Nous pénétrerons aussi dans l'assemblée radieuse des belles femmes dont le magicien a fixé sur la toile, avec tant de tendresse émerveillée, la vivante image. C'est le royaume des élégances chatoyantes, des gestes raffinés, des grâces subtiles, de toutes les séductions et de toutes les sensualités. On y voit, près des sources claires, dans la pénombre verte des arbres, percée par les flèches du soleil estival, les voluptueuses paresses des baigneuses, les étirements des membres alanguis par la chaleur; les blancheurs de leurs corps nus sous la chute des cascades; les contorsions passionnées des danseuses espagnoles, la troublante immobilité des marchandes d'amour de la Kasbah, aux joues tatouées, aux yeux peints ; les sourires chargés de promesses des ghizanes dont les lèvres sont rouges comme les fleurs qui incendient leurs cheveux; et d'étranges idoles brunes, parmi les reflets orangés des écharpes de soie tissées avec toutes les splendeurs de l'Orient, nous regardent énigmatiquement.
La religion du succès : C'est la seule devant les mystères et les dogmes de laquelle l'homme d'aujourd'hui consente à s'incliner, dont il accepte de suivre les rites et d'observer les commandements.
Elle a, comme toutes les religions, un clergé nombreux et puissant, une armée de missionnaires, des peuples et des peuples de fidèles et, comme toutes les religions, elle est jalouse de ses privilèges et de son autorité, intolérante, tyrannique, elle vit de la crédulité et de l'ignorance des masses, elle est l'ennemie déclarée de l'esprit d'examen.
LE MÉPRIS DE LA FORME
C'est une attitude fort bien « portée », en ce moment, dans les milieux littéraires et artistiques, tout comme le chapeau cloche par les femmes, le gilet de couleur par les hommes et la jaquette américaine par les personnes élégantes des deux sexe». Article ultra-select, « exclusif », last novelty : un écrivain, un peintre, un sculpteur qui s'en habille en vaut deux, etc. Ainsi vont les choses : le mépris de la forme est devenu un brevet de talent et une chance de succès.
Cela s'explique. Plus que jamais, les conditions de production de l'œuvre d'art, quelle qu'elle soit, sont dépendantes des exigences de consommation.
Comment l'action de tout cela ne serait-elle pas visible dans l'oeuvre d'un artiste, passionné de nouveauté, avide d'inconnu, comme celui-ci, et convaincu, par tempérament, si l'on peut dire, autant que par expérience, que la beauté est multiple, que le champ de la beauté est infini, illimité, qu'elle habite et règne partout, que rien n'existe au monde qui n'en recèle une parcelle, «Je n'ai jamais vu une chose laide dans ma vie », affirme Constable. N'entendez-vous pas Besnard en dire autant à chaque étape de ses conquêtes, à chaque fois qu'un horizon nouveau s'ouvre devant lui !
Le Prérapliaélitisme, affirmait Ruskin, n'a qu'un principe la vérité la plus absolue, la plus intransigeante dans toutes ses œuvres. Et il l'obtient en travaillant, jusqu'au joindre détail, d'après nature, et seulement d'après nature. Tout fond de paysage préraphaélite est peint en plein air jusqu'à la dernière touche, d'après un paysage réel. Toute ligure préraphaélite, quelque étudiée qu'en soit pression, est le portrait fidèle d'une personne vivante. Chaque accessoire, si infime qu'il soit, est peint de la même manière. Et l'une des raisons principales pour laquelle l'école a été attaquée si violemment par certains artistes est le grand soin et l'énorme travail qu'une telle méthode réclame de ceux qui l'adoptent, en comparaison du style lâché et imparfait admis actuellement.
La Vérité est qu'il n'y a pas deux formes d'art, l'un avec un petit a pour la jeunesse, l'autre avec un a majuscule pour les grandes personnes. Nous avons non pas le droit, mais le « devoir » de faire aimer le beau a nos enfants, de détourner de leurs yeux ce qui est laid, ce qui leur donne une fausse idée d'une oeuvre d'art. L'enfant aie plus souvent un goût instinctif que prouve le charme des petites compositions décoratives inventées par lui : le fait a été démontré par le dessin libre aujourd'hui en honneur dans nos écoles. Mais l'enfant est un imitateur et nous ne devons pas nous étonner qu 'il admire les Vilaines reliures reçues de nous en cadeau.
Constentin Guys est à l'ordre du jour.
Un important volume sur lui vient de paraître, sous la signature de M. Gustave Geffroy et la firme d'un de nos plus notoires bibliophiles ; une exposition de ses œuvres à eu lieu à la galerie Barbazanges et la Salle des ventes Voit ses lavis et ses aquarelles susciter les engouements prédits par Baudelaire. Succès récents, car il y a deux ans à peine un dessin de Guys valait communément cinq francs et un catalogue de librairie que j'ai sous les yeux, datant d'une vingtaine d'années, offre trois dessins, types de filles et de petits messieurs (sic) pour quatre francs!
Oui, si l'on nous apprenait à aimer la Beauté, sous toutes ses formes, les plus humbles et les plus simples, au lieu de s'en tenir à ses manifestations traditionnelles ; si l'on nous mettait à même de ! la découvrir partout où elle se trouve, — et elle réside, on peut l'affirmer, en bien des lieux, en ben des choses que nous ne soupçonnons point; si, par une éducation lente et large des sens et de l'esprit, on nous préparait à la ressentir plutôt qu'à la comprendre, à jouir d'elle plu loi qu'à l'analyser, en vérité le temps nous serait plus doux.
Les touches de son pinceau vibrent sur la toile avec la sonorité des phrases, miraculeusement révélatrices de passions, d'émotions, d'idées, sous la plume d'un parfait artiste verbal.
Sans confiance en la Police et la Censure qui, indulgentes jusqu'au scandale pour l'infamie, n'ont de sévérité que pour les fortes œuvres de morale sévère, n'ayant pas d'ailleurs des âmes d'accusateur public, nous mettons tout notre espoir dans la réforme individuelle, dans la sagesse, dans le goût, dans la vigueur généreuse du public que l'on calomnie en disant que, si on le gave de toutes ces objections, c'est qu'il les réclame.