The Devil Takes You Home - Gabino Iglesias
Par exemple, pour ce qui est de mon arrivée aux Etats-Désunis, tout a commencé dans le club de Mexico, El Colmillo. Une boite assez mal fréquentée, surtout l'arrière-salle. Un peu comme une jolie fille avec un cul crade.
— Je sais pas où t’as vécu, tout ce temps-là, mais figure-toi qu’il y a beaucoup de gens qui peuvent pas blairer ton accent et ta couleur de peau. T’as la chance d’avoir des papiers, c’est déjà ça, mais t’auras beau te les agrafer sur le front, ça fera pas changer d’avis tous les racistes de ce pays, tu vois ce que je veux dire ? Avec cent mille dollars en poche et un costume sur mesure, tu vaudras toujours moins qu’un Blanc avec vingt dollars dans son portefeuille et un jean troué.
Je songeai que religion et violence allaient souvent de pair dans leur façon de flirter avec la mort, mais qu'à la fin, c'était systématiquement la mort qui remportait la partie.
– Oublie tout ce que tu crois savoir sur le trafic d’armes, le coupa Kevin. La drogue, ça rapporte beaucoup, mais c’est dix fois trop dangereux. Les cartels ont toujours besoin de flingues, et en quantité. Nous, on est là pour les leur fournir.
Je manquai m’étrangler. Ces deux "patriotes" faisaient partie intégrante du problème. Si la situation au Mexique était aussi catastrophique, c’était en grande partie à cause des fusillades constantes. Or, les armes impliquées dans ces fusillades provenaient de gens comme Kevin et Stevie.
Quand tu traverses la frontière, celle-ci conserve une partie de toi. Elle te coupe jusqu'à l'os, t'empêchant de cicatriser. Elle perfore des endroits qu'aucune lame ni aucune balle ne peut atteindre et elle te mutile d'une manière que tu ne peux pas comprendre.
– Voilà, Mario. Le prends pas mal, mais il faut avoir des papiers pour acheter des armes aux États-Unis. »
Des papiers… Il avait vu ma couleur de peau, et il était parti du principe que j’étais un immigré clandestin. Je me retins de lui loger une balle dans la tête.
« Je suis citoyen américain, répliquai-je.
– Tant mieux pour toi ! fit Stevie. N’empêche que t’es hispanique… ou latino, je sais pas comment on dit. Vous changez tout le temps de mot, on a du mal à suivre. Non pas que j’en aie quelque chose à foutre, d’ailleurs. Bref, les armuriers avec qui on bosse partiraient du principe que t’es de mèche avec les cartels.
On n'emporte rien dans la tombe, autant tout claquer quand on est vivant. Et puis, si la mort a décidé de vous prendre, elle vous prendra, que vous vous présentiez à elle à poil ou avec un costume Armani et une Rolex au poignet.
On était venus pour récupérer un véhicule rempli d’armes, et Brian se voyait proposer un boulot tandis que je me faisais traiter d’immigré clandestin. Une belle illustration du racisme systémique.
C’était tellement absurde que c’en était presque amusant. Et, en même temps, j’avais connu ça toute ma vie : à côté d’un Blanc en costar, mon niveau d’études et mon CV ne valaient rien.
Sauf que là, le Blanc en question était quand même un toxico transpirant aux yeux écarlates qui avait passé la journée à gober des cachetons.
Quand on t'enlève un être cher, non seulement l'illusion s'effondre, mais c'est comme si tu te retrouvais soudain jeté dans un cachot, entouré de murs oppressants. La haine devient un cancer qui te ronge de l'intérieur et le seul remède est la vengeance. Le sang. L'action. Les gens disent tout un tas de conneries sur la vengeance, mais comment quelque chose qui paraît si bon, si libérateur, et si légitime pourrait-il être mauvais ?
Je n'avais jamais compris comment on pouvait juger un être humain à sa couleur de peau ou à son origine. Un tel niveau de stupidité me dépassait.