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Critiques de Georg Lukàcs (4)
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De la pauvreté en esprit : Suivi de La légence ..

Y a deux textes là-dedans.





Le premier c’est « De la pauvreté en esprit ». Vous, lecteurs bibliques patentés, aurez bien entendu reconnu cette phrase de l’Evangile de Matthieu (5 :3) : «Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux ! ». WTF ? Eh ouais. Tu croyais que la sagesse allait te faire monter direct à l’éther ? Devoirs, éthique, droits, tout cela est forme et en tant que cela est forme, abstraction factice destinée à simplifier le trajet de nos actes à nos pensées, ce n’est pas la vie vivante, ce n’est que la poisse vie ordinaire. « La vie vivante se situe au-delà des formes, cependant que l’ordinaire se situe en deçà, et la bonté est une grâce : celle de pouvoir briser les formes ». Ne la demandez jamais, peut-être l’obtiendrez-vous. Beaucoup de philosophies et de spiritualités implicitement contenues dans ce beau texte. Simple bien sûr, on ne fait pas de l’hôpital qui se fout de la charité. Et pour la bonté alors ? Pas permise à tout le monde il paraît. « La bonté est le devoir et la vertu d’une caste plus haute que la mienne ». On se joue des contradictions : qui a dit que la simplicité d’esprit était simple à obtenir ? ça fait rire dans les chaumières.





Le deuxième texte est parfait, c’est la « Légende du roi Midas », avec une nouvelle version autour de la question : pourquoi tout ce qu’il touche se transforme en or ? Le texte se suffit à lui-même, en forme de récit initiatique ou peut-être simplement récit d’une destinée telle que nous en vivons tous une, même si nous n’en prenons conscience qu’à la fin. En voici un extrait qui en dit déjà beaucoup…





« Lorsque [le roi Midas] était toujours seul et qu’il ne manquait pourtant rien dans sa vie, lorsque le roi Midas était très jeune encore, et sa vie riche de possibilités insoupçonnées, alors chacun de ses instants était riches de miracles et des ombres de mystérieuses manifestations. Chaque minute était le sommet de sa vie, pourtant c’est de la suivante qu’il attendait le couronnement de sa vie. Il attendait que, de derrière le prochain arbre, surgisse la fée qui enfilerait en rang les perles de ses plus beaux instants, et lui expliquerait pourquoi, jusqu’à présent, il parcourait toujours seul les forêts et les bords de mer. Lorsque le roi Midas était encore tellement jeune, il aperçut un jour la fée, par une nuit de clair de lune, au bord de la mer. Le roi Midas allait seul, alors, et la nuit était pleine de merveilles. Et la fée était seule aussi, assise seule sur un rocher au bord de la mer, et elle chantait. Et sa voix sonnait comme un appel, et portait en elle de grandes solitudes, et l’accompagnement de la mer mugissant à ses pieds venait de loin aussi et se mélangeait à sa voix comme si une divinité inconnue le lu avait commandé. Et le roi Midas écoutait longuement la fée et la regardait, la regardait longtemps et avait envie de la regarder dans les yeux, de lui prendre la main et de lui demander pourquoi elle était assise là toute seule et pourquoi elle chantait au bord de la mer, et pourquoi il parcourait lui, jusqu’à présent, toujours seul les forêts. Et le roi Midas ne chantait plus jamais, car la forêt était emplie aussi de la musique de la voix de la fée, et derrière chaque arbre il croyait la voir, toute proche, si proche qu’il n’avait qu’à tendre la main pour l’attirer vers lui, et lui poser les questions auxquelles il attendait, depuis si longtemps, une réponse. Et ses instants n’étaient plus remplis de merveilles et de bigarrures fugitives.

C’est pourquoi le roi Midas s’exila. Il avait conçu de la haine pour ses forêts et ses bords de mer, il voulait partir en terre étrangère, là où les instants apportent de nouveaux miracles et non les rayonnantes monotonies d’un chant. […]

« Pourquoi me quittes-tu, roi Midas ? Pourquoi ne veux-tu plus entendre mon chant ? Pourquoi ne viens-tu plus, la nuit, au bord de la mer ? Pourquoi pars-tu en terre étrangère ? Puisque c’est moi que tu cherchais toujours dans la forêt et mon chant dans le mugissement de la mer. Pourquoi me quitter maintenant, alors que tu m’as trouvée ? » […]

Mais une terreur sauvage envahit l’âme du roi Midas, il s’arracha aux tendres bras et répondit brutalement :

« Que veux-tu de moi ? Je ne t’ai jamais cherchée ! »

Et la fée le supplia :

« Ne dis pas que tu ne me cherchais pas, puisque je sais que tu m’as toujours attendue, que, sans mon chant, tes forêts auraient été vides et désolées tes nuits au bord de la mer. Je sais que tu me cherchais, que tu m’appelais, je suis ici, je suis à toi ! Je t’aime ! Mon enlacement répondra à toutes tes questions. Mon enlacement calmera tous tes désirs. Si je t’aime, tu n’auras pas à chercher tes mirages à l’étranger. Aime moi ! Reste avec moi ! »

Et, tout à coup, tout devint clair dans l’âme du roi Midas. Il savait maintenant pourquoi il désirait la fée et pourquoi il n’avait jamais tendu la main vers elle, et son cœur s’emplit d’une immense tristesse, et, sans un mot, il prit le chemin des contrées étrangères.

[…]

« Je ne reviendrai pas tant que tu seras ici. J’attendrai que tu sois morte. Lorsque ton chant ne retentira plus nulle part, alors tout sera empli du souvenir de ta voix et, de derrière chaque buisson, je verrai briller tes cheveux. Et je rêverai chaque instant, et tu seras dans tous mes rêves. Mais tant que tu seras ici, je ne pourrai pas rêver, tant que je te vois, je n’ai plus de monde, et lorsque tu chantes, les oiseaux sont muets et le mugissement de la mer ne parvient pas jusqu’à moi. Je te quitte parce que je ne t’ai jamais cherchée, parce que je n’ai pas besoin de toi, que je n’ai jamais eu besoin de toi.

[…] Je cherche un palais, immense, merveilleux que… je construirai peut-être de mes instants… je veux que tout soit toujours autrement… et je veux que reste pour toujours… Si tu me tiens la main, j’oublie tout, et tout est uniforme autour de moi si je te regarde. »

Ainsi parla le roi Midas, et il se détourna de la fée et partit vers les nouvelles merveilles des nouvelles forêts. […] Il allait, plein de désirs nouveaux, les yeux grands ouverts, l’âme emplie de douces plaintes des chants du passé. […]

La fée resta longtemps debout, […] pâle de colère, de honte et de douleur, […] la fée le audit :

« […] Je sais que tu m’aimes et pourtant tu me quittes, tu me quittes pour toujours ! … Je te maudis pour cela, roi Midas ! Tu n’as pas voulu tendre la main vers moi –que tu ne puisses jamais la tendre à quelqu’un d’autre ! Tu veux que tout soit beau autour de toi pour décorer ton grand palais ? Je te maudis, roi Midas ! Que tout reste comme tu l’aimes : joli et bariolé et brillant et toujours pareil. Que chaque minute t’apporte –comme tu le désirais- de nouvelles vies, que chaque minute soit nouvelle dans ta vie, que tout demeure comme tu l’as aimé ! Que tout ce que tes mains effleurent se transforme en or. Mais, un jour, le désir des étreintes vivantes déchirera ton âme… mais je t’aurai maudit, roi Midas ! Celle que tu étreindras deviendra une statue d’or, et c’est en vain que tu verseras des torrents de larmes, tu ne pourras pas lui rendre la vie que tu lui as ôtée… »





Et je ne vous ai pas livré le meilleur morceau… Une quinzaine de pages… à lire.

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Tolstoï

Georg Lukaks est un brillant philosophe hongrois de langue allemande qui a dû quitter la Hongrie pour l'Autriche, puis l'Allemagne, puis la Russie pour revenir en Hongrie et encore s'exiler en Roumanie cette fois après l'insurrection de 1956 à laquelle il a participé et pour enfin le retour au bercail en 1957. Il a comme influenceur politique Marx, Lénine ; il deviendra marxiste et sera un précurseur à rechercher les causes du nationalisme allemand, à soulever la pierre pour voir ce qu'elle cache comme intention maligne chez Nietzsche, Heidegger qui va enfanter du système totalitaire.



Dans plusieurs livres, il s'est intéressé à Tolstoï et lui a même consacré le présent essai éponyme, parce que l'écrivain russe s'est toujours attaché à la cause des paysans misérables, ensuite du prolétariat russe. Dans ses fictions réalistes là où il croquait le portrait de la haute bourgeoisie russe, n'était jamais absent le trait pour pour les pauvres gens. Cette démarche, outre l'excellence du style, a naturellement plu à Georg Lukaks.



Un des premiers romans de Tolstoï, La Matinée d'un seigneur est tourné exclusivement vers cette cause et ne se contente pas comme Gorki plus tard de répondre à la mendicité par une solidarité de classe, l'aumône, d'abord parce qu'il n'appartient pas en tant qu'aristocrate à cette classe - il va aller plus loin, rejette toute idée de bienfaisance donataire par un changement profond du statut du servage, son éducation et son regard sur la propriété bien au delà du discours. Son rôle de médiateur, de juge territorial dans les procès qui opposèrent les paysans aux riches propriétaires fonciers postérieurs à l'abolition du servage va cesser de sa seule volonté au bout de deux ans car il se rendait compte que ses ennuis prégnants venaient d'une mauvaise interprétation de ses intentions par les propriétaires fonciers, alors que comme il l'a montré dans La Matinée d'un seigneur, il ne faisait preuve d'aucune faiblesse vis-à-vis des paysans pauvres, il séparait le bon grain de l'ivraie !..
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Histoire et conscience de classe

Dans le processus de pensée critique mettant en lumière les structures aliénées et aliénantes de la société présente, "Histoire et conscience de classe", paru en 1923, est une étape importante après Marx et tout particulièrement en prolongement de ses découvertes dans "Le Caractère fétiche de la marchandise et son secret", dans le cheminement de cette pensée qui permet d'envisager un autre type d'organisation sociale.

Une société qui permettrait à l'humain de se libérer de la chosification (réification) de son être par la domination de la logique marchande. Sa conceptualisation en cet ouvrage du phénomène de réification fut incontestablement un apport décisif à la pensée critique du Vingtième siècle, littéralement incontournable pour tous ceux qui veulent comprendre notre temps.

On ne sera donc pas surpris par le fait que Lukacs fut contraint de renier ce livre et les principales thèses qu'il y défendait par la bureaucratie lénino-stalinienne, représentante de la domination, dans ce capitalisme étatique que fut l'union "soviétique".

Quand par exemple, il y a 90 ans, il affirmait déjà :

" Il nous faut commencer à voir clairement que le problème du fétichisme de la marchandise est un problème spécifique de notre époque et du capitalisme moderne. (...) Il s'agit ici de savoir dans quelle mesure le trafic marchand et ses conséquences structurelles sont capables d'influencer TOUTE la vie, extérieure comme intérieure, de la société. La question de l'étendue du trafic marchand comme forme dominante des échanges organiques dans une société, ne se laisse donc pas traiter - en suivant les habitudes de pensée modernes, déjà réifiées sous l'influence de la forme marchande dominante - comme une simple question quantitative. La différence entre une société où la forme marchande est la forme qui domine et exerce une influence décisive sur toutes les manifestations de la vie, et une société où elle ne fait que des apparitions épisodiques, est bien plutôt une différence qualitative."

Ou encore dans cette réflexion dont personne ne devrait pouvoir ignorer la signification et la lourdeur toute contemporaine . "Le temps est tout, l'homme n'est plus rien ; il est tout au plus la carcasse du temps. Il n'y est plus question de la qualité. La quantité seule décide de tout : heure par heure, journée par journée. Le temps perd ainsi son caractère qualitatif, changeant, fluide : il se fige en un continuum exactement délimité, quantitativement mesurable, en un espace."

"(...) La personnalité devient le spectateur impuissant de tout ce qui arrive à sa propre existence, parcelle isolée et intégrée à un système étranger."

"Ce qui, dans son destin, est typique pour la structure de toute la société, c'est qu'en s'objectivant et en devenant marchandise, une fonction de l'homme manifeste avec une vigueur extrême le caractère déshumanisé et déshumanisant de la relation marchande."

"Avant tout, l'ouvrier ne peut prendre conscience de son être social que s'il prend conscience de lui-même comme marchandise."

"Le caractère spécifique du travail comme marchandise, qui sans cette conscience est un moteur inconnu de l'évolution économique, s'objective lui-même par cette conscience. Mais en se manifestant, l'objectivité spéciale de cette sorte de marchandise, qui, sous une enveloppe réifiée, est une relation entre hommes, sous une croûte quantitative, un noyau qualitatif vivant, permet de dévoiler le caractère fétichiste DE TOUTE MARCHANDISE, caractère fondé sur la force de travail comme marchandise."

La valeur théorique exceptionnelle d' "Histoire et conscience de classe" fut fort vite saisie par les observateurs attentifs de la réalité historique et sociale. Ainsi, en 1929, Walter Benjamin le présentait ainsi "Le plus achevé des ouvrages de la littérature marxiste. Sa singularité se fonde sur l'assurance avec laquelle il a saisi, d'une part, la situation critique de la lutte des classes dans la situation critique de la philosophie et, d'autre part, la révolution désormais concrètement mûre, comme les conditions préalables absolues, voire l'accomplissement et l'achèvement de la connaissance théorique. La polémique lancée contre cet ouvrage par les instances du Parti Communiste, sous la direction de Deborin, témoigne à sa façon de son importance »
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La théorie du roman

Il s'agit d'un texte de jeunesse de Lukacs, et qu'il a plus ou moins renié par la suite. Malgré le titre un peu ronflant, on à faire à des réflexions ni très élaborées ni très étayées plutôt qu'à une véritable théorie. Lukacs s'inscrit dans la tradition de la critique germanique (Schiller notamment) pour laquelle les genres et styles artistiques sont le reflet de l'esprit d'une époque.



Si j'ai bien compris (ce qui n'est pas du tout sûr car la prose de Lukacs est particulièrement obscure) la thèse centrale est que le roman se caractérise par un mauvais ajustement entre l'âme du héros et le monde dans lequel il vit. Ainsi, Don Quichotte a une âme de héros de roman de chevalerie et se retrouve en décalage avec le monde prosaïque dans lequel il vit. A l'inverse, le héros d'une épopée ou d'une tragédie est toujours "à la hauteur" des aventures, bonnes ou mauvaises, qui lui arrivent.



Bakhtine (Esthétique et théorie du roman) a un point de vue un peu différent et à mon avis plus intéressant: c'est la coexistence au sein d'un même texte du style chevaleresque de Don Quichotte et du style réaliste de Sancho Pança qui fait vraiment l'originalité du genre romanesque.



Dans l'ensemble il m'a semblé que Lukacs n'était ni très intéressé ni très au point sur son sujet. Il cite très peu d'exemples et souvent ce ne sont pas des romans mais des pièces de théâtre. Il présente Tolstoï ou Dostoïevski comme des écrivains "à thèse" ce qui me semble totalement réducteur.



Le seul point qui a un peu retenu mon attention c'est l'éloge qu'il fait de Pierre le Chanceux de Henrik Pontoppidan, un prix Nobel de Littérature quelque peu oublié en dehors de son Danemark natal.



Miaou à tous.



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