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Citations de Eva Illouz (137)


Dans son étude sur la culture des « coups d’un soir » à l’université, Lisa Wade montre que le capital sexuel - la capacité à attirer des partenaires pour une aventure - du sujet dépend essentiellement de ses disponibilités affectives. En s’appuyant sur les récits de la population étudiante elle-même, Wade rapporte que le détachement et le désengagement émotionnel sont la véritable monnaie d’échange du sexe récréatif. En dépit des souffrances émotionnelles significatives qu’entraine sur le long terme ces arrangements, les acteurs de ce champ doivent se doivent tout de même d’afficher leur désinvolture et leur indifférence : « la désinvolture n’était pas seulement normative, elle était aussi connotée sexuellement. Plus les étudiants montraient leur détachement, plus ils pouvaient prétendre à un statut érotique élevé. L’inverse n’etzit pas seulement pathétique, mais tue-l’amour. » ( p 58 )
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Le capital sexuel est opérant dans un ordre social et politique appelé néolibéralisme, notion fourre-tout qui décrit une responsabilisation accrue de l’individu face à un marché de plus en plus dérégulé. Pour agir de manière optimale dans le marché, cet individu hautement responsable doit mobiliser son appareil psychique, y compris ses ressources sexuelles.
Ces trente dernières années, les sociologues ont mis l’accent sur la nécessaire revitalisation de l’analyse de classe, afin de bien rendre compte des périls de la néolibéralisarion. Beaucoup d’analystes ont avancé que la classe n’est pas juste une force structurelle et objective venue d’en haut. Ils ont notamment affirmé qu’elle est aussi psychologique, au sens où elle atteint la subjectivité même, dans l’experience de vivre un corps et des émotions. Pourtant, la recherche sur le rôle joué par la subjectivité dans la formation et la reproduction des classes est peu développée. Des travaux prometteurs sont toutefois en cours sur les métiers « passion », artistiques, créatif ou culturels, où l’investissement psychologique est très fort. Des études convaincantes ont montré il y a peu que les sujets de la classe moyenne exerçant des métiers créatifs n’envisagent pas de « dehors » au travail. Ce dernier, devenu extrêmement précaire, instable et exigeant donc un très fort degré d’empressement et d’aptitude de la part du travailleur, fonctionne comme une expression profonde du moi authentique. Par conséquent, l’employabilité est précisément conditionné par le niveau d’engagement personnel et d’investissement psychologique « passionné ».
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Pour résumer, nous identifions un début d’évolution dans le mode de coordination du capital sexuel comme plus-value du corps, principalement dans l’effacement progressif des frontières entre le travail du sexe et le travail prétendument légitime, où le corps sert de surface sexuelle et où une présence est monétisée parce que sexualisée. Dans certains segments de l’industrie du sexe – principal lieu de production de cette forme de capital –, le travail du sexe se rapproche de l’emploi de service ordinaire. Cela signifie que l’exploitation directe et l’aliénation du travail deviennent moins problématiques pour les travailleuses et travailleurs du sexe concernés.
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Les individus satisfaits qui s’attribuent fièrement le « mérite » de mener une vie heureuse se sentent ainsi habilités à blâmer les autres , à leur imputer la responsabilité de leur état, sous le prétexte qu’ils n’auraient pas fait les « bons choix », qu’ils se montreraient incapables de s’adapter face à l’adversité, incapables de faire preuve de flexibilité – de cette flexibilité si nécessaire, prétend-on lorsqu’il s’agit d’envisager les échecs comme autant d’occasions de s’épanouir personnellement. Les personnes qui souffrent n’ont donc pas seulement à porter le fardeau de leurs affects : il leur faut aussi porter celui de la culpabilité – celle de ne pas être en mesure de surmonter les difficultés auxquelles elles ont à faire. La tyrannie de la positivité nous incite à envisager la tristesse, l’absence d’espoir ou le deuil comme autant d’états non seulement bénins mais aussi fugaces que nous ferons disparaitre à la condition de nous en donner la peine. Une telle vision des choses laisse accroire que la négativité peut et devrait disparaitre sans laisser la moindre trace dans la psyché. Cette manière de toujours envisager le seul versant positif conduit, en dépit des bonnes intentions qui y président, à une profonde incompréhension de ceux qui souffrent véritablement, à une profonde indifférence à leur égard, et conduit enfin à masquer cette incompréhension et cette indifférence.
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Réprimer les émotions et les pensées négatives ne contribuent pas seulement à justifier des hiérarchies sociales implicites et à consolider l’hégémonie de certaines idéologies. Ce type de répression délégitime et banalise également la souffrance. Cette volonté obsessionnelle de transformer une négativité jugée improductive en positivité considérée comme forcément productive ne rend pas seulement indésirables des émotions comme la colère, l’angoisse, le chagrin : elle en fait des affects stériles, inutiles, « pour rien », comme le disait Levinas .
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La tyrannie de la pensée positive nous incite à croire au meilleur des mondes possibles tout en nous décourageant de concevoir le meilleur des mondes imaginables.
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Les détenteurs du pouvoir, quels qu’ils soient, affirment toujours que la réalité est de leur côté, non en raison de l’exactitude de leurs affirmations mais parce qu’ils ont le pouvoir de donner une apparence de vérité à ces affirmations.
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Si le surmené, le dépressif, la marginal, le pauvre, le toxicomane, la malade, le solitaire, le chômeur, si celui qui a fait faillite, celui qui a échoué, celui qui est opprimé, celui qui est endeuillé, ne mènent pas des vies plus heureuses et épanouies, c’est tout simplement, nous disent les apologistes de la psychologie positive, qu’ils n’ont pas fait suffisamment d’efforts.
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Enfin, la notion de résilience soulève d’importantes questions quant à la compréhension sociale et au traitement de la souffrance. Qu’en est-il de tous ceux qui souffrent de ne pouvoir se montrer résilients ou de ne pouvoir conserver une attitude positive face à l’adversité ? Qu’en est-il de tous ceux qui nourrissent le pénible sentiment de ne pouvoir être heureux ou suffisamment heureux et qui en conçoivent de la culpabilité ? Cette rhétorique de la résilience ne promeut-elle pas en vérité le conformisme ? Et ne justifie-t-elle pas implicitement les hiérarchies et les idéologies dominantes ? Cette manière d’en appeler fermement à conserver une attitude positive en toutes circonstances ne prive-t-elle pas de toute légitimité les sentiments négatifs ? Et ne fait-elle pas de la souffrance quelque chose d’inutile et même de méprisable ?
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[…] des émotions dites négatives comme la haine sont intrinsèquement liées à toutes les logiques d’action et réaction politique, et concourent à façonner le sentiment que l’on se fait de sa propre valeur, l’identité personnelle. En voulant les gommer de la psyché ou en faire des émotions uniment positives au nom de l’adaptation sociale, les apôtres de la psychologie positive nient la nature politique et la fonction sociale de ces émotions dites négatives.
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Se montrer positif en toutes circonstances ne sera pas toujours une bonne chose : le risque de dépression en sera augmenté en cas de déconvenues graves ; par ailleurs, la personne hyperpositive montrera souvent une propension au désengagement émotionnel, se révélant dans certaines circonstances peu empathiques pour autrui […]. D’autres ont également démontré que le comportement émotionnel positif, s’il peut augmenter l’empathie subjective, est souvent associé non seulement à une certaine diminution de l’empathie objective mais aussi à une forte tendance à la stéréotypisation ainsi qu’à des erreurs de jugement lorsqu’il s’agit d’expliquer son propre comportement et celui d’autrui (les personnes constamment positives auraient en effet tendance à ignorer les facteurs circonstanciels et à céder bien plus que les autres aux préjugés ).
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Autant dire qu’il n’existe aucun état précis – et a fortiori universel – susceptible d’être nommé sans ambiguïté « bonheur », pas plus qu’il n’existe d’état qui ne soit pas dans le même temps bon et mauvais, positif et négatif, plaisant et déplaisant, fonctionnel et dysfonctionnel.
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L’absence de bonheur est devenue synonyme de dysfonctionnement tandis que le bonheur, lui, est devenu le critère psychologique ultime de la vie saine, normale et fonctionnelle. Il est même permis de dire que la rhétorique du bonheur s’est progressivement appropriée celle de la fonctionnalité. Le bonheur est désormais la norme, et l’individu heureux, l’archétype de la normalité.
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Comme le suggère la philosophe Alenka Zupancic, cette manière d’associer bonheur et bonté est typique d’un discours désormais omniprésent s’attachant à propager ce qui nous semble être une « morale » d’une rare perversité. Une personne qui se sentirait bien (et heureuse) serait forcément une personne bonne, contrairement à une personne qui se sentirait mal (et malheureuse).
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Mais il se trouve que l’idéologie est souvent imperméable aux données et aux arguments qui ne vont pas dans son sens. Il en est apparemment de même du bonheur. Dans la mesure où le néo-libéralisme et le bonheur continuent de former un fort puissant tandem, toute critique sérieuse semble pour l’instant condamnée à rencontrer indifférence et désintérêt. Et c’est d’autant plus ce qu’il se passe lorsque rechercher le bonheur et s’élever socialement grâce à la pensée positive n’est plus considéré comme un impératif idéologique mais comme la manière la plus normale, désirable et fonctionnelle de vivre.
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La science du bonheur est extrêmement utile pour les organisations en général, qui cherchent à convaincre leurs salariés et leurs collaborateurs du bien-fondé de la flexibilité et de l’autonomie dans un environnement professionnel et économique dérégulé, précaire et soumis à la compétition. Il n’est donc pas étonnant que ces organisations aient accueilli favorablement le concept d’épanouissement, qui, fort commodément, permet d’expliquer la mobilité sociale par l’amélioration personnelle. Un postulat idéologique est ici d’une importance toute particulière : les sociétés seraient littéralement portées par des individus capables de se motiver tout seuls, qui ne se contenteraient pas d’envisager l’activité économique comme un moyen de mener une vie plus accomplie, mais qui contribueraient au développement de la vie économique en cherchant à atteindre les objectifs qu’ils se fixent, en cherchant à réaliser leurs rêves et à mener à bien, à leurs risques et périls, leurs projets de vie. Les organisations d’aujourd’hui ont fait entièrement leur ce postulat idéologique et sont naturellement friandes de tout ce qui peut venir l’étayer et le légitimer scientifiquement.
Edgar Cabanas et Eva Illouz, Happycratie, Premier parallèle, Septembre 2018, pages 189-190.
[…] si l’idéologie de l’entrepreneuriat a fait son apparition dans les pays riches et développés, c’est dans les pays où le taux de chômage est le plus élevé et l’économie la plus fragile qu’elle est véritablement omniprésente – donnée sociologique qui est assez peu mentionnée par ses propagandistes. C’est en effet sur les marchés du travail les plus sinistrés que les individus sont le plus fermement invités à se débrouiller par eux-mêmes. De fait, à en croire l’Approved Index, l’Ouganda, la Thaïlande, le Brésil, le Cameroun et le Vietnam se situent tout en haut du tableau des pays les plus acquis à cette idéologie.
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Le concept d'épanouissement personnel est un bon exemple de la façon dont l'idéologie du bonheur génère ses propres formes de souffrance – que nous avons par ailleurs pu analyser. L'individu qui fait de l’épanouissement son objectif s'expose en effet fatalement à de très divers dysfonctionnements pathologiques. C'est que cette idée d'un perpétuel développement de soi n'est qu'un mirage à l'horizon, une sorte de cible bien trop mouvante pour pouvoir être atteinte. L'impératif d 'épanouissement et d'amélioration a un effet paradoxal : il se révèle bien vite écrasant puisqu'il s'agit de s'évaluer en permanence, d'interpréter constamment ses actes, ses pensées et ses sentiments par rapport à un objectif qui s'éloigne toujours. En ce sens, de même que la poursuite du bonheur ne saurait être un antidote à la souffrance, l'épanouissement ne saurait être considéré comme l'exact contraire de la non-réalisation de soi. Si les récits censés promouvoir bonheur et amélioration de soi en engendrent en fait de tout autres, fait des souffrances et de cette incomplétude fondamentale auxquelles ils sont pourtant censés remédier, c'est parce que celui qui s’engage dans ce type de quête perpétuelle s'épuise rapidement, devient la proie d’obsessions et finit par être cruellement déçu. Combien de générations, à qui l’on avait dit que la solution aux problèmes de la personne passait par le développement de son véritable moi, se sont battues inutilement pour en arriver là ?
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Le plus important, c'est que le succès de ces applications ne démontre pas seulement qu'il est de plus en plus demandé aux individus de se prendre en charge en faisant de l' « auto-guidance », c'est à dire de se réguler sur le plan émotionnel ; il est aussi l'illustration de la promptitude et de l'enthousiasme avec lesquels ces personnes obtempèrent , en venant même à apprécier cette auto-régulation quotidienne. Dans les faits, il s'agit d'instruments de surveillance massive, et on aurait grand tort de s'en étonner. Les émotions, les « pensées », les « signaux » corporels et physiologiques sont en réalité ici utilisés pour construire des statistiques à grande échelle qui permettront de rechercher, prédire et définir à d'autres fins, principalement mercantiles et fort lucratives, des modèles comportementaux. Et on ne peut qu'être frappé par le nombre individus prompts à accepter une telle logique et à s'engager dans cette pratique quotidienne de la surveillance de soi au profit des grandes entreprises.
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[Le bonheur] est devenu la marchandise fétiche d'une industrie mondiale dégageant, grâce à l'offre et à l a demande croissante d'emodities (marchandises émotionnelles), toujours plus de milliards. Ces marchandises n'offrent pas seulement des moments de joie, de tranquillité, d'évasion, d'espoir, de réconfort, etc. Elles contribuent surtout à faire de la poursuite du bonheur un style de vie, une manière d'être et de faire, une mentalité à part entière et , en définitive, un modèle d'individualité qui est en train de faire des citoyens des sociétés néolibérales de véritables « psytoyens ».
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Les individus étant rendus entièrement responsables de leurs choix, des objectifs qu'ils se fixent et de leur bien-être, ne pas être heureux, ne pas être en mesure de se sentir heureux, est donc de plus en plus vécu comme une tare, une source de honte : le signe d'une volonté amoindrie, d'une psyché dysfonctionnelle et même d'un itinéraire de vie marqué par l'échec. Comme le souligne Gilles Lipovetsky, ne pas être heureux ou être insuffisamment heureux est aujourd'hui vécu comme une raison de culpabiliser, un indice d'une vie ratée.
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