Un petit livre original sur la "folie" des Grecs - qui n'étaient pas si raisonnables que l'on croit.
L'atê, délégation du sentiment de culpabilité, justifie ou du moins explique souvent chez Homère l'irrationalité des comportements humains et révèle que la société grecque est une civilisation de la honte.
Platon classifie les types de folie dont il fait l'éloge dans son Phèdre et sa psyché, qui forme la personnalité, n'est rien sans sa part inspiré par le daimôn.
D'ailleurs, les rêves, en Grèce, n'étaient pas interprétés tellement différemment de la manière dont le fera Freud.
Orphéet et Pythagore auraient peut-être bien été des chamans.
Et l'on en vient à se demander si le mouvement de rationalisation grec, que l'on pourrait bien nommer par anticipation Aufklärung, n'aurait pas été une réaction à cette folie archaïque.
Quant aux raisons de son déclin et de son effacement de l'Histoire, voilà qui promet d'interroger les historiens encore longtemps.
Les magiciens, le ménadisme et la théurgie auront en tous les cas résisté à la période rationalisante de la Grèce antique.
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Bon livre, simple à lire et intéressant, qui traite de comment les Grecs de l'Antiquité envisageaient l'irrationnel, dans le sens assez général de « ce que la raison n'explique pas », ce qui, selon les cas, peut s'approcher du « sentiment religieux / spirituel » ou concerner la magie, la folie, les oracles. Les chapitres suivent une logique chronologique qui couvre une période qui va en gros de Homère jusqu'aux premiers siècles après JC (néo platonisme, stoïcisme).
Les deux premiers chapitres (un peu technique) m'ont évoqué le Japon (peut-être cet esprit où le groupe prime sur l'individu qui m'a fait penser au Sabre et le Chrysanthème). Suit la folie dionysiaque et les songes, les oracles. Puis un chapitre sur l'influence du chamanisme et comment les Grecs l'ont réinterprété à leur manière (pythagorisme, orphisme, métempsycose…). Suit l'époque classique qui voit se distendre un rationalisme d'élite et une superstition des masses, que les 2 derniers chapitres illustrent avec la tentative de synthèse ratée de Platon d'une part et le pourrissement routinier des traditions & rites d'autre part, pratiques devenues anonymes dans un monde devenu individualiste (effondrement interne qui précède le christianisme). Enfin 2 appendices : l'un sur les ménades et l'autre sur la théurgie.
L'auteur termine en disant qu'il a évité les parallèles contemporains (le livre est écrit en 1950) bien qu'il ait eu la situation de l'époque constamment à l'esprit (qu'aurait-il pensé de celle d'aujourd'hui…).
Pour terminer sur une note plus légère, cet inattendu passage du chapitre sur la divination (du Bouvard et Pécuchet pur jus) : « le professeur Oeusterreich, dans l'intérêt de la science, mastiqua un jour une grande quantité de feuilles de laurier : il fut déçu de ne pas se trouver plus inspiré qu'à l'ordinaire ».
Sur la forme : il y a beaucoup de notes, regroupées en fin de chacun des 8 chapitres, si bien que le livre est assez court (~200 pages hors notes). La majorité des citations en grec ou en latin sont traduites en français.
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