenter  J’apprécie          20
Valère lui avait dit : Oui, tu vois, on parle de l’esclavage immémorial des femmes, à raison, mais les hommes sont toujours allés se faire tuer. Ça n’est pas mieux. Théo avait dit oui, mais ce ne sont pas les femmes qui les envoyaient se faire tuer. Qu’en sais-tu ? avait répondu Valère. Sans doute avaient-ils peur pour leurs femmes et leurs enfants, et c’est pour ça qu’ils partaient tuer et se faire tuer.
Commenter  J’apprécie          20
[En hôpital psychiatrique] Il y a aussi les assommés. Ceux qui bougent comme pris dans une lenteur infinie, dans un mélange de coton, de plâtre et d’ailes de mouche, les bras ballants, le regard qui s’évase et ne fixe rien, comme s’il se dissolvait dans l’air et la tristesse. Chaque seconde semble les plonger dans une totale perplexité. À chaque seconde : transporté en bas d’un Everest à franchir. Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce que je fais là dans ma vie, dans cette vie-là ? Dans un monde qui existe et bouge, où il y a des portes, un ciel, des gens qui fonctionnent et ont l’air de savoir ce qu’ils font et de se diriger vers des lieux ? Ils ont cette expression, ces alentis ; mais ils ne pensent pas tout ça, ils ne se posent aucune question. Ils traversent des murs transparents, et encore, et encore, l’un après l’autre, des immensités de murs transparents, des cloisons de poussière, l’un après l’autre, et derrière il n’y a rien, rien qui les attende, savent-ils, qu’un autre mur transparent à traverser, vers rien.
Commenter  J’apprécie          20
Dans la liste, à côté de certains noms, sont inscrites les initiales P. A. Je me demande ce que cela désigne jusqu’à ce que je lise une phrase d’explication sur une autre feuille : Beaucoup de ces filles sont des éléments très pervers et actives dans leur perversité : P. A. – Perversion active. L’homosexualité, toujours. Parmi celles qui devraient aller dans les établissements les plus cléments, les moins sévères, cinq noms sont mis de côté, séparés des autres : des mineures condamnées pour crime. Elles ont atterri là à cause d’un manque de place, de structure, ailleurs. Dans ces criminelles, il y a une empoisonneuse qui a tué un bébé qu’elle gardait, une parricide, deux donneuses de maquis responsables du massacre de la ferme de la Fosse, dans lequel trois parachutistes anglais ont été tués par des SS, avec la fermière qui les cachait et son fils, avant d’être brûlés, et une collaboratrice des criminels français de la Milice. Ce n’est pas l’inspecteur qui détaille leurs méfaits, je les découvre dans d’autres documents historiques. Ce qui lui importe ici, c’est leur attitude impeccable, leurs bonnes mœurs, elles risquent la mauvaise influence des filles qui disent des gros mots ou tiennent tête aux surveillantes : leur tenue est bonne, leur comportement apprécié, elles ne devraient pas, juge-t-il, être contraintes de côtoyer la catégorie des P. A. Jeunes filles convenables, elles doivent être préservées de l’influence délétère des autres, celles qui s’embrassent la nuit.
Commenter  J’apprécie          20
Elle raconte aussi la punition d’une de ses camarades, Marguerite, mise au cachot pour s’être battue : la jeune fille d’abord résiste, en tapant à la porte avec ses pieds, allongée sur le dos car elle a les mains attachées. Le gardien se jette sur elle parce qu’elle l’a injurié, lui donne des coups de pied dans le ventre et « la camisole ». Quand on serre les manches très fort dans le dos et que l’on comprime le buste, explique le journaliste, la camisole est un véritable supplice. J’ai vu, accrochée à un mur, dans une exposition sur l’histoire de la jeunesse délinquante, l’une de celles qu’on utilisait dans ces établissements : énorme, épaisse, avec des liens de cuir. À la voir, on se sent devenir fou. À la voir, on a envie de se taper la tête contre les murs. Marguerite n’est délivrée que lorsqu’elle est violette. Après quoi elle fait soixante jours les mains attachées, obligée pour manger de s’étendre par terre. Du pain sec, qu’elle doit laper comme fait un chien dans son écuelle. Au bout de deux mois, on l’extrait du cachot : elle était blafarde mais elle était matée.
Commenter  J’apprécie          21
Certaines d’entre elles sont bien de petites délinquantes, comme Jacqueline, fille de ferme, qui a volé quelques centaines de francs pour aller rejoindre son amant, ou Marcelle, employée de maison qui a subtilisé des vêtements de sa patronne. Issues de familles moins pauvres, ou si elles avaient paru plus convenables, elles auraient été rendues à leurs parents après avoir été grondées. D’autres mineures se sont prostituées – ce qui n’est pas, à l’époque comme aujourd’hui, un délit pénal. Pour cela, il suffit parfois d’avoir accepté les cadeaux d’un amant ou d’un soldat américain, ou d’avoir partagé son hôtel. Beaucoup ont été coffrées pour vagabondage : une notion floue dépénalisée en 1935 qui, concernant les mineurs, permet à la justice de sanctionner les fugues par un placement en institution jusqu’à la majorité, surtout si elles sont aggravées par des suspicions de prostitution ou seulement une tendance à la « débauche » : fréquentation de bals, fêtes foraines, guinguettes, cafés, dancings, liaisons avec des garçons, avec un homme jugé louche, ou parfois, encore pire, un homme nord-africain. Un juge peut donc décider d’enfermer en institution corrective toutes ces adolescentes, qui ont très souvent fui la violence familiale, des abus sexuels ou la grande pauvreté. On commence à utiliser la notion fourre-tout de « prédélinquance. » Selon leur attitude, on peut les y laisser jusqu’à leur majorité, les remettre à leurs parents ou les placer chez des employeurs, le plus souvent comme bonnes à tout faire, « domestiques de peine » ou gardes d’enfant avec interdiction de quitter leur emploi. Avant les vingt et un ans, la majorité, il n’y a pas de limite à la mainmise du juge. La décision est même parfois prise à la demande des parents mécontents de la conduite de leur progéniture, au titre de ce qu’on appelait « la correction paternelle ». Ce sont donc dès le départ avant tout leur moralité, leur comportement, leur milieu d’origine jugé déficient ou dangereux, qui valent à ces mauvaises filles d’être à l’ombre, pas les délits qu’elles ont ou n’ont pas commis, ni les articles du Code pénal. À Fresnes comme ailleurs, certaines sont ainsi enfermées depuis plus de dix années et, avant ça, derrière les murs depuis l’enfance, élevées dans des couvents, des « refuges ».
Commenter  J’apprécie          20
Lorsque j’étais journaliste, j’étais plutôt une mauvaise journaliste car j’avais toujours peur de déranger les gens, d’être indiscrète ; mais en exerçant ce métier, j’ai tout de même appris que c’est en bougeant son cul et en discutant face à face que l’on apprend des choses qu’on ne soupçonnait pas. Sinon, on ne tombe que sur ce qu’on cherche, sur ce qu’on croit déjà savoir.
Commenter  J’apprécie          10
Clermont accueillait deux sections, l’une située dans le donjon, où l’on mettait les criminelles condamnées et les jeunes filles punies des autres maisons de redressement. L’autre était l’école de préservation, qui deviendra l’IPES. Quand les pupilles étaient punies, on les envoyait également au donjon ; de toute façon, le traitement entre les sections différait peu.
Commenter  J’apprécie          10
À Fresnes, en 1947, est incarcéré Xavier Vallat. Xavier Vallat, antisémite de toujours, antisémite à jamais, commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy jusqu’en 1942, décisionnaire et exécutant de la seconde vague de persécutions antisémites instaurées par le régime de Vichy, et du recensement qui permettra plus tard – mais jamais il ne s’en sentira responsable – de les rafler pour les assassiner après un chemin de torture. Il prépare sa défense, développe son argumentaire, ameute des témoins de moralité. Il sera condamné à dix ans de travaux forcés, ne fera que trois ans de prison.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Dorothée Janin (111)Voir plus

Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11181 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur cet auteur

{* *}