Elsa Godart vous présente son ouvrage "
Les vies vides : notre besoin de reconnaissance est impossible à rassasier" aux éditions Armand Colin.
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les-vies-vides-notre-besoin-de-reconnaissance-est-impossible-a-rassasier
Note de musique : © mollat
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(…) ce n’est plus la réalité qui inspire l’appareil photo mais l’appareil photo-téléphone-connecté qui la crée et la restitue par l’image. Ce n’est plus l’oeil de l’homme qui tente de rendre compte de sa vision du réel ; mais l’oeil de la camera, de la technique, qui organise la vue et réinvente le réel qui va avec.
Puis ce fut le trou noir. Ce trou sans fond dans lequel on tombe quand la vie bascule, ce trou comme un vide qui absorbe et qui terrasse.
Vivre est un fait quand exister est une idée ; vivre ne demande aucun effort,
quand exister suppose d’y travailler ; vivre c’est respirer la simplicité ; exister, c’est expirer de complexité. Vivre m’est donné, exister est à gagner. Exister suppose le fait de penser et d’être en lien avec le monde, avec l’autre.
Réduire la part la plus immatérielle (sentiment, émotion, pensée) du sujet humain à un calcul (une rentabilité, une somme, une valeur marchande, une efficacité, une productivité) dans le but d'en faire quelque chose, afin qu'au regard de l'évaluation sociale, il ne soit pas rien, c'est paradoxalement réduire à néant tous les espoirs humains.
(…) le selfie est questionnement identitaire, expression d’un corps métamorphosé qui échappe inlassablement à la saisie objective de son auteur. Le selfie se présente comme une tentative de réponse aux troubles que constitue la représentation de soi. Cette mise en scène du corps est aussi révélatrice des manques du sujet, ou de ce que nous pourrions appeler ces "ratages". Dans sa difficulté à exister, son impossibilité à affirmer sa singularité, le sujet se disloque, s’éparpille, se perd lui-même. L’acte selfique vient alors, en quelque sorte, rassembler le sujet morcelé, éclaté, l’écran se substituant au cadre contenant capable de le maintenir dans sa position. Cela passe par le corps. Un corps chosifié, réduit à sa pure représentation, tout entier dédié à la jouissance narcissique et au self-ego.
Sans regard extérieur point de culte du moi. Il faut supposer une civilisation de spectateurs pour rendre une possible une société narcissique.
Parce que, pour être tout à fait humain, il faut avoir le courage de vivre sans jamais avoir la certitude d'exister.
Construire en lieu et place de produire et ne plus être un produit mais devenir un lien.
Pour autant, ce ne sont pas ces aspects connus ou plus techniques du vide qui m’intéressent, mais plutôt un sentiment spécifique qui plane dans l’air ambiant de nos vies cybermodernes.
Ô selfie magique, dis-moi que je suis la plus belle… Mes mille amis Facebook, assurez-moi ce matin que mon existence est bien réelle par vos like à répétition." À cause de ce besoin de reconnaissance, nous avons perdu une liberté : celle qui consiste à être librement nous-mêmes sans chercher à plaire par peur de décevoir ou d’être rejetés ; d’être disliked, comme nous serions disqualifiés dans ce théâtre des représentations.