Payot - Marque Page - Pierric Bailly - La foudre
Je ne parlais pas un mot de français. Je parlais le bosniaque la langue de mes parents, et l’italien, car je suis né en Italie, où mes parents se sont réfugiés au début de la guerre d’ex-Yougoslavie. Mais je n’ai pas pour autant la nationalité italienne, car en Italie le droit du sang prime sur le droit du sol. Et je ne suis pas bosniaque non plus car en Bosnie c’est le droit du sol qui prévaut. Je suis donc italien pour les Bosniaques et bosniaque pour les Italiens.En France où je vis depuis plus de vingt ans, je suis considéré comme apatride, comme si j’étais né sur un bateau en pleine mer.
( Ceux sont les mots d’un jeune Sdf qui dort sur l’Esplanade du musée des Confluences à Lyon)
C’est toujours facile de s’emballer quand on est extérieur, on ne vit pas les choses, on n’est pas vraiment concerné, on ne souffre pas de la même manière, et puis on n’aura pas à assumer les conséquences de nos réactions et de nos actes, alors on adopte une position radicale, on joue les durs, et on ferait mieux de se taire, car on est souvent de mauvais conseil.
Tout va trop vite autour de moi. Je n'y arrive plus. Je n'ai plus l'habitude. Je ne sais plus communiquer. Je ne sais plus vivre avec les autres.
Finalement je suis comme le raciste qui déteste tous les Arabes sauf son voisin, moi je déteste tous les racistes sauf ma mère.
En psycho on devait être trois mecs pour deux cents filles. Je me souviens d’une soirée où j’ai dit à un type que je faisais psycho, il en est resté bouche bée pendant plus de dix secondes, estomaqué par ma réponse. Puis il a fini par s’exclamer : mais oui, t’as tout compris, toi, oh, le petit malin, en plus ça marche à ce que je vois, bien joué mon gars. Là, il regardait en direction de Jenny, et quand je lui ai annoncé qu’on se connaissait d’avant, qu’on ne s’était pas rencontrés sur les bancs de la fac mais au collège, il a repris sa tête de poisson crevé. Il venait de trouver la seule raison pour un mec d’aller en fac de psycho, et finalement non, ce n’était même pas pour ça que j’y étais.
C'est ça la bascule de la quarantaine. La période de l'enfance et de l'adolescence qui s'amenuise. Non seulement on s'en éloigne, mais au regard de tout ce qu'on a vécu ensuite, l'enfance et l'adolescence paraissent de plus en plus concises. Ça reste des moments fondateurs mais des moments qui n'ont pas duré aussi longtemps qu'on le pensait.
Tu te rends compte, à cause de l'honnêteté maladive de leur père, je suis en train de faire de mes enfants des menteurs patentés.
Car j'ai toujours un temps de retard sur l'actualité, un temps relativement important, six, huit, dix mois. Jusqu'ici ce décalage ne me gênait pas, je pourrais même dire qu'il m'allait bien, comme si, du fait de mon isolement, les informations mettaient plus de temps à me parvenir.
Je cherche surtout à protéger ma petite personne des effets néfastes de cette histoire, car sa noirceur pourrait me contaminer et me fragiliser.
Quand on y pense, l’influence de ce type sur ma vie est démente. Ce type avec lequel je n’ai rien partagé d’important et que j’ai finalement peu fréquenté est à l’origine de tous les tournants décisifs de mon existence.