Le nouveau livre du Manu Cauchy aux éditions Glénat: "Frisson fatal"
C'était encore l'époque héroïque du "brancardage héliporté" consistant à saucissonner au plus vite le blessé dans une civière en ferraille que l'on surnomme la "perche", en misant sur le froid, le vent et le vacarme de la machine pour étouffer ses hurlements, puis à le larguer au plus près de l'hôpital. Le soutien médical était à la hauteur des moyens que le corps médical était en mesure de fournir, c'est à dire qu'il ne volait pas bien haut. Participait aux secours, tantôt un ophtalmologiste, tantôt un psychiatre aux yeux duquel la montagne était un décor idéal pour des réflexions existentielles que l'on sait d'un grand réconfort pour les polytraumatisés ! Le toubib était là pour la déco, une sorte de label que l'on exhibait à l'occasion des cérémonies.
Je suis arrimé à la paroi de glace par un abalakov. C'est une astuce d'amarrage théoriquement inarrachable, qui consiste à faire, à l'aide d'une broche à glace, deux trous cylindriques qui se rejoignent en leur extrémité. Avec un petit crochet, il est possible d'y glisser une cordelette avec laquelle on forme une boucle qui joue le rôle de relais ou d'anneau de rappel. Pendre sa vie à un minuscule cordon noué autour de quelques centimètres cubes d'eau glacée... Il faut l'avoir vu pour le croire.
Bien qu'il paraisse évident aujourd'hui d'associer un médecin aux missions de secours, nous avons dû remuer des montagnes pour le faire admettre. Je me demande encore parfois s'il n'y a pas qu'à nos yeux que la chose reste évidente... On a parfois la sensation désagréable que l'argent ne viendra pas tant qu'un ministre ne se sera pas éclaté la tête contre un sapin !
Quand j'étais petit, je voulais devenir vétérinaire. J'adorais les bestioles, et à part deux ou trois cabots qui m'avaient lâchement croqué les mollets par-derrière, les animaux m'aimaient bien. Je récupérais tous les oiseaux malades, même en phase terminale, et je leur faisait avaler de l'aspirine, sans avoir aucune notion des doses toxiques. Peu ont survécu !
Je laissai donc tomber le foot et me mis au boulot pour faire médecine. En écrivant ces lignes, j'essaie de m'imaginer dans la peau d'un footballeur, en train de me rouler par terre en me tenant le tibia pour que l'arbitre sorte un carton jaune. Non, vraiment, j'aurais eu honte !
Lhakpa vient de la ville et, de prime abord, l'austérité du haut Dolpo lui est aussi naturelle qu'un bordel de Singapour à une nonne.
Jamais je ne comprendrai ce qui nous attire dans cet univers si pervers. La beauté, l'espace, l'effort, le danger... une raison d'exister ?