Pour ces primaires démocrates, les candidats de l'aile gauche Elizabeth Warren et Bernie Sanders ont de grands espoirs. Pour comprendre leur positionnement entre populisme et socialisme démocratique, Fabien Escalona interroge le sociologue Federico Tarragoni, auteur de «L'esprit démocratique du populisme», et notre correspondant aux États-Unis Mathieu Magnaudeix.
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Repenser le populisme est donc devenu indispensable. Le mot est au cœur d'une controverse autour de laquelle se joue notre futur. Il est de ces moments historiques ou un mot cristallise l'avenir : la « démocratie » fut le premier de ces mots. Tout au long de la l'institutionnalisation des gouvernements représentatifs en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en France, le mot « démocrate » était, comme le « populisme » aujourd'hui, une insulte équivalente à « démagogues ». En le reprenant à son compte, une partie du système politique fit avancer la cause de la liberté, de la justice et de l'égalité. Avec le populisme nous nous trouvons dans une bataille similaire : une bataille d'idées ou les mots tracent les limites de notre condition démocratique, dans un moment où celle-ci se transforme profondément et rapidement, et peut avancer ou reculer.
Le populisme ne désigne pas des mouvements politiques sui generis, mais des configurations de crise au cours desquelles l'ordre institutionnel est critiqué au nom d'une radicalité démocratique, et les champs politique se recomposent, souvent pour une durée limitée. (pp.162-163)
Comment, dans des sociétés démocratiques qui privent de plus en plus les citoyens de leurs libertés fondamentales (se réunir, manifester, échanger, circuler, critiquer, etc.), peut-on regarder l’émancipation avec méfiance ?
"À chaque époque, écrivait Walter Benjamin en 1940, il faut tenter d'arracher derechef la tradition au conformisme qui veut s'emparer d'elle." (p.37)
La démocratie est, par définition même, un régime qui nécessite des crises, des critiques, des contestations, pour survivre. Car la promesse radicale d'égalité, de liberté et de justice contenue dans la politique démocratique n'est, par définition, pas réalisable; en ce sens, les démocraties comme régimes de gouvernement sont toujours incomplètes. (pp.116-117)
Dans les sociétés modernes, les individus ne se sont pas construits en s’émancipant de la tradition en tant que telle, mais des tutelles oppressantes qu’elle exerçait sur elles et eux : la tutelle religieuse, la tutelle familiale, la tutelle patriarcale, et ainsi de suite
Pour la première fois depuis longtemps, depuis Mai 1968 peut-être, l'écart entre les aspirations démocratiques des gouvernés et celles des gouvernants est devenue une brèche impossible à colmater. Nous traversons, à proprement parler, un moment populiste. (p.353)
Au contraire ce dont nous avons besoin pour l’avenir, c’est de rendre visibles, audibles et pensables les nombreuses tentatives d’émancipation qui voient le jour dans la vie sociale : non ce qui est doit être, mais ce qui est déjà là
La possibilité qu'au nom du peuple puissent s'arrimer des demandes démocratiques, comme cela a été le cas tout au long de notre modernité politique, est en train d'être évacué du champ du dicible et du pensable. (pp.51-52)
L’émancipation moderne met en jeu un conflit entre deux collectifs, l’un de dominants, l’autre de dominés : c’est pourquoi il n’y a pas d’auto-émancipation sans association, ni d’émancipation sans rapport au collectif