les mensonges que l'on se fait à soi-même sont de fines couches de papier. Inoffensives. Un bout de journal déchiré, section faits divers de préférence. Il n'a l'air de rien, il se laisse oublier, le temps fait son oeuvre. Et puis les couches de papier s'accumulent, se collent les unes aux autres jusqu'à obtenir la consistance rigide du papier mâché. Une forme solide et rugueuse au toucher qui peut prendre l'aspect grotesque d'une figure de carnaval. Un sourire un peu trop figé, un regard un peu trop hautain. le problème est qu'il est difficile , voire impossible de décoller cette masse, couche après couche pour revenir au mensonge originel, source du dysfonctionnement.
...la folie, quand on a 17 ans, c’est tout ce qu’on aime. On abolit les limites. Plus rien n’a d’importance : ni l’heure, ni le nombre de verres, ni la vitesse qui s’affiche au compteur. Comme si on refusait de croire qu’on atteindra bientôt la fameuse balise, celle qui vous rend seul responsable de vos actes.
Le compte à rebours a commencé. Dans 4 jours, Solveig De Vito atteindra la majorité. Elle profite de ce sursis pour s’en griller une. Elle se hisse sur le rebord de la fenêtre de sa chambre située au premier étage, se moquant de la hauteur, son dos contre le mur chaud, genoux pliés et pieds calés de l’autre côté de l’embrasure. Elle aime ce léger vertige. Elle s’est encore éraflé le genou en grimpant. Elle lutte contre le vent pour faire jaillir la flamme du briquet sous la paume de sa main gauche. Enfin la cigarette rougeoie. Ses joues se creusent quand elle inspire. Des mèches folles, trop claires pour être innocentes, s’échappent de son chignon et virevoltent comme des serpents. Elle prend une taffe et la retient dans sa bouche. Face à elle, la Sainte-Victoire la nargue dans la lumière rosée du coucher de soleil.
Le silence, c'est d'abord un pacte que l'on signe avec soi-même, pour oublier, se mentir, ou s'inventer un arc-en-ciel.
Ouvrir les yeux, c'est accepter de se mettre en danger. Ouvrir les yeux, c'est arrêter d'avoir peur et accepter que ça va faire mal. La vérité fait mal.
Comment grandir dans cette contradiction : l'envie d'être aimée et le besoin de solitude ?
Je me repasse la scène et je m'imagine des scénarios parallèles. Que se serait-il passé si j'avais hurlé, si j'avais crié à l'aide, si j'avais parlé ? Mais non. Je me suis tu. Erreur fatale.
Tu es jeune, tu as la vie devant toi. Je déteste cette phrase. Pour moi la vie, c’est un océan. Je ne vois que des vagues immenses prêtes à m’emporter. Le danger est magnétique.
Elle se souvient de l'adolescence comme le temps des amitiés passionnelles : on se promet fidélité, à la vie, à la mort. On juge de tout se dire. Les confidences et les secrets partagés créent des liens indéfectibles. Seuls le temps et la distance finiront par les gommer. Dans l'effervescence de l'adolescence on ne conçoit pas que l'oubli soit possible.
Et la réalité, ce n'est pas un dessin animé. La réalité a le parfum du sang et de la sueur. Le goût des larmes et de la froideur de la pluie.
Retenir son souffle, c'est retenir l'instant, maîtriser le présent. On peut donner l'illusion d'être mort ou vivant.