Pour la sortie de leur livre René Desmaison et Christian Brincourt sont réunis à Chamonix pour raconter des histoires de montagne.
Je me suis toujours senti extrêmement fragile face aux éléments : d'un côté, un squelette avec de la chair autour ; de l'autre, les forces auxquelles on se frotte, le rocher, la glace, la tempête.
René Desmaison, un passionné, un sportif de très haut niveau, un guide mais aussi un amateur dans le sens de celui qui aime comme au premier jour. J'aime sa compétition avec Walter Bonatti pour la première hivernale de la Walker en 1963. J'aime sa voie superbe à la Pointe Marguerite. Avec Jean Couzy il formait une cordée vraiment extraordinaire. Sa voie à l'Olan est majestueuse.
René Desmaison, un géant ? Non simplement un alpiniste passionné qui est allé au bout de ses rêves.
Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière .
texte cité Baudelaire P301
Tout passe, même la nuit, même la vie…
Alain Frébault me répondra :
" Ce que j'ai fait un autre aurait pu le faire "
Mais il la fait, là est la différence. Elle est de taille.
P178
Au septième jour d'ascension, lors d'un relais:
" Sous mes pieds, à la verticale, la vue est saisissante. Je vois à nouveau le bas de la paroi. Tout est grandiose. Les parfaites proportions de la montagne suppriment toute notion de vide, de vertige. Nous sommes incorporés à ce vide. Sur l'océan, les marins ne voient pas les profondeurs des bas-fonds. Ils en perçoivent peut-être la présence, mais le combat se passe à la surface, au milieu de l'ouragan et des lames déferlantes. Pour nous, il en est de même. Le combat est là, à la surface du granit glacé, dans la tourmente qui bientôt se lèvera."
Glaciale et grise, traversée de courtes rafales de neige arrachée à la cime, c’est l’aube du onzième jour. Tout passe, même la nuit, même la vie… Serge est de plus en plus mal. Ses lèvres, son nez sont gonflés par le froid. Il ne sent rien, ne souffre pas. Il a faim et soif. Les vivres sont épuisés. Il ne nous reste plus rien. Juste un peu de gaz. Encore un demi-quart d’eau, et le réchaud s’arrête définitivement. Très doucement, je verse l’eau tiède entre les lèvres de mon compagnon.
Je n’éprouve moi-même aucune soif, aucune faim. Mon estomac est serré, dur comme une pierre. Je le sens douloureusement. L’angoisse ne me quitte plus. S’il ne se passe rien aujourd’hui, Serge est perdu. Pourra-t-il seulement tenir encore une nuit ?
Que font-ils dans la vallée ? Hier, il faisait beau. Ils ont bien vu que nous étions là, immobiles, bloqués sur cette minuscule corniche.
Quelle heure peut-il être ? Est-ce encore le matin ou déjà l’après-midi ?
Serge ne peut rester plus longtemps comme ça. Je dois partir chercher du secours. Aller au-devant de ceux qui montent peut-être par le versant sud. Descendre dans la vallée réunir des amis. Venez m’aider, Serge va mourir.
Sur l'océan, les marins ne voient pas les profondeurs des bas-fonds. Ils en perçoivent peut-être la présence, mais le combat se passe à la surface, au milieu de l'ouragan et des lames déferlantes. Pour nous, il en est de même. Le combat est là, à la surface du granit glacé, dans la tourmente qui bientôt se lèvera.
La mort ne fait pas de cadeau. Elle est inexorable, sans merci. Il faut l'empoigner, la repousser à pleins bras, à pleine poitrine.
Le soleil s'était couché rougeoyant. Des flots de nuages venus du versant amazonien s'étendaient maintenant sur la vallée de Llanganuco, comme un grand lac brillant sous la lune déjà haute.